samedi 9 mars 2024

La supercherie Carrefour !

Ou comment Carrefour m'a volé 12 litres d'eau en toute impunité...

(publicité gratuite)


Et j'ajouterais, outre l'impunité, avec l'arrogance totale du fort contre le faible, dont il se fout éperdument, un peu comme si je n'existais pas...

Mais laissez-moi vous raconter, en commençant par un préambule : cela fait plus d'un an que je suis assez gravement malade, souffrant d'une neuropathie sévère, atteint du syndrome de Bruns-Garland, autre nom de la radiculo-plexopathie lombaire diabétique, ou encore plexopathie lombo-sacrée idiopathique, une affection neurologique plutôt rare ne touchant qu'1 % des patients diabétiques, si j'en crois certains articles sérieux. De plus, dans mon cas, la corticothérapie intraveineuse est inadaptée pour diverses raisons, alors qu'elle semble bien fonctionner chez d'autres patients... 

Je vous passe les détails, la conséquence étant, en plus de la douleur permanente (je suis resté 9 mois sous morphine, que j'ai arrêté du jour au lendemain parce que la douleur causée par les effets secondaires du traitement devenait pire que la douleur neuropathique), une immobilisation et une impossibilité de marcher presque totales. Quand les premiers signes de la maladie se sont déclarés, fin 2022, j'ai perdu 25 kilos en deux mois (de 85 à 60, pas besoin de CommeJaime...), mes muscles ont totalement fondu, surtout au niveau des membres inférieurs, et le diabète a attaqué la racine des nerfs au niveau lombaire, d'où cette douleur constante irradiant mon corps des reins jusqu'au bout des pieds.

Après avoir passé trois mois à l'hôpital (du 20 février au 22 mai, non stop), je me suis donc retrouvé, pratiquement du jour au lendemain, isolé chez moi, entre autres sans plus pouvoir faire les courses. D'où la nécessité de faire appel à un service de livraison à domicile. J'ai choisi Carrefour parce qu'ils offraient la livraison gratuite aux plus de 65 ans, ce qui était mon cas. Ainsi, de février à novembre 2023, j'ai passé 9 commandes chez eux pour un total supérieur à 630€, soit un panier moyen de 70€ ! Tout s'est toujours bien passé jusqu'à la dernière commande...

*

Pourquoi est-ce que j'accuse Carrefour de supercherie ?

Cela tient au sens du terme : tromperie, plus ou moins habilement calculée et exécutée, impliquant généralement la substitution du faux au vrai.

Où le vrai est représenté par le produit que j'ai commandé - et payé 8,48€ -, soit 4 packs de 6 bouteilles d'eau de 1,5 litres, et le faux est représenté par le produit que j'ai reçu - et payé 8,48€, selon Carrefour -, soit 4 packs de 6 bouteilles d'eau de 1 litre. Donc si vous faites le calcul, contre 36 litres d'eau commandés et payés d'avance, je n'ai reçu que 24 litres pour le même prix !

Soit une différence de 12 litres pour un prix augmenté de façon totalement arbitraire et unilatérale !!! Or pour quelqu'un isolé chez lui et incapable de sortir, cela fait vraiment une grosse différence. J'ai donc demandé à Carrefour l'exécution du contrat, soit en me payant la différence, soit en me livrant à domicile, comme promis, les 12 litres manquants.

Le service client m'a répondu très gentiment que « Le service Clients a tout tenté pour vous, mais votre magasin Carrefour d’Auneuil qui a préparé votre commande ne nous a pas donné l’autorisation d’effectuer un remboursement pour la substitution de votre eau. »

Ils m'ont donc offert un bon d'achat de 5€ valable jusqu'au 8 janvier 2024, à condition bien sûr que je repasse commande chez eux...

Au mois de décembre, n'ayant plus eu aucun contact par la suite, j'ai fini par saisir la Fevad.

Finalement, ils ont accepté de prendre en charge mon dossier et un conseiller Carrefour m'a téléphoné le 9 janvier 2024, toujours en réitérant la même proposition, que j'ai refusée au téléphone en demandant simplement que Carrefour me livre mes 12 litres d'eau à domicile.

Carrefour n'a tenu absolument aucun compte de mon refus pour me renvoyer le lendemain toujours la même proposition, par courriel, ayant la teneur suivante :

Après un contact avec le Drive du Carrefour d'Auneuil, ce dernier me confirme ne pas pouvoir vous relivrer les articles suivants : 

-12* Eau minérale finement pétillante CARREFOUR CLASSIC

Pour vous remercier de votre fidélité et pour m'excuser de ce dysfonctionnement, j'ai le plaisir de vous offrir 5 euros, à valoir sur votre prochaine commande ! Pour en profiter, je vous invite à saisir le code avantage ".......", valable du 11/01/2024 au 10/03/2024, lors de votre prochaine commande d'un montant minimum de 60 euros.

Il y a pourtant un double abus dans ces quelques mots :

  • un abus de langage : comment prétendre (ne pas pouvoir me) "relivrer" un produit qui ne m'a jamais été livré auparavant ?
  • un abus de pouvoir : comment prétendre que je bénéficie d'un bon de 5 euros (soit supérieur, en valeur, au prix des 12 litres d'eau) uniquement en passant une nouvelle commande d'un montant minimum de 60 euros ?

J'aurais donc jusqu'à demain pour profiter de leur gentillesse et de leur largesse... C'est quand même fort ! Ils me traitent n'importe comment, avec suffisance et dédain, mais prétendent que je continue à passer commande chez eux... Certes, s'ils avaient fait un simple geste commercial en reversant les 5€ du bon sur ma carte de crédit, j'aurais accepté. Mais assortir le bénéfice du bon à l'obligation d'encore acheter chez eux, après ce qui s'est passé, ça je ne peux pas l'accepter. 

