dimanche 20 novembre 2022

La formidable occasion manquée de @Paris2024

Il y a bientôt 5 ans (juin 2018) je publiais sur ce même blog mon projet Glocalize @Paris2024 (voir pitch), relayé dès le lendemain sur Twitter et transmis à tous les intervenants (voir thread) impliqués de près ou de loin dans la préparation des JO 2024 :
Naturellement, il est clair que je n'ai jamais eu aucune réponse ni le moindre contact de quiconque...
 
Le sous-titre en était « ou comment créer une dynamique sociale planétaire autour de @Paris2024… », où « sociale » avait surtout le sens de « populaire » !

Impliquer les gens, à grande échelle. Avec une recette simple et peu coûteuse, mise en œuvre sur le site Glocalyze créé pour l'occasion.

Malheureusement, la structure qui préside l'organisation des jeux est de type pyramidale, dans la plus pure tradition macronienne, où toutes les décisions sont prises au sommet, qui ruissellent éventuellement à travers les corps intermédiaires, jusqu’ici, tout va bien, mais s’arrêtent systématiquement juste un cran avant d’arriver à la base, à qui elles s’imposent sans que celle-ci n'ait la possibilité d’avoir son mot à dire…

Nous en avons eu cette semaine un exemple frappant avec le "lancement" des mascottes !

Lundi 14 novembre 2022 :
Les Phryges sont annoncé(e)s à grand renfort de communications sur Twitter et les réseaux sociaux, dans la presse, à la radio, à la télé, etc. L'imposant orchestre médiatique est lancé, et il est clair que la décision vient d'en haut, planifiée comme il se doit.

Mais comment le public accueillera-t-il ces phryges, dont on ne sait au premier abord si le substantif est masculin ou féminin ! Androgynes, probablement.

Déjà, sur le nom, les premières critiques se font jour pour en souligner la difficulté de prononciation, qui plus est pour les étrangers, et sa portée trop franco-française alors qu'il devra(it) parler au monde entier.

Un nom choisi parce que le « bonnet phrygien est un symbole de liberté. Parce qu’il nous est familier, dans l'histoire, dans les arts, dans nos mairies et dans nos écoles, il représente aussi cette identité et cet esprit français. » Certes. Mais familier, ça reste à prouver. Et surtout inadapté à une initiative planétaire telle que les JO. Quant à la grandeur de la France et de sa révolution, elle commence à être loin derrière. 

Et Tony Estanguet d'ajouter : « ... nous voulions des mascottes qui soient porteuses de sens. Plutôt qu’un animal, nos mascottes représentent un idéal ! »

De toute évidence une phrase qui ne doit pas être de son cru, tellement ça sent le slogan pondu à la va-vite par quelque communicant laborieux et mal réveillé, avec la fiente encore tout autour de la coquille… vide ! 

Or les gens n’en peuvent plus des jolis slogans pleins de mots vides de sens que contredisent systématiquement les faits et les actes !

Car il ne suffit pas de prétendre en mode assertif que les « mascottes ... sont le lien émotionnel entre les Jeux et les gens » (soit dit en passant, il eut mieux valu écrire « les mascottes ... sont le lien émotionnel entre les jeux et les Gens ») pour que ce soit vrai !

J'en veux pour preuve qu'une semaine après le lancement, il n'y a pas un seul résultat sur le hashtag #prhyges (MàJ - 23h : autant pour moi, le bon hashtag est #phryges, s'il en est, un bon exemple de la difficulté de prononcer et ... d'écrire ce nom, je suis en bonne compagnie :-)


Quant au graphisme, n'en parlons pas : les mascottes ont immédiatement été renommées "Clito" dans le grand public, images à l'appui :


Il n'y a pas à dire, un véritable succès, à mettre au crédit de Tony Estanguet et de sa phénoménale équipe de consultants (bénévoles ?) !

*

Je suis très remonté contre cette façon macronienne de considérer que la base de la pyramide est constituée de millions de gens qui ne sont rien, mais bien cons quand même !

Car dès qu'il faut les mettre à contribution, la direction d'en haut ne tarit plus d'éloges. Dès l'année dernière, elle annonçait vouloir recruter "jusqu'à 50000 volontaires" en 2023 et jusqu'en 2024 :


Que de jolis mots... Et encore « visages et incarnation de Paris 2024, ambassadeurs » (selon Alexandre Morenon-Condé), etc. etc.

