L'un des fondements systémiques de la propagande martelante du régime berlusconien est la désinformation : active, passive et sous toutes ses formes, par omissions, dissimulations, escamotages, menaces, etc.
En cela, Berlusconi continue de suivre à la lettre les conseils pertinents prodigués par Craxi, dès la confection du premier parti politique / produit publicitaire (à moins que ce ne fut parti publicitaire / produit politique, au choix) de l'histoire des démocraties :
À travers l'arme dont tu disposes - la mainmise sur les télévisions -, tu peux faire une propagande martelante... (Con l'arma che hai tu, Silvio, in mano delle televisioni, attraverso le quali puoi fare una propaganda martellante)Et Berlusconi ne s'en est jamais privé, usant et abusant à l'envi de cette désinformation/propagande massive, intensive, agressive, omniprésente, qui occupe l'espace et le temps de la vie des personnes. Outre un combat sans merci, acharné, permanent, de la "vraie" information, celle qui veut rendre compte des faits, honnêtement, fidèlement.
Avec une puissance de feu dont Goebbels et Hitler eux-mêmes auraient rêvé, ce qui rend la chose d'une extrême dangerosité, puisque la machine de guerre propagandiste de Berlusconi combine à la perfection deux axiomes clés de ces personnages :
- Plus un mensonge est gros, plus il a de chances d'être cru... (Goebbels)
- Un mensonge répété dix fois reste un mensonge ; répété dix mille fois, il devient une vérité... (Hitler)
en démultipliant ces deux facteurs par un effet de masse qui touche en permanence pratiquement 100% des italiens !
Une démonstration a contrario de la pertinence et de la justesse de ces mots de Saviano, en réponse à la question d'un journaliste qui lui demandait pourquoi son livre était-il devenu si dangereux pour la camorra : - à cause des lecteurs !
Et d'expliquer que la vente de son livre, dont le premier tirage était à 5000 (cinq mille) exemplaires, s'est répandue comme une traînée de poudre chez les jeunes, dans les prisons, etc., par la seule grâce du bouche à oreille. Jusqu'à devenir un phénomène planétaire. Plus d'1 million d'exemplaires vendus uniquement en Italie, pour l'instant des traductions dans 32 langues (il est également best-seller dans de nombreux pays), bientôt un film, etc.Or Berlusconi n'a aucun besoin du bouche à oreille, il lui suffit de claquer des doigts pour que la quasi-totalité des médias - télé, radio, presse - répètent servilement les berlusconneries du jour, sans esprit critique (fortement déconseillé pour faire carrière) ni aucune analyse (à moins qu'elle n'aille dans le sens du poil)...
Donc, sa thèse c'est que ce livre est devenu dangereux pour la camorra non pas parce qu'il l'a écrit (beaucoup en ont écrit d'autres sur le même argument dont personne n'a jamais entendu parler), mais parce qu'il est lu !
Et cette diffusion en masse de son message à permis à Gomorra de dépasser : 1) le seuil du silence ; 2) la ligne d'ombre.
Je rapporte ces deux expressions (prononcées par Saviano dans deux interviews, la première avec Fazio, la seconde avec Enzo Biagi), parce qu'elles sont très symboliques : ce sont les lecteurs qui donnent au message de Saviano voix (en dépassant le seuil du silence) et visibilité, lumière (en dépassant la ligne d'ombre).
Donc chaque fois que l'info passe d'une manière ou d'une autre, soit par le livre lui-même, soit par celles et ceux qui en parlent, c'est son message qui porte toujours plus loin, toujours plus fort !
À tel point qu'en 2004, des personnalités italiennes connues (Giulietto Chiesa, Luigi Ciotti, Gino Strada, Alex Zanotelli) avaient lancé un appel lors des États Généraux de l'Information organisés à Rome :
L’information n’a jamais été à ce point censurée, partisane et unilatérale comme elle l’est aujourd’hui. Une mystification colossale empêche des millions de personnes d’avoir une réaction critique. Dans ces conditions un vrai débat politique et culturel est totalement impossible.La seule chose fausse, dans cette déclaration, c'est qu'en 2009 la situation est infiniment pire qu'en 2004, et bien moins pire que ce qu'elle sera en 2010 si entre-temps personne ne s'oppose au marionnettiste Berlusconi...
Dans ces conditions, les italiens sont victimes d’un matraquage et d’une propagande médiatiques et ne peuvent aborder et discuter les problèmes fondamentaux de la société : la guerre, l’immigration, la mafia, les handicaps, la prison, l’exclusion, la pauvreté, l’école, la santé et le travail. Cela signifie que le débat démocratique entre citoyens, sans même parler des partis politiques, ne peut exister.