Je n'ai absolument rien contre le concept de produit de remplacement, ce qui peut arriver quand on commande en ligne, mais ma tolérance s'arrête à un produit semblable ou proche et d'un prix équivalent. Par contre je n'accepte pas qu'on m'impose de payer 24 litres d'eau au même prix que les 36 litres que j'avais commandés, soit une augmentation de 33% (!) sans rien me demander. Soi-disant j'aurais reçu un SMS pour me prévenir, mais entre tous les messages de spam commercial que je reçois tous les jours, franchement je ne l'ai pas vu passer. Et d'ailleurs qu'est-ce que ça aurait changé à partir du moment où vous m'avez vendu du faux pour du vrai (quantitativement parlant), où vous m'avez livré un produit pour un autre ?

Moi j'appelle ça une supercherie...

*

Vu sous un autre angle, sans être juriste (mais traducteur de métier depuis près de 40 ans, durant lesquels j'ai traduit des milliers de pages juridiques de l'anglais ou de l'italien vers le français), j'estime que dans cette histoire Carrefour m'a vendu un produit pour un autre, qui ne correspondait absolument pas à mes attentes. Ce que le droit italien appelle le principe "Aliud pro alio" [pris en compte aussi dans le Code européen des contrats, Livre II, Titre I (De la vente), Article 207], selon lequel il y a inexécution contractuelle lorsque la chose livrée ne correspond pas à la chose commandée (une chose pour une autre), autrement dit que la prestation exécutée ne correspond pas à l’obligation convenue entre les parties.

Car lorsque je commande en ligne - et que je paie avant (en magasin, vous remplissez votre chariot de ce que vous voulez et vous payez après) - j'estime qu'il y a contrat implicite entre moi et le vendeur (Carrefour dans ce cas) et que le contrat est exécuté uniquement si je reçois ce que j'ai commandé - et payé d'avance !

Certes, isolé et malade comme je suis, je ne vais sûrement pas intenter une action au motif d'inexécution de contrat pour environ 3 ou 4 € de valeur du litige, mais jamais cela ne m'empêchera de persister et signer : Carrefour m'a bien volé 12 litres d'eau dans la plus totale impunité.

Même d'un simple point de vue logique, je ne comprends pas la position - insoutenable et injustifiable -  du Carrefour d'Auneuil. Qui sait si monsieur Alexandre Bompard, PDG de Carrefour (premier employeur privé en France, leader européen de la grande distribution et deuxième groupe mondial derrière Wal-Mart, quand même), lira un jour ce billet et remettra les pendules à l'heure ? Si peu suffirait !





lundi 28 août 2023

Martine Broda et la tâche du traducteur

Une nouvelle édition italienne de Die Aufgabe des Übersetzers, de Walter Benjamin, traduite par Maria Teresa Costa, vient d'être publiée en Italie (éd. Mimesis, collection Minima / Volti, 2023), qui commence ainsi : 
La tâche du traducteur est une lecture capitale pour quiconque souhaite approfondir la traduction et son lien essentiel avec la philosophie. (Il compito del traduttore è una lettura imprescindibile per chiunque voglia approfondire il tema della traduzione e il suo legame essenziale con la filosofia.)

Jusqu'à ce jour j'ai souvent essayé de m'attaquer à la lecture de ce texte de Benjamin, mais j'ai toujours battu en retraite, car son approche est loin d'être évidente ! Il y a 20 ans j'avais échangé via courriel avec Martine Broda, traductrice de la tâche du traducteur en français, et elle avait eu la gentillesse de me transmettre son texte, paru à Paris en 1991 (revue Po&sie, n° 55)... Ma réponse fut la suivante :

Madame, 

Je n'en attendais décidément pas tant, et votre geste me comble ! Je vous remercie infiniment. J'ai tellement entendu parler de ce texte au fil des ans qu'il en avait pris comme une résonnance mythique. Le voici devenu réalité. 

Merci, et merci encore.

 Avant de poursuivre dans un deuxième courriel :

Madame, 
Faisant suite à mon précédent message, dans lequel je vous remerciais pour votre geste, j'attendais une occasion pour vous donner mes impressions sur le texte de Walter Benjamin. Je ne l'ai pas encore fait pour une seule raison : ce texte est résolument plus ardu que ce à quoi je m'attendais, et je n'ai pas encore eu la possibilité de lui consacrer tout le temps qu'il mérite. C'est un texte à lire lentement et à digérer. Je le ferai, mais je ne sais pas quand. Je serai alors en mesure de vous donner mon opinion, non pas d'un chercheur, mais juste d'un praticien de la traduction.

Et puis bon, le temps a passé et je n'ai plus donné suite. Il aura fallu 20 ans (!!!) et la parution de la version italienne pour que je m'attelle enfin de près à ce texte, en le lisant dans les deux langues à la fois, l'une expliquant mieux l'autre là où j'avais des doutes ou des incompréhensions. 

Tout d'abord mes compliments les plus appuyés aux deux traductrices, Martine Broda pour le français, et Maria Teresa Costa pour l'italien, qui ont produit un travail vraiment remarquable ! Je n'ai trouvé dans la comparaison qu'un seul point où la traduction varie légèrement d'une langue à l'autre, dans la phrase suivante :

L'harmonie entre les langues y est si profonde que le sens n'est touché par les vents du langage qu'à la manière d'une harpe éolienne. (Italien : In esse l’armonia delle lingue è talmente profonda, che il senso viene solo sfiorato dalla lingua come un’arpa eolica dal vento.)