Via un portail de recrutement. Las, le choix des mots n'est pas innocent :  "recrutement" est le substantif du verbe "recruter", terme militaire par excellence qui signifie originellement "faire des recrues". Le sens étymologique de "recrue" étant "recru, épuisé, harassé de fatigue"... 

Loin de moi l'idée de remettre en question la valeur intrinsèque du bénévolat ou les motivations authentiques et sincères des volontaires, mais je suis horrifié par la manipulation permanente qu’en font les décideurs d’en haut, et de constater que, globalement, ça passe crème auprès de l’opinion publique, dans sa grande majorité.

J'y vois un parallèle évident avec le peuple souverain, qui ne compte absolument rien et dont tout le monde se fout entre deux élections… mais dont la souveraineté et l'importance sont revendiquées haut et révérées sans vergogne en période électorale ! On connaît la suite.

Je conclurai donc ce billet sur un appel ouvert au grand chef : 
Monsieur Tony Estanguet,
Vous aviez la possibilité d’impliquer et de faire participer les gens, qui forment la base de la pyramide, dans l’organisation de ces jeux, pas seulement pour les faire « ambassadeurs » lorsque vous le décrétez et d'autant plus fortement que ça ne coûte rien, mais au quotidien afin de créer une dynamique populaire planétaire géante autour de @Paris2024… Or vous ne l’avez pas saisie, mais peut-être êtes-vous encore à temps ! 
@Paris2024, à ce jour une formidable occasion manquée ! Ou non ?


mardi 31 mai 2022

La colossale aventure des navires romains du lac de Nemi

Le 31 mai 1944, il y a 78 ans aujourd'hui, un incendie consuma totalement les vestiges uniques au monde des deux navires romains du lac de Nemi...

Le lac de Nemi vu du côté du Musée des navires romains de Nemi

Environ la moitié du lac, vue depuis Nemi 

* * *

À une trentaine de kilomètres au sud-est de Rome se trouve une zone connue sous le nom de « Châteaux romains », qui correspond aux Colli Albani et se déploie autour de deux lacs d'origine volcanique : le lac d'Albano et le lac de Nemi.


Le lac de Nemi, qui est le plus petit, et le plus charmant, abrita pendant près de 2000 ans l'histoire mystérieuse de deux navires romains dont la construction est attribuée à la folie mégalomane de Caligula (après la découverte sur les épaves de tuyaux de plomb, ou fistules, portant son nom). 

La présence de ces navires enfouis au fond du lac fut longtemps considérée comme une légende. En réalité, ils furent coulés après que le Sénat romain les ait frappés de damnatio memoriæ pour effacer le souvenir damné de Caligula (puis de Néron). Mais le fait que les pêcheurs du lac de Nemi remontaient parfois dans leurs filets quelques bouts d'épave indiquait bien que les eaux cachaient quelque chose.

Au point qu'en 1446 le cardinal Prospero Colonna, seigneur de Nemi (entre autres...), donna mission à Leon Battista Alberti (un génie que les italiens considèrent un peu comme le précurseur de Léonard de Vinci) de ramener à la surface un navire échoué :

Le cardinal Colonna l'avait appelé pour diriger les restaurations de ses jardins et de sa villa de Mécenate, et pour extraire des eaux du lac de Némi un navire échoué, disait-on, depuis l'époque de Trajan. Alberti en prit prétexte pour écrire un opuscule, Navis, où il étudie les meilleures formes des navires et le combat naval.

L'opuscule s'est perdu depuis, et l'opération (qui dura 3 ans : 1446-1448) fut un fiasco mais permit pour le moins de constater qu'il y avait bel et bien les restes d'un navire. Deux en fait, mais il faudra quelques siècles de plus pour s'en apercevoir. Je passe sous silence les autres tentatives de récupération, forcément vouées à l'échec vu l'effort titanesque nécessaire et sans les technologies adéquates.

Près de cinq siècles plus tard, en 1928, Mussolini décide de ramener à la lumière les deux épaves. Et la solution retenue est résolument démesurée : assécher le lac (dont la profondeur maximale est de 33 mètres) !

