mercredi 27 février 2013

Les mots guerriers de Beppe Grillo

Je suis en train de préparer un long billet sur Grillo, pour tenter de faire comprendre ce que lui et son mouvement représentent, vu que cela pourrait bien finir par avoir de fortes répercussions hors des frontières italiennes. En attendant, plus qu'une traduction, voici mon adaptation personnelle de ces "mots guerriers" de Beppe Grillo, qui font partie d'une lettre ouverte aux italiens :
Prisonniers de la nuit, nous cherchions à tâtons une sortie de secours, pensant ne plus pouvoir y échapper. On nous avait dit que portes et fenêtres étaient condamnées, qu’il n’y avait aucune autre issue. C’est alors qu’un flot de paroles et de pensées nous a frappé, provenant d’on ne sait où. De dehors. De dedans. Du Web, de la rue. Paroles de paix. Paroles de paix et mots guerriers en même temps. On s’en est servis comme torches dans la nuit, clés pour ouvrir des verrous et partir, ailleurs, vers des lieux inconnus, vers nous-mêmes. Maintenant nous voici à lair libre, en pleine lumière, pas encore pleinement habitués. On cligne les yeux avec la peur au ventre, rien de plus normal, en sachant toutefois que c’est l’unique voie possible, la seule à parcourir. Jamais dans toute l’histoire des démocraties modernes, ce qui se passe aujourd’hui en Italie ne s’est produit auparavant. Une révolution démocratique non-violente qui déracine les pouvoirs établis, renverse les pyramides. Il a suffi de trois ans pour que le citoyen se fasse État et entre au Parlement. Finalement nous réalisons que les portes fermées c’était nous, que les mots guerriers nous habitaient depuis longtemps mais qu’ils restaient dans nos gorges et nos cœurs, qu’on croyait être seuls alors que nous étions une multitude. À présent nous sommes surpris de voir tant de gens, tant d’inconnus, pleins des mêmes pensées, des mêmes espoirs, des mêmes peurs, à présent nous nous reconnaissons et partageons les mêmes mots guerriers. Ces mots belliqueux, abandonnés depuis longtemps, qui avaient fini par perdre tout leur sens, deviennent aujourd’hui des armes puissantes dont on se sert pour tout changer, pour bouleverser une réalité artificielle où la finance est l’économie, le mensonge est la vérité, la guerre est la paix, la dictature est la démocratie. Des mots guerriers, à la fois neufs et vieux, tels que communauté, honnêteté, participation, solidarité, soutenabilité, qui résonnent comme un coup de tonnerre et partout se propagent pour anéantir une politique dépassée. Nous avons enfin pris conscience de la réalité, conscients qu’il ne nous faudra plus compter que sur nos propres forces, que le pays est en ruines, et que des moments difficiles, très difficiles, nous attendent, qu’il y aura des tensions, des problèmes, des conflits, mais le chemin est tracé. Finalement nous l’avons trouvé et il nous conduit vers l’avenir, un avenir probablement plus pauvre, mais sûrement plus vrai, plus concret, solidaire et heureux. Une nouvelle Italie nous attend. C’est beau d’en faire partie.
Si vous voulez l'entendre de sa voix, je vous propose la vidéo, et le texte original à suivre.

 