Autrement dit, si le français suivait l'italien, nous devrions avoir : « L'harmonie entre les langues y est si profonde que le sens n'est touché par le langage qu'à la manière d'une harpe éolienne par le vent. »

Vu que j'ignore l'allemand et que je suis incapable de juger par moi-même, je me suis tourné vers la version anglaise pour voir comment cela avait été rendu dans la langue de Shakespeare : « In them the harmony of languages is so deep that meaning is touched by language only in the way an Aeolian harp is touched by the wind. »

Donc, si je prends cette dernière comme arbitrage, je dois en conclure que Martine Broda a juste privilégié une licence poétique en traduisant par les vents du langage, sans toutefois altérer le sens de l'ensemble (puisqu'avec l'harpe éolienne jouée par le vent on est à la limite du pléonasme). Quelques autres très légères variations ne dépendent que de choix terminologiques tout à fait légitimes dans une langue et dans l'autre (par exemple, le binôme italien essenza et valore devient juste dignité en français, mais essence et dignity en anglais).

Maintenant, pour en revenir au texte de Benjamin, que je continue à trouver complexe, mon sentiment est qu'il s'en dégage une série d'intuitions fulgurantes célébrant « l'indocile liberté des mauvais traducteurs », qui sert mieux l'exigence de fidélité ne découlant nullement de l'intérêt de la conservation du sens, où certaines d'entre elles sont si subtiles qu'elles ne se révèlent que peu à peu, après y avoir pensé et repensé afin de réussir à en percevoir l'essence.

Notamment l'une où Benjamin considère que l'erreur fondamentale du traducteur consiste à ne pas se laisser violemment ébranler par la langue étrangère, à ne pas élargir et approfondir sa langue grâce à la langue étrangère, en partant d'un principe erroné, dès lors qu'il préférerait, pour paraphraser le poète Rudolf Pannwitz (pris à témoin par Benjamin), [franciser] l'indien, le grec, l'anglais, au lieu d'indianiser, gréciser, angliciser [le français], dès lors qu'il préférerait de beaucoup respecter les usages de [sa] propre langue plutôt que l'esprit de l'œuvre étrangère.

Des langues qui, pourtant, ne sont pas mutuellement étrangères, mais a priori ... parentes en ce qu'elles veulent dire, qui se complètent dans leurs intentions mêmes, toute traduction n'étant qu'une manière en quelque sorte provisoire de s'expliquer avec l'étrangeté des langues, une manière de se mesurer à ce qui rend les langues étrangères l’une à l’autre… 

En conclusion, en écartant le préjugé traditionnel selon lequel les traducteurs importants seraient des écrivains, et les écrivains peu importants, de médiocres traducteurs, Benjamin considère la tâche du traducteur comme une tâche propredistinguer avec précision de celle de l'écrivain), ce que Philippe Payen de la Garanderie nomme "la tâche de l’entre-deux", "la tâche initiale" : faire connaître une œuvre à un public allophone en lui faisant franchir l’entre-deux des langues. Mais en quoi consiste-t-elle véritablement ?

Personnellement, je l'ignore. Et j'avoue qu'avec près de 40 ans de métier, plus de 1 million de mots traduits, et après avoir, ENFIN, lu le livre de Walter Benjamin, je n'ai toujours pas la réponse à cette question ! Si quelqu'un en a une, convaincante, je suis preneur...



P.S. Sur Martine Broda :

Martine BRODA – Reconnaissances à la poétesse (France Culture, 2009)

Passage de Martine Broda


vendredi 10 février 2023

Palimptextes poétiques

Dans quatre billets publiés à ce jour, j'ai tenté durant une dizaine d'années de définir ce qu'était selon moi la notion de « palimptexte » :

  1. L'Internet aujourd'hui : de l'hypertexte au palimptexte (19 septembre 2006)
  2. Palimptexte : une tentative de définition (23 septembre 2006)
  3. Welcome to the Word Century (3 juillet 2011)
  4. Le palimptexte terminologique (2 avril 2016)
Une tentative qui n'a eu que très peu d'échos... 

« Palimptextes poétiques » est le titre de mon 21e recueil, censé réunir l'ensemble de l'appareil paratextuel des 20 précédents.

Les palimptextes, ce sont un peu les palimpsestes 2.0, cette évolution des palimpsestes selon Gérard Genette adaptés à l'ère numérique. Du reste, c'est dans Palimpsestes : la littérature au second degré, publié en 1982, que Genette introduit la notion de « paratexte », qu'il développera ensuite dans Seuils (1987) :
Le paratexte est donc pour nous ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs, et plus généralement au public. Plus que d'une limite ou d'une frontière étanche, il s'agit ici d'un seuil, ou - mot de Borges à propos d'une préface - d'un « vestibule » qui offre à tout un chacun la possibilité d’entrer, ou de rebrousser chemin. « Zone indécise » entre le dedans et le dehors, elle-même sans limite rigoureuse, ni vers l’intérieur (le texte) ni vers l’extérieur (le discours du monde sur le texte), lisière, ou, comme disait Philippe Lejeune, « frange du texte imprimé qui, en réalité, commande toute la lecture ».

Cette référence à Philippe Lejeune (Le Pacte autobiographique, 1975) me touche particulièrement, puisque j'ai moi-même eu l'occasion d'échanger avec lui sur la nuance que je considérais entre poème autobiographique (Courir après les nuages, 1987, mon second recueil) et autobiographie poétique (Tryptique, 1994/98, mon huitième recueil). Un échange rapporté dans Palimptextes poétiques.

