jeudi 17 juillet 2025

CharabIA : pourquoi lire ce qui n'est pas écrit !?

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Dans la cacophonie ambiante autour de l'IA, une phrase m'a particulièrement marqué : « Pourquoi lire ce qui n'est pas écrit ? » !

Je m'en suis déjà expliqué dans un précédent billet intitulé « IA : l'ignorer ou s'en moquer ne la fera pas disparaître ! », mais le sens, rectio : le non-sens, de ces mots va bien au-delà de ma personne, en ce qu'ils sont un déni absolu de ce qu'est l'IA.

À la limite, je les trouve même malsains : nier la réalité n'est jamais sain, c'est un signe de distorsion du réel pour le moins à deux niveaux :

  • cognitif (en termes de perception et de pensée)
  • discursif (en termes de langage et de représentations)

Cette réaction, qui traduit en outre une inquiétude (la perte de l’humain dans l’écriture), est aussi une double négation :

  • déni de l’acte d’écriture par une IA
  • refus symbolique de la lecture de textes co-écrits avec l'IA
La phrase entière : « Je suis désolée, mais si je vois "co-écrit avec ChatGPT", je passe mon chemin. Pourquoi lire quelque chose qui n'a pas été écrit ? »

La personne doit encore s'imaginer - et elle n'est pas seule... - qu'on envoie l'invite, on attend la réponse, un copier-coller et c'est publié ! Durée de l'opération : moins d'une minute. Ce qui est bien sûr totalement fantaisiste, j'ai mis deux jours à concevoir et rédiger le billet en question.

Cette remarque exprime aussi une crainte réprimée, une forte résistance culturelle : si ce n’est pas écrit par un humain, ce n’est pas digne d’être lu, car l'expérience, la subjectivité, la vérité humaines sont absentes.

Ce qui est, là encore, totalement faux

lorsque je trouve des raisonnements pertinents et que je décide de les insérer dans mon texte, je les fais miens. Cela signifie que je me les approprie, et que lorsque je publie un texte avec des mentions de ChatGPT ou de n'importe quelle autre IA dedans, j'en assume la paternité, en toute conscience. Ce n'est pas pour rien que je signe tous mes billets !

Certes, l'écriture a changé, elle évolue comme tout, et il faudrait sûrement repenser ce que signifie "écrire" aujourd’hui. Pour autant, la production d'une IA n’est pas du non-texte : c’est du langage organisé, structuré, cohérent, souvent inspiré de siècles d’écriture humaine. Ce n'est pas la production mécanique d'une forme sans fond, d'un simulacre de texte sans auteur, pas plus qu'une absence d’écriture : c’est une autre forme de production textuelle, qui soulève certes des problématiques d’intention, d’autorat, de responsabilité – mais qui mérite d’être questionnée, pas balayée d’un revers de main.

Refuser de lire un article sous prétexte qu’il n’est pas "écrit" au sens traditionnel du terme revient à fermer la porte au monde qui vient, au lieu de l'interroger en y portant un regard éclairé, critique et exigeant. Ce que nous devons défendre n’est pas seulement "l’écriture humaine", mais la capacité à appréhender le sens, la qualité, la profondeur, quelle que soit l’origine du texte. L’IA ne remplace pas l’auteur, quand bien même elle en bouscule la définition. C’est bien la raison pour laquelle il faut la lire, la comprendre, la critiquer – et non l’ignorer. Entre un auteur humain qui écrit des inepties et une IA qui produit un texte intelligent et pertinent, que choisir ?

Tout comme il faut apprendre à démêler le vrai du faux dans le tumulte médiatique quotidien autour de l’IA, beaucoup de bruit, peu de signaux, et souvent une confusion entre faits, fantasmes, et propagande commerciale ou politique. Comment distinguer la véridicité des arguments dans un tel charabIA ? Et comment exercer son discernement ?

Déjà, prétendre : « Pourquoi lire ce qui n'est pas écrit ? » signifie qu'on ne discerne plus grand chose ! Probablement en raison de craintes, avouées ou non, d'idées préconçues, d'un mélange de trouble, d’inquiétude, de rejet et d’incompréhension face au bouleversement culturel en cours. Peur de perdre ses repères ?

Les utilisateurs d’IA — écrivains, chercheurs, communicants, journalistes, blogueurs — ne délèguent pas leur pensée. Ils la prolongent ou la modulent grâce à l'IA, qui n’est pas un scripteur autonome, mais un autre participant à un atelier d'écriture. 

Chaque grande transition technologique — l’imprimerie, le cinéma, Internet — a suscité des résistances semblables. On a toujours cru que le nouveau médium allait diluer la valeur, tuer le sens, que ceci allait tuer cela, que l'écran allait tuer l'écrit. Or ce n’est pas l’outil qui fait ou défait le sens : c’est ce que nous décidons d’en faire. Ce que la main qui le tient décide d'en faire. 

Rejeter un texte parce qu’il a été écrit avec l’aide d’un outil puissant, c’est confondre origine technique et qualité humaine, comme si une idée cessait d’avoir du sens parce qu’elle a été rédigée ou élaborée autrement. Ainsi, dans mon précédent billet, j'ai renversé la formule « pourquoi lire ce qui n’est pas écrit ? », par « pourquoi ne pas lire ce qui est écrit ? », dès lors que c'est bel et bien écrit : refuser par principe de lire un texte issu de l’IA, c’est abdiquer notre capacité de jugement, c’est renoncer à évaluer la qualité d’un discours pour ce qu’il est : un bon texte est un bon texte, quelle que soit sa genèse.

Peu importe qu’il ait été "entièrement écrit par une main humaine" ou accompagné d’un agent conversationnel. Ce qui compte, c’est que me dit ce texte ? Est-il juste, fécond, utile, dérangeant, stimulant ? L’IA ne remplace ni l'écriture, ni la lecture, ni la pensée, mais si elle nous oblige à nous interroger avec vigilance sur le message issu de cette co-écriture, pourquoi le nier ?

J'attends donc des personnes qui pensent ou disent « pourquoi lire ce qui n’est pas écrit ? » qu'elles répondent en conscience à la question « pourquoi ne pas lire ce qui est écrit ? ».



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