jeudi 5 juin 2025

Plateformes dédiées aux technologies linguistiques

Dans le premier billet de ce diptyque consacré aux ambitions de Slator, nous avons abordé les intégrateurs de solutions linguistiques et nous sommes interrogés sur quelle autorité épistémique leur accorder. Cette question "épistémique" est de première importance en ce qu'elle touche à un enjeu éthique et professionnel majeur dans les flux de traduction hybrides IA + expertise humaine : comment répartir autorité épistémique et responsabilité finale entre les parties prenantes (IA, LSP, traducteurs humains) ?

À première vue l'autorité épistémique (à savoir la capacité d’un acteur à être reconnu comme source légitime de savoir dans un domaine donné) réside principalement dans l’expertise humaine, et donc la responsabilité finale est portée soit par le LSP, soit par le traducteur, soit par les deux. En dépit de toute sa puissance, l'IA ne peut (encore) assumer seule ni l’autorité ni la responsabilité. Une IA ne comprend pas ce qu’elle traduit : elle fonctionne par prédiction, sans intention ni conscience contextuelle. Elle peut fournir un contenu plausible mais erroné ou biaisé.

En d'autres termes, qui porte réellement la charge morale, légale ou professionnelle du contenu livré ? Qui est comptable d’une erreur (juridique, technique, communicationnelle) ? Dans le cas des plateformes techno-linguistiques, le problème ne se pose pas, puisque selon Slator, elles ne fournissent aucun service de vérification ou d'amélioration de la qualité linguistique, ni ne garantissent la qualité du contenu produit. Ce rôle incombe aux utilisateurs ou aux prestataires externes impliqués.

Or, pour en revenir à la présentation de Slator :

Nous faisons nos adieux aux Fournisseurs de services linguistiques (LSP / Language Service Providers) et aux Systèmes de gestion des traductions (TMS / Translation Management Systems) (...), et souhaitons la bienvenue aux Intégrateurs de solutions linguistiques (LSI / Language Solutions Integrators) et aux Plateformes techno-linguistiques (LTP / Language Technology Platforms).

Sous-entendu : les LSI remplacent les LSP, et les LTP les TMS. Pour autant TMS et LTP ne sont pas interchangeables. Tandis que les systèmes de gestion des traductions étaient - sont - internes aux LSP, les plateformes techno-linguistiques fonctionnent en mode SaaS, ou mieux, PaaS, Platform as a Service, une espèce de boîte à outils à laquelle vous vous abonnez et utilisez comme bon vous semble, tout en gardant la main et la responsabilité de ce que vous produisez avec.

De même, si vous souhaitez analyser les sentiments de 10 000 avis clients multilingues ou résumer des documents légaux et les classifier par type, vous ne le ferez pas avec un TMS, mais avec une LTP si. En outre, les deux sont interopérables, par exemple en connectant un TMS à une LTP, ou en soumettant les données d'un TMS (mémoires, glossaires, etc.) à une LTP pour entraîner un grand modèle de langage (LLM) sectoriel.

C'est l'une des raisons pour lesquelles je pense que le quart actuel des LSP qui développent et personnalisent déjà leurs propres LLM (28% en 2025 selon Nimdzi), est destiné à augmenter notablement dans les mois et années à venir. L'IA révolutionne vraiment TOUT, à TOUS les niveaux !

Selon Benjamin Faes, CEO de RWS, cette révolution du contenu multilingue se traduit par le fait qu'en seulement 18 mois, avec l'émergence de l'IA générative, nous avons produit une quantité de contenu équivalente à celle créée sur Internet au cours des 30 dernières années ! Qui était déjà exponentielle par rapport à l'ensemble du contenu créé durant TOUT le passé de l'humanité...

D'où les difficultés des entreprises, qui peinent à suivre le rythme des chamboulements en cours et à prendre les bonnes décisions sur la manière de générer leur contenu, les étapes à automatiser et la manière d’interagir avec leurs publics. Exemple : 20 % des utilisateurs d’Internet sont chinois, mais seul 1 % du contenu en ligne est en chinois.

Toutefois, le passage qui me frappe le plus, dans l'intervention de Benjamin Faes, est celui sur la nécessité de faire évoluer le langage (RWS is prompted to adopt some new terminology) ! RWS n'est plus un LSP, mais un partenaire de solutions de contenu (content solution partner), pour générer un meilleur contenu, plus intelligent et évolutif, pour transformer le contenu existant afin qu'il résonne et se connecte avec les publics du monde entier, et enfin pour le protéger, de même que les données et les idées. Là encore, "solutions"...

Partie qui me touche de plus près : 

Formerly known as translators (!), these professionals are now referred to as “language specialists” or “linguistic specialists,” which Faes said better represents the work they do, which includes reading, changing, and adapting content.

Je traduis : 

Anciennement connus sous le nom de traducteurs (!!!), ces professionnels sont désormais des « spécialistes de la langue », des « experts linguistes », ce qui reflète mieux leur travail, qui comprend la lecture, la modification et l’adaptation de contenu.

Petit bémol : promouvoir leur qualification, c'est bien, mettre à jour leur rémunération (qui a déjà été divisée par 3 ou 4...) ce serait mieux ! Et cohérent...

D'autant plus que la langue est l'origine du contenu, selon Faes, qui conclut ainsi : « It is not the translation that’s important. It’s the connection that we make around the globe. »

Que j'adapterais ainsi : « L’essentiel n’est pas la traduction, mais les liens que nous créons partout dans le monde, les ponts que nous construisons entre les langues et les cultures. »

*

Après Phrase, RWS est le deuxième grand groupe qui reprend les idées de Slator et met en avant la nécessité de refondre le contenu et le langage en surfant sur l'onde puissante de l'IA. Probablement à suivre...

P.S. Liens connexes :

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