Écoutons également Benoît Mitaine :

Le paratexte est, selon la double étymologie du préfixe grec para-, l’ensemble des pages et messages qui entourent et protègent le texte. Sa fonction relève autant de la protection physique (couverture, pages de gardes) ou symbolique (prologue, préface, postface, épigraphe, etc.), que de l’identification (nom de l’auteur, titre de l’ouvrage, nom de l’éditeur, lieu et date d’édition, lieu d’impression, nom de la collection, code barre, etc.), de l’organisation (table des matières, bibliographie, répertoire, index, annexes), de la distinction (couverture souple ou rigide, format du livre, choix du papier) ou de la séduction (jaquette, illustration de surface, graphisme, etc.).

Voici donc posées les différentes définitions précisant ce que sera le recueil que je suis en train de composer, rendez-vous sur palimptextes.fr lorsqu'il sera terminé. En attendant, si vous souhaitez m'écrire à ce sujet, le courriel est jmleray@ ou info@ sur ce dernier domaine. 

Bien à vous,


dimanche 20 novembre 2022

La formidable occasion manquée de @Paris2024

Il y a bientôt 5 ans (juin 2018) je publiais sur ce même blog mon projet Glocalize @Paris2024 (voir pitch), relayé dès le lendemain sur Twitter et transmis à tous les intervenants (voir thread) impliqués de près ou de loin dans la préparation des JO 2024 :
Naturellement, il est clair que je n'ai jamais eu aucune réponse ni le moindre contact de quiconque...
 
Le sous-titre en était « ou comment créer une dynamique sociale planétaire autour de @Paris2024… », où « sociale » avait surtout le sens de « populaire » !

Impliquer les gens, à grande échelle. Avec une recette simple et peu coûteuse, mise en œuvre sur le site Glocalyze créé pour l'occasion.

Malheureusement, la structure qui préside l'organisation des jeux est de type pyramidale, dans la plus pure tradition macronienne, où toutes les décisions sont prises au sommet, qui ruissellent éventuellement à travers les corps intermédiaires, jusqu’ici, tout va bien, mais s’arrêtent systématiquement juste un cran avant d’arriver à la base, à qui elles s’imposent sans que celle-ci n'ait la possibilité d’avoir son mot à dire…

Nous en avons eu cette semaine un exemple frappant avec le "lancement" des mascottes !

Lundi 14 novembre 2022 :
Les Phryges sont annoncé(e)s à grand renfort de communications sur Twitter et les réseaux sociaux, dans la presse, à la radio, à la télé, etc. L'imposant orchestre médiatique est lancé, et il est clair que la décision vient d'en haut, planifiée comme il se doit.

Mais comment le public accueillera-t-il ces phryges, dont on ne sait au premier abord si le substantif est masculin ou féminin ! Androgynes, probablement.

Déjà, sur le nom, les premières critiques se font jour pour en souligner la difficulté de prononciation, qui plus est pour les étrangers, et sa portée trop franco-française alors qu'il devra(it) parler au monde entier.

Un nom choisi parce que le « bonnet phrygien est un symbole de liberté. Parce qu’il nous est familier, dans l'histoire, dans les arts, dans nos mairies et dans nos écoles, il représente aussi cette identité et cet esprit français. » Certes. Mais familier, ça reste à prouver. Et surtout inadapté à une initiative planétaire telle que les JO. Quant à la grandeur de la France et de sa révolution, elle commence à être loin derrière. 

Et Tony Estanguet d'ajouter : « ... nous voulions des mascottes qui soient porteuses de sens. Plutôt qu’un animal, nos mascottes représentent un idéal ! »

De toute évidence une phrase qui ne doit pas être de son cru, tellement ça sent le slogan pondu à la va-vite par quelque communicant laborieux et mal réveillé, avec la fiente encore tout autour de la coquille… vide ! 

Or les gens n’en peuvent plus des jolis slogans pleins de mots vides de sens que contredisent systématiquement les faits et les actes !

Car il ne suffit pas de prétendre en mode assertif que les « mascottes ... sont le lien émotionnel entre les Jeux et les gens » (soit dit en passant, il eut mieux valu écrire « les mascottes ... sont le lien émotionnel entre les jeux et les Gens ») pour que ce soit vrai !

J'en veux pour preuve qu'une semaine après le lancement, il n'y a pas un seul résultat sur le hashtag #prhyges (MàJ - 23h : autant pour moi, le bon hashtag est #phryges, s'il en est, un bon exemple de la difficulté de prononcer et ... d'écrire ce nom, je suis en bonne compagnie :-)


Quant au graphisme, n'en parlons pas : les mascottes ont immédiatement été renommées "Clito" dans le grand public, images à l'appui :


Il n'y a pas à dire, un véritable succès, à mettre au crédit de Tony Estanguet et de sa phénoménale équipe de consultants (bénévoles ?) !

*

Je suis très remonté contre cette façon macronienne de considérer que la base de la pyramide est constituée de millions de gens qui ne sont rien, mais bien cons quand même !

Car dès qu'il faut les mettre à contribution, la direction d'en haut ne tarit plus d'éloges. Dès l'année dernière, elle annonçait vouloir recruter "jusqu'à 50000 volontaires" en 2023 et jusqu'en 2024 :


Que de jolis mots... Et encore « visages et incarnation de Paris 2024, ambassadeurs » (selon Alexandre Morenon-Condé), etc. etc.

Via un portail de recrutement. Las, le choix des mots n'est pas innocent :  "recrutement" est le substantif du verbe "recruter", terme militaire par excellence qui signifie originellement "faire des recrues". Le sens étymologique de "recrue" étant "recru, épuisé, harassé de fatigue"... 

Loin de moi l'idée de remettre en question la valeur intrinsèque du bénévolat ou les motivations authentiques et sincères des volontaires, mais je suis horrifié par la manipulation permanente qu’en font les décideurs d’en haut, et de constater que, globalement, ça passe crème auprès de l’opinion publique, dans sa grande majorité.