Cercavamo una porta per uscire. Eravamo prigionieri del buio. Pensavamo di non farcela. Ci avevano detto che le finestre e le porte erano murate. Che non esisteva un’uscita. Poi abbiamo sentito un flusso di parole e di pensieri che veniva da chissà dove. Da fuori. Da dentro. Dalla Rete, dalle piazze. Erano parole di pace, ma allo stesso tempo parole guerriere. Le abbiamo usate come torce nel buio, come chiavi da girare nella serratura per andare altrove, in posti sconosciuti, verso noi stessi. E ora siamo fuori, siamo usciti nella luce e non ci siamo ancora del tutto abituati. Stringiamo gli occhi e, anche se sappiamo che stiamo percorrendo l’unica via possibile, abbiamo qualche timore, ed è normale. Quello che sta succedendo ora in Italia non è mai successo prima nella storia delle democrazie moderne. Una rivoluzione democratica, non violenta, che sradica i poteri, che rovescia le piramidi. Il cittadino che si fa Stato ed entra in Parlamento in soli tre anni. Abbiamo capito che eravamo noi quella porta chiusa, che le parole guerriere erano da tempo dentro di noi, ma non volevano venire fuori, pensavamo di essere soli e invece eravamo moltitudine. E adesso siamo sorpresi che così tante persone a noi del tutto sconosciute avessero i nostri stessi pensieri, le nostre speranze, le nostre angosce. Ci siamo finalmente riconosciuti uno nell’altro e abbiamo condiviso parole guerriere. Parole che erano state abbandonate da tempo, di cui si era perso il significato, sono diventate delle armi potenti che abbiamo usato per cambiare tutto, per ribaltare una realtà artificiale dove la finanza era economia, la menzogna era verità, la guerra era pace, la dittatura era democrazia. Parole guerriere dal suono nuovo e allo stesso tempo antichissimo, come comunità, onestà, partecipazione, solidarietà, sostenibilità si sono propagate come un’onda di tuono e sono arrivate ovunque annientando la vecchia politica. Siamo diventati consapevoli della realtà. Sappiamo che possiamo contare solo sulle nostre forze, che il Paese è in macerie e che quello che ci aspetta sarà un periodo molto difficile, ci saranno tensioni, problemi, conflitti, ma la via è tracciata. L’abbiamo trovata questa via e ci porta verso il futuro, un futuro forse più povero, ma vero, concreto, solidale e felice. C’è una nuova Italia che ci aspetta. Sarà bellissimo farne parte.
Beppe Grillo 

mardi 26 février 2013

L'Italie de Grillo et de son mouvement, premier parti politique italien !

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire en citant Olivier Duhamel :
« Peu de pays sont aussi intéressants à étudier que l’Italie. Peu de pays sont aussi difficiles à comprendre pour un étranger que l’Italie. »
Au lendemain d'un énième retour sur la scène de Berlusconi, je me rappelle avoir lu un vieux tweet qui disait à peu près ceci : « Mais c'est quoi leur problème aux italiens » ?

Aujourd'hui, au-delà de la situation de crise généralisée commune à beaucoup de pays, sinon tous, je dirais que le principal problème des italiens, c'est qu'ils en ont marre de se faire voler depuis des décennies même ce qu'ils n'ont plus, par la plupart des partis politiques, sinon tous, qui se sont succédés au pouvoir depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Car de la démocratie chrétienne au parti socialiste de Craxi, puis des différents partis de Berlusconi aux différents partis de "gauche" qui s'alternent depuis maintenant 20 ans en passant par la Ligue du Nord, ce n'est qu'un saccage permanent de toutes les richesses du pays (et notamment des richesses économiques produites par le bon peuple) par une classe politique famélique corrompue jusqu'à la moelle, qui privatise les bénéfices à l'avantage de quelques-uns (des politiques et de leurs tribus aux clans et mafias de toutes sortes, en passant par les cols blancs au service de cette faune interlope et criminelle) et pour compenser socialise les pertes sur le dos des citoyens subjugués (étymologiquement : sous le joug, totalement soumis...), gentil troupeau taillable et corvéable à l'infini...

Hier la notion magique c'était "lottizzazione", "lottizzare", termes qui se traduisent littéralement en français par "lotissement", "lotir", autrement dit "répartir par lots" en matière d'urbanisme, et se "partager le gâteau" lorsqu'on transfère le concept à la politique ; de nos jours c'est plus prosaïquement s'accaparer, tout et partout, autant que faire se peut ! Hier nous avions à faire à des "idéalistes" qui volaient pour financer les partis (même si je nourris de sérieux doutes sur cette explication "officielle", Craxi était tout simplement un voleur, point barre), à présent ils sont beaucoup plus cruellement "réalistes" et surtout les techniques du vol et de la corruption se sont considérablement améliorées, en passant de la phase grossièrement artisanale à l'industrie scientifiquement organisée du pot-de-vin, pratiquement impossible à prouver grâce à la complicité de lois expressément rédigées pour ces taons assoiffés de sang.