La quasi-totalité des médias - télé, radio, presse -, disais-je (même si Berlusconi en veut toujours plus...), SAUF Internet ! Pour l'instant ! Car il y travaille assidûment, ce que certains signes avant-coureurs montrent bien.
En la matière, je voudrais donc vous donner un "petit" exemple, mais qui a valeur de symbole, ô combien significatif...
Le 2 mars dernier, le Tribunal de Milan a rendu un jugement sur une affaire qui opposait Mediaset-RTI, le groupe de Berlusconi, et RCS, pour avoir diffusé sur son site amiral du Corriere della Sera 59 clips reprenant du contenu des chaînes du groupe.
À l'issue du référé, le communiqué de presse publié par Mediaset a tout d'une écrasante victoire :
Dans son ordonnance de référé du 2 Mars 2009, le tribunal de Milan ... a ordonné le retrait immédiat des sites de RCS de clips reprenant des scènes du Grande Fratello (équivalent italien du Loft), en faisant droit à la demande de Mediaset, etc.Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais le dernier paragraphe est une menace manifeste, provenant d'un groupe qui a une force de frappe financière - et pas seulement - énorme.
Ce référé contre RCS s'inscrit dans une plus ample stratégie mise en œuvre par Mediaset dès l'été dernier avec l'action entreprise contre YouTube, qui vise à défendre notre droit d'avoir l'exclusivité totale sur tous nos contenus télévisuels.
Après cette victoire importante, Mediaset confirme son intention de poursuivre son action pour protéger le droit d'auteur et affirmer des principes de légalité sur les contenus du Web. Toute utilisation illicite de notre contenu sur Internet sera donc systématiquement poursuivie.
D'ailleurs nous allons lancer plusieurs actions légales contre des sites Web et des fournisseurs de contenus qui diffusent sans autorisation des contenus télé Mediaset.
Bien. Maintenant, examinons un instant ce qui distingue le communiqué ci-dessus, certes correct du point de vue formel, mais tellement partiel qu'il en est presque faux, en se limitant sciemment à ne reprendre qu'une infime partie des faits caractérisant l'information globale. Qui est la suivante, rapportée par RCS :
Dans la substance, le Tribunal de Milan a rejeté les prétentions de Mediaset, qui voulait interdire à RCS de publier sur son site de brefs extraits de toutes les émissions diffusées par Canale 5 et Italia 1, et demandait au juge des référés le retrait de 59 clips vidéos. Or au final, le juge n'a ordonné que le retrait de 4 clips sur 59, en reconnaissant à tous les autres l'expression discriminante du droit de chronique et de critique qu'ont les journalistes, droit qui ne s'applique pas, dans le cas d'espèce, aux contenus extraits du "Loft" italien. (voir en P.S. les explications sur « droit de chronique » et « droit de critique »).Nous sommes bien loin du ton triomphaliste du communiqué de Mediaset.
Dans la note qu'il a communiquée, le groupe RCS observe donc que la décision du Tribunal continue de protéger la liberté d'expression et le droit à l'information, en freinant les grands groupes tels que Mediaset qui voudraient les limiter. Et de conclure en réaffirmant sa volonté de continuer à offrir l'information de cette nature, y compris sur différentes plate-formes multimédias, à la fois en sauvegardant sa vocation journalistique et en respectant les droits d'auteur et la propriété intellectuelle.
Voici ce que j'appelle un exemple de désinformation passive, où l'on a 7% de vérité (retrait de 4 clips sur 59) vs. 93% d'omission (prétentions de Mediaset déboutées pour 55 clips sur 59) !
Un autre point intéressant est que Mediaset a demandé le retrait de clips se rapportant à Canale 5 et Italia 1, mais pas à Rete 4, petit détail qui fera l'objet d'un billet dédié, j'y reviendrai...
Comme quoi pour désinformer on n'est pas obligé de publier des informations fausses, il suffit de présenter - ou pas - différemment et partiellement l'info, en clair de la manipuler en fonction des exigences du moment.
Car entre dissimuler les faits, les altérer, les fausser ou empêcher qui les rapporte de s'exprimer librement par divers moyens de pression (lois, procès ou pire...), l'arsenal des censures et des manipulations est vaste. En commençant par nier l'évidence, ce que fait régulièrement Berlusconi.
Dernier exemple en date, pas plus tard qu'hier, à Prague, suite à ses gaffes à répétition de ces derniers jours, Berlusconi a déclaré aux journalistes italiens qu'il avait été diffamé par la presse, qui désinformait son lectorat par la même occasion, et que par conséquent il était tenté d'entreprendre des actions "directes et dures" vis-à-vis de certains journaux et journalistes :
Ci sono state calunnie nei miei confronti e disinformazione nei confronti dei lettori. E quindi, a un certo momento io non voglio arrivare a dire: servono azioni dirette e dure nei confronti di certi giornali e di certi protagonisti della stampa, però sono tentato perchè non si fa così...Une déclaration loin d'être anodine, à laquelle Repubblica rétorque : rapporter les faits ou critiquer n'est pas diffamer, dès lors que la liberté de la presse correspond sans aucun doute à l'intérêt d'une démocratie !