J'y vois un parallèle évident avec le peuple souverain, qui ne compte absolument rien et dont tout le monde se fout entre deux élections… mais dont la souveraineté et l'importance sont revendiquées haut et révérées sans vergogne en période électorale ! On connaît la suite.

Je conclurai donc ce billet sur un appel ouvert au grand chef : 
Monsieur Tony Estanguet,
Vous aviez la possibilité d’impliquer et de faire participer les gens, qui forment la base de la pyramide, dans l’organisation de ces jeux, pas seulement pour les faire « ambassadeurs » lorsque vous le décrétez et d'autant plus fortement que ça ne coûte rien, mais au quotidien afin de créer une dynamique populaire planétaire géante autour de @Paris2024… Or vous ne l’avez pas saisie, mais peut-être êtes-vous encore à temps ! 
@Paris2024, à ce jour une formidable occasion manquée ! Ou non ?


mardi 31 mai 2022

La colossale aventure des navires romains du lac de Nemi

Le 31 mai 1944, il y a 78 ans aujourd'hui, un incendie consuma totalement les vestiges uniques au monde des deux navires romains du lac de Nemi...

Le lac de Nemi vu du côté du Musée des navires romains de Nemi

Environ la moitié du lac, vue depuis Nemi 

* * *

À une trentaine de kilomètres au sud-est de Rome se trouve une zone connue sous le nom de « Châteaux romains », qui correspond aux Colli Albani et se déploie autour de deux lacs d'origine volcanique : le lac d'Albano et le lac de Nemi.


Le lac de Nemi, qui est le plus petit, et le plus charmant, abrita pendant près de 2000 ans l'histoire mystérieuse de deux navires romains dont la construction est attribuée à la folie mégalomane de Caligula (après la découverte sur les épaves de tuyaux de plomb, ou fistules, portant son nom). 

La présence de ces navires enfouis au fond du lac fut longtemps considérée comme une légende. En réalité, ils furent coulés après que le Sénat romain les ait frappés de damnatio memoriæ pour effacer le souvenir damné de Caligula (puis de Néron). Mais le fait que les pêcheurs du lac de Nemi remontaient parfois dans leurs filets quelques bouts d'épave indiquait bien que les eaux cachaient quelque chose.

Au point qu'en 1446 le cardinal Prospero Colonna, seigneur de Nemi (entre autres...), donna mission à Leon Battista Alberti (un génie que les italiens considèrent un peu comme le précurseur de Léonard de Vinci) de ramener à la surface un navire échoué :

Le cardinal Colonna l'avait appelé pour diriger les restaurations de ses jardins et de sa villa de Mécenate, et pour extraire des eaux du lac de Némi un navire échoué, disait-on, depuis l'époque de Trajan. Alberti en prit prétexte pour écrire un opuscule, Navis, où il étudie les meilleures formes des navires et le combat naval.

L'opuscule s'est perdu depuis, et l'opération (qui dura 3 ans : 1446-1448) fut un fiasco mais permit pour le moins de constater qu'il y avait bel et bien les restes d'un navire. Deux en fait, mais il faudra quelques siècles de plus pour s'en apercevoir. Je passe sous silence les autres tentatives de récupération, forcément vouées à l'échec vu l'effort titanesque nécessaire et sans les technologies adéquates.

Près de cinq siècles plus tard, en 1928, Mussolini décide de ramener à la lumière les deux épaves. Et la solution retenue est résolument démesurée : assécher le lac (dont la profondeur maximale est de 33 mètres) !

40 millions de mètres cubes d'eau en moins (le niveau du lac ayant baissé de 22 mètres) et cinq ans après, les deux épaves étaient visibles dans toute leur splendeur et leurs proportions gigantesques : 71 x 20 m pour le premier navire (une thalamège), et 73 x 24 m pour le second, surmonté d'un temple et dédié aux cérémonies... Voici l'emplacement des épaves, près des rives du lac :


Et voici les épaves telles qu'elles apparurent aux yeux éblouis de ceux qui les mirent à jour !

Premier navire :


Deuxième navire :


Pour avoir une idée des proportions :


Mussolini décida alors de créer un musée dédié aux navires, un peu sous la forme de deux cales sèches d'un chantier naval, avec un navire par cale :


On le voit ici, en compagnie de Bottai, visiter le musée :


Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1944, un incendie détruisit totalement les deux épaves...

* * *

Le musée abrite aujourd'hui une reconstruction au 1/5e et plusieurs éléments d'intérêt, dont le timon, des bouts de rames et les ancres gigantesques, des mosaïques, des piliers et des statues de marbre, etc. J'ai également été impressionné par les clous ayant servi à construire les navires, dont certains atteignent un demi-mètre ! 


Je terminerai sur quelques photos prises au musée : un bout de rame, les ancres, et une magnifique mosaïque (qui fut d'abord volée et termina sa course aux États-Unis, avant de retrouver sa place dans le musée) !





* * *

Il y aurait des tonnes de commentaires à faire sur cette histoire, tout à fait extraordinaire, je me suis juste contenté de présenter les faits. Si vous souhaitez approfondir, de nombreuses ressources sont disponibles sur le Web, en italien bien sûr, mais aussi en français, y compris des vidéos sur leur mise au jour. 

P.S. Liens connexes en français (avec des illustrations intéressantes) :


Et sur Youtube :




jeudi 26 mai 2022

Glyphes

(40 ans aujourd'hui que j'ai quitté Bordeaux...