40 millions de mètres cubes d'eau en moins (le niveau du lac ayant baissé de 22 mètres) et cinq ans après, les deux épaves étaient visibles dans toute leur splendeur et leurs proportions gigantesques : 71 x 20 m pour le premier navire (une thalamège), et 73 x 24 m pour le second, surmonté d'un temple et dédié aux cérémonies... Voici l'emplacement des épaves, près des rives du lac :


Et voici les épaves telles qu'elles apparurent aux yeux éblouis de ceux qui les mirent à jour !

Premier navire :


Deuxième navire :


Pour avoir une idée des proportions :


Mussolini décida alors de créer un musée dédié aux navires, un peu sous la forme de deux cales sèches d'un chantier naval, avec un navire par cale :


On le voit ici, en compagnie de Bottai, visiter le musée :


Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1944, un incendie détruisit totalement les deux épaves...

* * *

Le musée abrite aujourd'hui une reconstruction au 1/5e et plusieurs éléments d'intérêt, dont le timon, des bouts de rames et les ancres gigantesques, des mosaïques, des piliers et des statues de marbre, etc. J'ai également été impressionné par les clous ayant servi à construire les navires, dont certains atteignent un demi-mètre ! 


Je terminerai sur quelques photos prises au musée : un bout de rame, les ancres, et une magnifique mosaïque (qui fut d'abord volée et termina sa course aux États-Unis, avant de retrouver sa place dans le musée) !





* * *

Il y aurait des tonnes de commentaires à faire sur cette histoire, tout à fait extraordinaire, je me suis juste contenté de présenter les faits. Si vous souhaitez approfondir, de nombreuses ressources sont disponibles sur le Web, en italien bien sûr, mais aussi en français, y compris des vidéos sur leur mise au jour. 

P.S. Liens connexes en français (avec des illustrations intéressantes) :


Et sur Youtube :




jeudi 26 mai 2022

Glyphes

(40 ans aujourd'hui que j'ai quitté Bordeaux...

« En un mot, la phalange nouvelle des poètes jeunes – qui ne sont pas tous de jeunes poètes – ne veut plus (…) en art, de ce moule où chacun vient déverser, qui le plâtre, qui le plomb, qui le bronze ou le riche métal dont doit être fondue son œuvre ; elle s’attaque directement au pur bloc de marbre, dont elle façonnera d’une manière bien à elle avec son ciseau et son marteau en main, l’œuvre, toutes les œuvres qu’elle rêve. À la statique du passé, (…) elle apporte le mouvement dans l’art. »

A.-M. Gossez, 16 janvier 1910

1999. L'année où je me suis mis en tête d'écrire un recueil de sonnets, uniquement de sonnets. Pour rendre hommage à Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, certes, mais surtout à la langue française, ma patrie !

Cela fait des mois et des semaines que je cherche un point de départ, vu que je suis complètement à sec d’inspiration poétique, des jours, des semaines et des mois que je patauge dans la semoule... 

Or le déclic va se faire de la manière la plus inattendue : en allant rendre visite à mon beau-père hospitalisé au « San Francesco d’Assisi d’Oliveto Citra », j’aperçois à l’entrée de l’hôpital cette dédicace sur une plaque de marbre blanc :

Je traduis :
Que le marbre simple et austère comme sa vie 
perpétue le souvenir du Dr Michele Clemente 
qui, dans les murs de l’ancien couvent franciscain, 
voulut cet hôpital, le dirigea et le défendit

L'alexandrin deviné dans cette dédicace m'éblouit :

Que le marbre simple et austère perpétue...

Mon recueil était né ! Ces douze premiers pieds seront suivis de 2799 autres vers : 200 sonnets ! Que je réunirai un jour dans un recueil intitulé ... de sansonnet :-)

Du reste ce n'est pas qu'un jeu de mots, non. Roupie ou piroue...tte, choses de peu d'importance, mais quand même...

« Que le marbre simple et austère perpétue » a donc donné naissance à mes trois premiers sonnets, intitulés « Triptyque marmoréen » : Pureté - Volonté - Unité.

Pureté, le premier à être écrit et commençant par ce magnifique alexandrin, fut composé à Cava de' Tirreni le lundi 18 octobre 1999, après avoir rendu visite à mon beau-père le week-end.