Balzac avait vu juste :
« Les lois sont des toiles d’araignée à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites. »
Donc pour en revenir à notre taon préféré, j'annonçais la couleur dans mon dernier billet (publié le 10 décembre dernier...) :
Ne vous y trompez pas, Berlusconi sait pertinemment que cette fois il n'a aucune chance d'être élu prochain chef du gouvernement italien, et d'ailleurs il s'en fout complètement, ce qui l'intéresse c'est de réussir à nommer le plus possible de ses complices au parlement, notamment au sénat, et être ainsi en position de force pour que tout passe par lui : car sans lui, pas de majorité possible, et donc il pourra faire chanter les gouvernants élus en marchandant au cas par cas ses votes contre ce qui l'intéresse vraiment : sa "justice" et ses affaires.
Et bien voilà, nous y sommes ! Au Sénat, avec 117 sénateurs, Berlusconi devance talonne Bersani (123) pour la gauche, majorité fixée à 158... Or Monti n'ayant obtenu que 19 sièges, ce sont les 54 sénateurs de Grillo qui peuvent faire pencher le plateau de la balance, et donc la probabilité de l'ingouvernabilité totale est plus réelle que jamais, ce qui est très exactement l'objectif que s'était fixé Berlusconi, qui remporte ainsi son énième victoire électorale grâce à l'ineptie chronique des partis de gauche en lice et à la couardise atavique de millions d'électeurs italiens.


[MàJ - 26 fév. 2013] Quoiqu'incomplet, je laisse le graphique en témoignage de la journée du dépouillement des scrutins, haletante, une véritable succession de coups de théâtre, et les chiffres ci-dessus sont à présent les résultats définitifs du Ministère de l'Intérieur...

* * *

Ceci dit, cela ne change rien sur l'ingouvernabilité du pays, et je partage totalement l'analyse de Grillo : « Que ce soit pour six mois ou un an, avoir remis une fois encore le pays aux mains de Berlusconi est un crime contre la galaxie » (riconsegnare a Berlusconi il Paese per sei mesi o un anno credo che sia un crimine contro la galassia)...

Ça me rappelle cette phrase terrible prononcée par Umberto Eco : « Faudra-t-il attendre que Silvio Berlusconi fasse un million de morts avant que les italiens ne cessent de le soutenir ? »

* * *
Donc autant je suis triste et déçu par ce dernier (!?) coup de queue de Berlusconi, autant je suis heureux et me console en pensant qu'un parti hier quasiment inexistant devient aujourd'hui le premier parti politique italien !