« En un mot, la phalange nouvelle des poètes jeunes – qui ne sont pas tous de jeunes poètes – ne veut plus (…) en art, de ce moule où chacun vient déverser, qui le plâtre, qui le plomb, qui le bronze ou le riche métal dont doit être fondue son œuvre ; elle s’attaque directement au pur bloc de marbre, dont elle façonnera d’une manière bien à elle avec son ciseau et son marteau en main, l’œuvre, toutes les œuvres qu’elle rêve. À la statique du passé, (…) elle apporte le mouvement dans l’art. »

A.-M. Gossez, 16 janvier 1910

1999. L'année où je me suis mis en tête d'écrire un recueil de sonnets, uniquement de sonnets. Pour rendre hommage à Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, certes, mais surtout à la langue française, ma patrie !

Cela fait des mois et des semaines que je cherche un point de départ, vu que je suis complètement à sec d’inspiration poétique, des jours, des semaines et des mois que je patauge dans la semoule... 

Or le déclic va se faire de la manière la plus inattendue : en allant rendre visite à mon beau-père hospitalisé au « San Francesco d’Assisi d’Oliveto Citra », j’aperçois à l’entrée de l’hôpital cette dédicace sur une plaque de marbre blanc :

Je traduis :
Que le marbre simple et austère comme sa vie 
perpétue le souvenir du Dr Michele Clemente 
qui, dans les murs de l’ancien couvent franciscain, 
voulut cet hôpital, le dirigea et le défendit

L'alexandrin deviné dans cette dédicace m'éblouit :

Que le marbre simple et austère perpétue...

Mon recueil était né ! Ces douze premiers pieds seront suivis de 2799 autres vers : 200 sonnets ! Que je réunirai un jour dans un recueil intitulé ... de sansonnet :-)

Du reste ce n'est pas qu'un jeu de mots, non. Roupie ou piroue...tte, choses de peu d'importance, mais quand même...

« Que le marbre simple et austère perpétue » a donc donné naissance à mes trois premiers sonnets, intitulés « Triptyque marmoréen » : Pureté - Volonté - Unité.

Pureté, le premier à être écrit et commençant par ce magnifique alexandrin, fut composé à Cava de' Tirreni le lundi 18 octobre 1999, après avoir rendu visite à mon beau-père le week-end.

La formidable aventure de milliers d'alexandrins (2800 pour être précis), part donc de ces douze pieds ! Toutefois il ne s'agit pas d'un long poème de 2800 vers, mais de 200 sonnets de 14 vers, nuance, chaque sonnet traduisant un message, une émotion, un coup de cœur, que sais-je...

Comme le dit si bien Jean-François Marmontel (Éléments de littérature, entrée "Vers", Tome VI, 1787) :

Ainsi la gêne et la monotonie sont pour les longs poëmes, et les plus courts ont le double avantage de la liberté et de la variété.

Parfait jugement ! Donc de l'art à l'artisan ou au métier, de la sculpture au sculpteur, il n'y a qu'un pas : c'est ainsi que le « Triptyque marmoréen » finit par s'intituler Sculpteur ! Et le recueil censé s’appeler à l’origine « Glyphes », « Glyptique », avec l’intention ci-après :

À partir de la sculpture, passer à la fonte et aux métaux… 

« Le poète façonne la forme vers, il est ouvrier du matériau le plus noble à la fois et le plus utile, le métal langue. Ce que Dante saisit dans le vers célèbre : il miglior fabbro del parlar materno [le meilleur forgeron du parler maternel] (Purgatoire, chant XXVI, vers 117) in Jacques Roubaud, La Vieillesse d’Alexandre, p. 49 » 

Puis aux différents métiers artisanaux, en essayant de composer un sonnet par métier : regrouper la terminologie propre à chaque métier, et faire (ou tenter pour le moins) à chaque fois un parallèle avec le poète. 

Comparer aussi avec les autres arts, le peintre devant sa toile, le musicien face à la partition, etc. Cela ouvre un vaste champ d’investigation à la rédaction de Glyptique… 

La préface de Glyptique était la suivante : 

Avant de conclure : 

Nous sommes le 2 novembre 1999, il est 11h50’ et la rédaction de Glyptique est en train de prendre une tournure inattendue : mon idée initiale d’insérer plusieurs sonnets traitant chacun d’un corps de métier différent devient petit à petit l’envie de traiter du travail de l’homme dans toute sa noblesse ! Demain, Glyptique pourrait bien s’intituler : Du Travail !… 

« Le travail de l’homme dans toute sa noblesse » : un bel alexandrin :-) 

Du Travail ! est né…

... de ce premier triptyque : 

Et Pureté le premier de 200 sonnets :


Dans la foulée je vais écrire les 70 premiers sonnets en 7 mois (octobre 1999 - mai 2000) pour boucler Du Travail !

*

Suivis de 70 autres sonnets en 7 mois (juin - décembre 2000) pour composer L'Île...

Jaillie d'une idée simple : las de ne jamais être entendu (j'avais déjà envoyé des dizaines et des dizaines de manuscrits au fil des ans, en collectionnant un beau florilège de réponses négatives), je me faisais l'effet d'un naufragé abandonné sur une île perdue dans l'océan, dont les maux et cris rejoignaient

Les fous des asiles qui gueulent à la lune
Et les loups des déserts qui hurlent à la mort
Sont frères de race unis dans leur solitude
Errant le long des jours comme on traîne un remords

Un Écorché vif joint son cri à ce tumulte

Dont acte. 

*

Je réunirai ensuite ces 140 sonnets (écrits en 14 mois, soit une moyenne de 10 sonnets / mois) dans An 2000 (Diptyque en vers et contre tout), composé de 2000 alexandrins ainsi répartis : un quintil en épigraphe (voir ci-dessus), 141 sonnets et un chant de vingt et un vers (conçu sur un modèle de ballade royale, intitulé Artiste / Artisan et comprenant cinq quatrains et un 21e vers isolé, une manière d’envoi aux 1000 alexandrins qui le précédaient en concluant Du Travail !).