La libertà di stampa, invece, coincide sicuramente con l'interesse di una democrazia. Perché la cronaca non è diffamazione e la critica non è calunnia.Mais de toute évidence, Berlusconi, qui se vante d'être l'éditeur le plus libéral de toute l'histoire de la presse et de la télévision (Sì, io sono l'editore più liberale della storia della carta stampata e della televisione), anticipe d'ores et déjà son nouveau programme d'épuration, prêt de longue date, et dont la réalisation concrète ne devrait plus tarder. S'il y arrive, ce dont je doute, sans vouloir être trop optimiste...
Je conclurai en reprenant une citation mise en exergue du livre de Peter Gomez et Marco Travaglio, Régime, paru en 2004, empruntée à Abraham Lincoln :
Vous pouvez tromper quelques-uns tout le temps,Berlusconi n'y arrivera pas plus que les autres dictateurs de pacotille qui l'ont précédé dans l'histoire de l'humanité, même s'il est clair que les faits exposés plus haut sont à mettre en étroite relation avec le révisionnisme berlusconien, où l'on franchit une étape supplémentaire dans l'horreur de la désinformation, de la censure et de la propagande de régime, mais cela fera l'objet d'un billet à venir...
Vous pouvez tromper tout le monde de temps en temps,
Jamais vous ne pourrez tromper tout le monde tout le temps. !!!
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P.S. Dans le système juridique italien, le « droit de chronique » va généralement de pair avec le « droit de critique », garanti dans la Constitution italienne, à l'article 21 : « Tout individu a le droit de manifester librement sa pensée par la parole, par l’écrit et par tout autre moyen de diffusion. ».
Le « droit de chronique », c'est la manifestation de la liberté d'expression propre aux journalistes, qui consiste non seulement à diffuser des informations mais aussi à les commenter.
La Cassation le considère légitime lorsque plusieurs conditions sont réunies :
- l’utilité sociale (rien à voir avec le commérage)
- la vérité des faits exposés
- la forme civile de l’exposition
Sur le « droit de critique », les limites à l'exercice sont le langage correct et le respect des droits d’autrui. Le problème étant de pouvoir présenter des faits documentés tout en sachant que cela ne plaira probablement pas à l'auteur des faits en question...
Après avoir demandé à Narvic son avis sur la question pour tenter d'identifier les correspondances avec le droit de la presse en France, voici un extrait de sa réponse :
À ma connaissance, en droit français, il n'y a pas vraiment de notion tout à fait équivalente (il n'y a aucun droit d'expression spécifique des journalistes. Ils bénéficient exactement des mêmes que tous les citoyens : loi sur la presse de 1881). La liberté d'expression est définie de manière "négative" : tout est autorisé, sauf les cas précis d'interdiction prévus par des lois, notamment la diffamation : imputation ou allégation d'un fait précis, qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération. Le droit français cherche donc à savoir à partir d'où une critique ou un commentaire (qui sont libres pour tous) basculent dans la diffamation.Je le remercie pour son éclairage.
La jurisprudence sur la diffamation a précisé des notions qui se rapprochent de ce que tu me décris. On peut échapper à la condamnation pour diffamation même si les faits imputés ou allégués portent atteinte à l'honneur et à la considération, si on les prouve : c'est l"exception de vérité" (mais la preuve doit être "parfaite", ce qui n'arrive pas très souvent... ;-) ), et même s'ils sont faux, en invoquant "la bonne foi". La Cour d'appel de Paris rappelle que "quatre éléments doivent être réunis pour que le bénéfice de la bonne foi puisse être reconnu au prévenu : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression, ainsi que la qualité de l’enquête".
Il me semble que l'on rejoint ici l'approche italienne : l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur n'est pas forcément condamnable, si le prévenu poursuivait "un but légitime d'information du public" (= l'utilité sociale) et qu'il le prouve : "exception de vérité" (= la vérité des faits exposés), et même si le fait est faux, à condition que le prévenu ait mené "une enquête réelle et sérieuse", "sans animosité personnelle", qu'il soit "prudent et mesuré" dans son expression (= la forme civile de l'expression).
Actualités, Italie, Silvio Berlusconi, désinformation
1 commentaire:
Bonjour,
Je trouve votre blog très enrichissant, cela change de tout ce que l’on peut lire habituellement. Bonne continuation et merci.
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