C'est un résultat aussi exceptionnel qu'inattendu (j'étais sûr d'une grande victoire du mouvement de Grillo, mais pas dans ces proportions : plus de 7 millions de votes au Sénat, et près de 9 millions à la Chambre des Députés), sur lequel il convient d'apporter un éclairage en cherchant de sortir un peu des sentiers battus. Donc étant trop fatigué pour penser à une analyse en français, je vais me contenter de traduire le dernier billet de mon blog italien (je vous préviens, c'est pas particulièrement "politically correct", ni sur le fond ni sur la forme), rédigé samedi en pensant déjà au tournant historique que représente l'avènement du "Mouvement 5 étoiles" de Beppe Grillo qui rentre au parlement italien, démocratiquement élu. Une véritable révolution, la révolution de Grillo :
Grillo dit et fait beaucoup de conneries, c'est évident.
Mais il dit et fait aussi beaucoup de choses justes. Et à dire le vrai, si on met les conneries et les choses justes sur les deux plateaux de la balance, je crois que celle-ci penchera sans hésiter du côté des choses justes. 
Donc à la question « Les choses que dit ou fait Beppe Grillo sont-elles admissibles et tolérables », ma réponse est oui ! 
Un oui convaincu, qui ne craint pas le contradictoire. Surtout lorsqu'il provient de gens qui ont toujours voté à droite, à gauche ou au centre pour obtenir les résultats qui sont aujourd'hui sous les yeux de tous : une Italie en pleine détresse dont tous les indicateurs sont dans le rouge profond, un pays du quart-monde sous l'emprise de corrompus / corrupteurs / charlatans comme Berlusconi, qui traite les italiens comme des putains, les italiennes comme des putes : tu me donnes ton vote (phrase à double sens en italien, impossible à rendre ici), et moi en échange je te paierai ceci et cela... 
Ils voudraient même nous faire croire qu'il serait "prêt à retirer le pain de la bouche de ses enfants" pour tenir ses promesses ! 
En outre, lorsque j'entends quelqu'un comme Berlusconi raconter que Grillo est une menace pour la démocratie, alors je me dis que Grillo a forcément fait mouche. Et que pour le moins personne ne pourra lui ôter le grand, l'immense mérite, historique, d'avoir éveillé la conscience des italiens, et d'avoir redonné de l'espoir à énormément de gens dans ce pays lobotomisé / sodomisé qu'on appelle l'Italie. 
Mais il y a plus encore : Grillo c'est une chose, son Mouvement c'en est une autre. Car ce sont les militants - les représentants des millions de gens qui auront voté pour le Mouvement 5 étoiles - qui siègeront après-demain au parlement italien, pas Grillo. Ou peut-être aussi Grillo, qui sait ? 
Or voulons-nous vraiment mettre tous ces politiciens corrompus qui ont pillé et affamé le pays pendant des décennies et Grillo sur les plateaux d'une même balance ? OK, faisons-le, mais une fois de plus la balance penchera sans hésiter du côté de Grillo. 
L'anti-politique, comme ils l'appellent ! Mais qui sont-ils celles et ceux qui l'appellent ainsi : ce sont tous les politiciens de métier, menteurs, voleurs et corrompus morts de faim qui ont dévoré l'Italie, l'ont gangrenée jusqu'à la mort... Eux, pour sûr que ce sont de véritables politiques ! 
Donc, au point où en sont les choses, perso je suis pour la nouveauté, l'expérimentation : Grillo, Ingroia, Giannino, tous d'honnêtes gens qui ne sont pas des politiciens de métier, qui ne réussiront jamais à faire pire que leurs prédécesseurs quand bien même ils le voudraient. Ou tout le monde a déjà oublié que l'ultime Parlement italien (totalement vendu, et donc acheté) a voté que Ruby était la nièce de Moubarak ? Eux, pour sûr que ce sont de véritables politiques !  
Alors avant de dire n'importe quoi, tous les détracteurs de Grillo ne méritent qu'un gigantesque pied de nez. Car il est certain que la manifestation que nous avons vue l'autre soir à Place San Giovanni (800 000 manifestants), ne pourra pas être abattue à coups de sarcasmes. 
Après, nous verrons ce qu'ils feront au Parlement, mais ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui mieux vaut donner son vote au Mouvement 5 étoiles (ou à Ingroia, à Giannino) et faire un saut dans l'inconnu avec honnêteté , plutôt que de commettre un suicide assisté avec des politiciens de métier, eux, pour sûr que ce sont de véritables politiques ! 
Votés depuis toujours par des millions de gens aussi cons que modérés, pour obtenir les résultats que l'on découvre tous les jours dans les médias... 
Demain et après-demain l'Italie sera face à un tournant, exactement comme en 92. Le choix est simple : votez soit pour les "véritables" représentants de la politique politicienne (PDL, PD-L, Monti, etc.), soit pour les « populistes de l'anti-politique » (Grillo, Ingroia, Giannino, etc.), mais votez en conscience, pour celles et ceux qui en ont une. Et après ne venez surtout pas vous plaindre !
Jean-Marie Le Ray


P.S. Quelques liens pour approfondir :

En français