Quant au sonnet initial en plus, c'est une tentative de définition de cette forme poétique sous forme de pirouette :

*
Vous me direz, 141 sonnets, le compte n'y est pas. Et vous aurez parfaitement raison. Mais les 59 autres sonnets sont ma partie réservée, ma chasse gardée en quelque sorte. Du moins pour l'instant. Chaque chose a son temps. En attendant, si quelqu'un a le désir d'en savoir plus en lisant ce billet, je vous ferai volontiers présent du PDF d'An 2000, il suffit de demander !

samedi 30 octobre 2021

Facebook devient Meta !


Il y a dix jours, un scoop de The Verge m'a vraiment étonné : Facebook envisage de renommer l'entreprise avec une nouvelle marque !

Comme nous l'explique Wikipédia, le rebranding est une stratégie de marketing dans laquelle un nouveau nom, terme, symbole, design, concept ou combinaison de ceux-ci est créé pour une marque établie avec l'intention de développer une nouvelle identité différenciée dans l'esprit des consommateurs, des investisseurs, des concurrents et d'autres parties prenantes.

Or dire que Facebook est une marque établie est un euphémisme, un understatement diraient les anglais : Facebook est la quinzième marque la plus connue au monde ! (Source : Best Global Brands 2021)


Pour une entreprise née il y a 17 ans, en 2004 !

*

J'ai commencé à parler de Facebook sur ce blog en 2007, trois ans plus tard. Au début du mois d'octobre précisément. En novembre, soit un mois et demi plus tard, mon blog était positionné en première page des résultats de Google sur la requête Facebook ! (Voir aussi mes 7 conseils de l'époque pour se positionner sur la première page de résultats de Google)... Depuis, deux des billets rédigés parmi des dizaines ont été lus près de 210000 fois : Facebook et Facebook annonce Facebook Ads... À l'époque je m'intéressais de très près à tout ce qui bougeait sur le Web, et le trio de tête était composé de GYM : Google, Yahoo!, Microsoft, bien que... Autres temps, l'eau a coulé sous les ponts depuis : il y a eu les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), puis jusqu'à hier les ténors étaient FAANG (Facebook, Apple, Amazon, Netflix, Google), mais demain ?

*

Cette parenthèse pour dire que l'argument Facebook ne m'est pas tout à fait inconnu, ainsi que tout ce qui touche au Web, quelqu'un m'appelait même Monsieur Google... Ça me fait sourire aujourd'hui, mais alors j'en étais très fier. Autre argument sur lequel j'avais une bonne expérience, dès 2009, la création de noms de marque... Grâce à mon ami Jean-Philippe Hermand, grand créateur de noms devant l'Éternel, qui a inventé le nom Kadjar (dont il m'avait expliqué les secrets de la création mais que j'ai oubliés depuis) avant de nous quitter définitivement. RIP Jean-Philippe, merci pour ta gentillesse et ton intelligence !

*

Donc si vous mettez ces deux éléments ensemble, vous comprendrez que le rebranding de Facebook m'interpellait particulièrement. Personnellement, c'est une info totalement inattendue. Penser que la 15e marque au monde doive se réinventer une deuxième fois (d'abord de The Facebook à Facebook) à moins de 20 ans de sa création (plutôt mouvementée...) me laisse perplexe. 

En lisant les infos anglo-saxonnes ces jours-ci sur Facebook, la plupart des analystes penchent pour une seule explication à ce rebranding : en gros, faire oublier la passe difficile que traverse la société de Zuckerberg pour moultes raisons... Ce n'est pas mon avis. Ça peut certainement aider, mais ce n'est sûrement pas le but premier.

Zuckerberg a toujours été un grand incompris (aucune ironie dans mon propos, je le pense vraiment). Durant les premières années de Facebook, des tonnes d'encre ont coulé sur les 2 grandes questions du moment : quel est son modèle économique, quelle est sa valorisation ? Sans jamais trouver de réponse adéquate ni argumentée qui fût proche de la réalité. Les analystes en perdaient le nord. Pourquoi je ne crois plus en Facebook en est un bon exemple : ce billet, dont Frédéric Cavazza assure qu'il l'a traîné comme un boulet pendant des années, résume plutôt bien les doutes largement partagés à l'époque sur l'avenir de Facebook :

  • La croissance et l’audience de Facebook sont largement surévaluées 
  • L’écosystème mis en place autour de la Facebook Platform ne tiendra pas ses promesses 
  • Les modèles publicitaires présentés récemment sont bancals
  • La concurrence avec d’autres plateformes sociales va être très rude

Difficile de se planter davantage ! Et nous savons depuis ce qu'il en est. Donc contrairement à tous les avis qui lui étaient opposés, Zuckerberg avait une vision, sa vision, de ce que Facebook serait devenu. Je suis même certain que sa vision restait bien en-deçà de ce que Facebook est réellement devenu. Google et Microsoft tournaient déjà autour de la proie (mon analyse à l'époque), mais il est certain que si Microsoft avait fait un jour l'acquisition de Facebook, Facebook ne serait jamais devenue ce qu'elle est (de même que si Microsoft avait fait un jour l'acquisition de Google, Google ne serait jamais devenue ce qu'elle est...).

Or ce qui se passe aujourd'hui est très semblable à ce qui s'est passé hier : Zuckerberg a une vision de ce que Meta devrait devenir, sa vision, qu'il est probablement le seul à avoir, hic et nunc. Et vu les antécédents, il convient de le prendre - très - au sérieux, compte tenu notamment des moyens que Zuckerberg déploie pour donner corps à cette vision. Un pari sur lequel il mise énormément (sans aucune certitude de récupérer sa mise) en vue de souligner la priorité qu'il accorde au métaverse : « une nouvelle phase d'expériences virtuelles interconnectées utilisant des technologies telles que la réalité virtuelle et la réalité augmentée », en pariant que ces technologies seront le fondement de la prochaine plateforme informatique après le smartphone...