La formidable aventure de milliers d'alexandrins (2800 pour être précis), part donc de ces douze pieds ! Toutefois il ne s'agit pas d'un long poème de 2800 vers, mais de 200 sonnets de 14 vers, nuance, chaque sonnet traduisant un message, une émotion, un coup de cœur, que sais-je...

Comme le dit si bien Jean-François Marmontel (Éléments de littérature, entrée "Vers", Tome VI, 1787) :

Ainsi la gêne et la monotonie sont pour les longs poëmes, et les plus courts ont le double avantage de la liberté et de la variété.

Parfait jugement ! Donc de l'art à l'artisan ou au métier, de la sculpture au sculpteur, il n'y a qu'un pas : c'est ainsi que le « Triptyque marmoréen » finit par s'intituler Sculpteur ! Et le recueil censé s’appeler à l’origine « Glyphes », « Glyptique », avec l’intention ci-après :

À partir de la sculpture, passer à la fonte et aux métaux… 

« Le poète façonne la forme vers, il est ouvrier du matériau le plus noble à la fois et le plus utile, le métal langue. Ce que Dante saisit dans le vers célèbre : il miglior fabbro del parlar materno [le meilleur forgeron du parler maternel] (Purgatoire, chant XXVI, vers 117) in Jacques Roubaud, La Vieillesse d’Alexandre, p. 49 » 

Puis aux différents métiers artisanaux, en essayant de composer un sonnet par métier : regrouper la terminologie propre à chaque métier, et faire (ou tenter pour le moins) à chaque fois un parallèle avec le poète. 

Comparer aussi avec les autres arts, le peintre devant sa toile, le musicien face à la partition, etc. Cela ouvre un vaste champ d’investigation à la rédaction de Glyptique… 

La préface de Glyptique était la suivante : 

Avant de conclure : 

Nous sommes le 2 novembre 1999, il est 11h50’ et la rédaction de Glyptique est en train de prendre une tournure inattendue : mon idée initiale d’insérer plusieurs sonnets traitant chacun d’un corps de métier différent devient petit à petit l’envie de traiter du travail de l’homme dans toute sa noblesse ! Demain, Glyptique pourrait bien s’intituler : Du Travail !… 

« Le travail de l’homme dans toute sa noblesse » : un bel alexandrin :-) 

Du Travail ! est né…

... de ce premier triptyque : 

Et Pureté le premier de 200 sonnets :


Dans la foulée je vais écrire les 70 premiers sonnets en 7 mois (octobre 1999 - mai 2000) pour boucler Du Travail !

*

Suivis de 70 autres sonnets en 7 mois (juin - décembre 2000) pour composer L'Île...

Jaillie d'une idée simple : las de ne jamais être entendu (j'avais déjà envoyé des dizaines et des dizaines de manuscrits au fil des ans, en collectionnant un beau florilège de réponses négatives), je me faisais l'effet d'un naufragé abandonné sur une île perdue dans l'océan, dont les maux et cris rejoignaient

Les fous des asiles qui gueulent à la lune
Et les loups des déserts qui hurlent à la mort
Sont frères de race unis dans leur solitude
Errant le long des jours comme on traîne un remords

Un Écorché vif joint son cri à ce tumulte

Dont acte. 

*

Je réunirai ensuite ces 140 sonnets (écrits en 14 mois, soit une moyenne de 10 sonnets / mois) dans An 2000 (Diptyque en vers et contre tout), composé de 2000 alexandrins ainsi répartis : un quintil en épigraphe (voir ci-dessus), 141 sonnets et un chant de vingt et un vers (conçu sur un modèle de ballade royale, intitulé Artiste / Artisan et comprenant cinq quatrains et un 21e vers isolé, une manière d’envoi aux 1000 alexandrins qui le précédaient en concluant Du Travail !).

Quant au sonnet initial en plus, c'est une tentative de définition de cette forme poétique sous forme de pirouette :

*
Vous me direz, 141 sonnets, le compte n'y est pas. Et vous aurez parfaitement raison. Mais les 59 autres sonnets sont ma partie réservée, ma chasse gardée en quelque sorte. Du moins pour l'instant. Chaque chose a son temps. En attendant, si quelqu'un a le désir d'en savoir plus en lisant ce billet, je vous ferai volontiers présent du PDF d'An 2000, il suffit de demander !