jeudi 26 février 2015

Internet of Me, We Economy, oui...

Dans son récent rapport, intitulé Technology Vision 2015”, Accenture identifie parmi les grandes tendances en cours l'Internet of Me, que l'on pourrait résumer autour de la notion de personnalisation.

Personnellement, je définirais la chose ainsi :
« Internet of Me » : personnalisation poussée et capillaire de nos univers et de notre expérience numériques, où tous les dispositifs sont connectés (Internet of things, objets d’usage quotidien truffés de capteurs, de senseurs, etc.), où tout est intelligent et portable (montres, gadgets, vêtements, etc.), domotisé (des électroménagers aux téléviseurs, etc.), embarqué, géolocalisé (voitures, GPS, etc.) et ainsi de suite, ce qui offre aux entreprises digitales le terrain idéal pour développer des produits et services sur la base de notre profilage (algorithmes capables de tracer nos habitudes 24/7/365), mais surtout des applications de plus en plus ciblées pour capturer toujours davantage (plus que fidéliser) un consommateur ... captif, justement !

Or voilà déjà pratiquement une décennie que les acteurs majeurs du Web savent tout sur nous (ceci dit les états vont bien plus loin et depuis bien plus longtemps dans le profilage de leurs « citoyens », sans oublier la télésurveillance…), d'ailleurs à ce sujet permettez-moi d'évoquer un billet d’Adsciptor écrit il y a déjà 7 ans (intitulé : Bloc contre bloc, l'internaute au centre...), dans lequel j’expliquais le concept de « Data transmission events », à savoir les événements qui déclenchent la collecte de données « privées » sur les internautes :
Citons, à titre d'exemple, les données collectées :
  • lors des recherches de l'internaute ;
  • lors de ses achats ;
  • lorsqu'il clique sur une pub ;
  • lorsqu'il s'enregistre sur un service ;
  • grâce aux cookies, etc.
Tout ça permettant à qui les possède en bout de chaîne d'obtenir des informations précises sur nos habitudes, nos intérêts, et ainsi de suite. Le graal des publicitaires et des marketers de tout poil, en quelque sorte !
On pourra toujours s'interroger pour savoir si ces données sont collectées à notre insu ou non, bien que je me demande franchement quel internaute naviguant régulièrement sur Internet ne serait pas encore au courant !?
Par ailleurs, menée aux États-Unis en décembre 2007 sur le trafic imputable aux quinze plus gros acteurs américains de l'Internet, je ne doute pas que les résultats de l’étude puissent être extrapolés au Web mondial, puisque de toute façon la tendance est irréversible, autant le savoir...
Mais ce que je vois de véritablement nouveau dans cette étude quantitative, ce sont les proportions. Énormes...
Car à l'époque, il était déjà question de plus de 500 milliards d’événements de données collectées par mois sur le réseau global (sites propriétaires + régie publicitaire étendue) uniquement pour les couples Google-DoubleClick et Microsoft-Yahoo!, avec Yahoo! et Google totalisant respectivement 2 520 et 1 625 données uniques par visiteur (chiffres faisant référence au mois de décembre 2007, juste pour les États-Unis) :

Dans le même billet je rappelais aussi la personnalisation de la pub basée sur le ciblage comportemental :
Par conséquent dans cette logique, à terme plus ou moins rapproché, la prochaine étape consistera très probablement à s’éloigner de la catégorisation des annonces pour passer à leur individualisation. En bref : 
fini les AdSenses ciblés, vive les AdSenses personnalisés !

Une (r)évolution qui me semble inéluctable, vu les ambitions affichées par Google : à partir du moment où la firme possède une énorme quantité d’informations sur vous et peut en extraire un profilage systématique et significatif, qu’est-ce qui l'empêchera de vous proposer des AdSenses en fonction de vos préférences ?
Du reste, depuis Google, profileur en série, il me semble qu'on a parcouru bien du chemin... Pour vous donner un petit exemple, j'ai récemment posté sur mon blog pro un billet annonçant que je serai à Tunis du 16 au 18 avril prochains pour parler de Marketing & Branding pour Traducteurs & Interprètes. J'ai donc réservé mon billet d'avion, histoire de ne pas m'y prendre à la dernière minute. Or quelle n'a pas été ma surprise de voir dans les heures suivantes, en naviguant sur un de mes sites, les publicités bien visibles dans la colonne de droite :


« Vols Rome-Tunis », « Réserve avec Air France », etc., serait-ce un hasard ? Je vous le demande...

Et j'imagine que chacun(e) de vous pourrait me raconter tout un tas d'épisodes semblables.

Olivier Ertzscheid nous a déjà averti que désormais « L'homme est un document comme les autres », perso j'ajouterais qu'il est en passe de devenir un objet comme les autres !

Déjà en 2006 je m'interrogeais (Le client est ROI, certes, mais roi de quoi ?...), aujourd'hui que dire ? We Economy, oui, Internet of Me, le Web est mon ami, et Google, et Facebook, etc.

Nous n'en sommes qu'au début !



mercredi 18 février 2015

Kering : un nom, une marque, un chef-d'oeuvre de création !

2013, changement de dénomination sociale : PPR devient Kering !

Vraiment une belle manière de commémorer le cinquantenaire de la création du groupe Pinault par François Pinault en 1963, devenu Pinault-Printemps-Redoute - PPR - en 1994, et donc, Kering, en 2013.

Façon élégante, aussi, de se démarquer de LVMH, autre géant mondial du luxe qui partageait avec PPR, outre les racines françaises, le fait d'avoir une raison sociale composée par un sigle, un ensemble de lettres initiales.