Personnellement je ne comprends rien à cette vision, pour moi c'est de la science-fiction pure, or je n'ai jamais cru en la science-fiction, et l'avenir nous dira si Zuckerberg a vraiment pris la voie de l'inévitabilité :

*

Après cette longue introduction, nécessaire, venons-en au but de ce billet, à savoir l'analyse de la dénomination sociale et du logo choisis par Zuckerberg pour accompagner ce changement. 

Spoiler : le choix du nom autant que du logo est un coup de maître ! 

Durant les dix jours qui se sont écoulés entre le scoop du rebranding et le dévoilement du nom et du logo, je n'ai cessé de penser à ce que Zuckerberg nous aurait annoncé, et indépendamment de l'annonce j'avais déjà décidé d'écrire ce billet, pour vous proposer mon analyse du nom et du logo... 

Analyse du nom 

Il n'y a pas si longtemps encore, jamais je n'avais entendu parler du "Metaverse", "Métavers" en français. Jusqu'à l'annonce de l'embauche des 10000 collaborateurs par Facebook. 

Metaverse est formé sur le même modèle qu'Universe, d'où Métavers francisé (je suis certain que je serai bien incapable d'utiliser ce terme en français), sur le calque d'univers...

Selon le Robert Historique de la Langue Française, l'étymologie d'univers est la suivante :

substantivation (v. 1530, dans Marot), d'après le latin universum, de universe monde (v. 1175), où le mot est adjectif. C'est un emprunt au latin universus qualifiant la totalité d'une chose comme telle, formant des expressions avec mundus, orbis, terra. Universus, « intégral », proprement « tourné de manière à former un ensemble », est composé de unus (→ un) et de versus, participe passé passif de vertere « tourner » (→ vers). Le substantif universum traduit le grec to holon « le tout » (→ holo-). 

C'est d'abord l'adjectif univers qui est employé en français, au sens latin d'« entier, dans sa plus grande extension », d'où en universe « en tout » (v. 1300), puis la spécialisation pour exprimer la totalité géographique, dans le monde universe (XIIIe et XIVe siècles), le monde univers (v. 1300), d'après le latin mundus universus, puis le globe univers (1531) et l'empire univers « le gouvernement de la terre entière » (1534).

Premier constat : universe s'utilisait comme tel en français, avec le sens de totalité d'une chose comme telle, entier, dans sa plus grande extension, en tout, jusqu'à l'acception d'empire univers, « le gouvernement de la terre entière » !

Quant au préfixe "Meta", je twittais hier :

Là encore, le Robert Historique de la Langue Française nous vient en aide :

Meta a probablement signifié en grec ancien « au milieu de », mais il a divergé dans de multiples directions : avec le génitif et le datif, il signifie « parmi », d'où avec le génitif « avec » et avec le datif « entre ». Par extension du sens dynamique de « pour se rendre au milieu de », il a pris celui de « vers, à la recherche de », d'où « à la suite, derrière », y compris avec une valeur temporelle.

Quant à la première acception, elle est tirée du latin du même nom, qui désignait tout objet de forme conique ou pyramidale, comme un tas de foin, ou, plus spécialement, les colonnes (généralement trois) placées aux deux extrémités d'un cirque romain, sous la forme de bornes coniques, voire d'obélisques,  qui délimitaient le mur central (spina) et autour desquelles les chars devaient tourner pour repartir dans l'autre sens. D'où la notion de but, de ligne d'arrivée. 


Au rugby, la "meta" est l'essai.

Pour l'anecdote, "meta" signifiait également bouse de vache... 

*

Maintenant que nous avons fouillé un peu les différents sens de "metaverse", résumons-les tous en un ensemble unitaire : 

metaverse monde, en tout, entier, dans sa plus grande extension, mais aussi empire metaverse (gouvernement virtuel de la terre entière), au milieu de, but, ligne d'arrivée...

Je ne sais pas vous, mais je suis impressionné ! Et je le suis encore plus en associant ce qui précède au logo !

Mon analyse du logo

Dans un tweet faisant suite au premier, j'ajoutais :


Car le logo aussi vaut son pesant d'or, qui évoque le symbole de l'infini, cette espèce de 8 couché représentant une boucle sans fin !

L'infini, un sens qui s'ajoute et s'amalgame à tous ceux évoqués par le nom, mais pas que :


Cette forme suggère donc l'infini, mais aussi la forme esquissée d'une console de jeu, ou encore des lettres, le double O de FacebOOk, le M de Messenger ou d'InstagraM, et inversé le W de Whatsapp !


Génial ! Un poil hégémonique mais génial, du grand art, je suis admiratif...

*

« Nomen Omen » disaient les anciens, quand le nom devient un présage qui englobe votre destinée. Autant je me sens étranger à la vision de Zuckerberg, autant je suis bien obligé de reconnaître l'absolue cohérence de sa nouvelle image de marque, logo + nom :

Et si l'image de marque traduit fidèlement la vision de Zuckerberg, cela signifie à la fois au milieu et aux deux extrémités de l'infini, but et ligne d'arrivée, metaverse monde virtuel pour gouverner la terre entière...

Il n'y aurait plus qu'à fondre logo et nom !


Une vision ambitieuse, le moins qu'on puisse dire, l'avenir nous dira si cette fois encore Zuckerberg aura eu raison !


P.S. Et au final, je suis sûr que Meta ne sera plus reconnaissable dans le monde que par son seul logo, sans le nom, à l'instar d'Apple ou de Nike... 

P.S.2. Je ne crois pas qu'en Israël ils auront la même idée que moi ! Via Phil Jeudy.