Or, selon moi, se présenter avec un sigle au lieu d'un nom est peu intelligible et ne reflète pas les ambitions globales d'un groupe à vocation planétaire : LVMH ou PPR ne racontent rien en soi, ce sont des amas de lettres, pire, de consonnes, qui ne "parlent" pas, inexpressives au possible.

Certes, s'agissant de groupes multimarques par excellence, toutes les regrouper sous une seule dénomination est un véritable casse-tête !

Je serais d'ailleurs curieux de connaître le briefing qu'ont dû faire les responsables de PPR aux créatifs de l'agence retenue pour inventer le nouveau nom, cependant certaines lignes directrices ne sont pas difficiles à deviner, il suffit de lire les documents disponibles du groupe :

- Un nouveau nom pour une nouvelle identité
  • Un nouveau nom pour symboliser la manière unique dont le groupe souhaite se positionner désormais : ni changement de périmètre ou d’activité, mais recentrage stratégique autour des pôles Luxe et Sport & Lifestyle.
  • Mais aussi un nouveau nom pour réaffirmer la dimension internationale d'un groupe "intégré et cohérent", tout en faisant référence à ses origines françaises (bretonnes, plus précisément).
  • Et enfin, last but not least, un nouveau nom juridiquement disponible partout dans le monde et sur Internet, caractéristiques désormais impossibles à trouver avec les mots signifiants, ou même partiellement signifiants.
De plus nous parlons d'un groupe déjà connu et mondialement déployé, et non d'une start-up qui fait ses premiers pas. Donc trouver un nouveau nom, c'est dur, mais trouver en plus un nom DISPONIBLE en respectant les critères ci-dessus devient un véritable challenge !

Bien sûr, maintenant que nous savons comment la problématique a été brillamment résolue, ça peut sembler facile, mais essayez un instant de vous mettre dans la peau d'un créatif et de trouver un nouveau nom pour LVMH, vous verrez vite que la chose n'est pas si simple...

Personnellement, en travaillant sur les mots depuis 30 ans, quotidiennement, et en connaissant de près la création de noms de marque, je peux vous dire que je suis bluffé par la beauté et la pertinence de la solution "kering" :
Kering se prononce « caring » et s’interprète comme tel.
(...)
En breton, ker signifie « foyer » et « lieu de vie ». Kering, c’est en fait la maison de famille qui réunit nos marques et nos collaborateurs...
Mais laissez-moi pousser un peu plus loin l'analyse technique du nom, juste pour tenter de vous faire comprendre les défis cachés que dissimule un "simple" nom en apparence.

Mon ami Jean-Philippe Hermand, mathématicien, linguiste et grand inventeur de noms devant l'Éternel, qui compte autant d'années d'expérience en création de noms de marque que moi en traduction, identifie 4 méta-modèles de dénominations (regroupant à leur tour plus d'une vingtaine de modèles) : signifiantes, à composantes signifiantes, formelles, plus les logatomes.

Pour faire très simple, un logatome est une « séquence de lettres ou de phonèmes qui, n'ayant pas de signification, ne constitue pas un mot, mais respecte les séquences habituelles de la langue. »

Google ou Yahoo sont des logatomes, par exemple. C'est donc une piste créative de choix pour résoudre le problème des nouvelles marques, qui ne peuvent plus compter sur l'utilisation de mots signifiants (Apple...), car tout est déjà pris, aussi bien au plan légal que sur le Web, notamment dans près de 120 millions de domaines déjà déposés en .COM.

En ce sens, "kering" est un logatome pur, qui respecte les règles syntaxiques de la langue (de l'anglais plus que du français, du reste, or pour un groupe international, quoi de plus normal ?) mais n'a en lui-même aucune signification précise. Si ce n'est par homophonie : le mot se prononce « caring » et s’interprète comme tel. Un vrai coup de maître, puisque le renvoi à "caring" a des connotations positives aussi fortes que multiples, et pas uniquement sociales : prendre soin (de nos marques, de nos collaborateurs, de nos clients, de nos parties prenantes et de l’environnement)...

Mais il y a plus ! Comme dit Jean-Philippe, c'est également un "hybride", un néologisme à racine transparente à laquelle on accole un logatome court : ker est la racine, bretonne (!), aboutée à ing, suffixe anglais par excellence et signe du gérondif, exprimant « la simultanéité de deux actions, et mettant le verbe au gérondif en situation de complément circonstanciel, de manière, de cause, etc. », ce qui ouvre des possibilités infinies à la signifiance du nouveau terme !

On peut en outre y voir "ring", qui conjugue l'art du pugilat et celui de l'orfèvrerie : Luxe, Sport & Lifestyle !!!

Pour conclure, rien à dire, c'est du grand art ! Ce nom est un chef-d'œuvre de création, et je salue bien bas l'équipe qui en est à l'origine, qu'ils soient assurés de mon admiration.

Ceci étant, s'ils me lisent chez LVMH, j'espère qu'ils seront suffisamment jaloux pour désirer à leur tour "un nouveau nom pour une nouvelle identité" : qu'ils me contactent, Jean-Philippe Hermand, idéateur du plus puissant logiciel de création de noms de marque au monde (je ne crains pas de l'affirmer), est bien capable de les étonner, du genre Buzz l'éclair : vers l'infini et au-delà... 



P.S. Toutefois il faut faire attention au sens du mot dans des langues exotiques, il me semble par exemple qu'en indonésien ou en malaisien "kering" signifie ... sec (pour autant la marque finit "noyée" dans l'impétueux flux de Twitter), mais il y a des fois où, selon les termes et les langues, les résultats peuvent être bien pires (ce fut un tollé en italien :-)