mercredi 2 juillet 2025

IA : la revanche des métiers manuels

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En France, comme dans d’autres pays, l’Éducation nationale valorise depuis des décennies les filières intellectuelles (générales, littéraires, scientifiques) au détriment des métiers dits "manuels" ou "techniques". Par défaut, cela s’est traduit par une orientation vers le bac général et des meilleurs élèves vers les études longues, par une dévalorisation sociale des filières professionnelles en plaçant les métiers manuels/professionnels comme "choix de rattrapage", et par un cloisonnement hérité d’une vision binaire et hiérarchisée du savoir entre activités "intellectuelles" et "manuelles", toujours bien ancrée dans les imaginaires collectifs, qui met arbitrairement en avant l' "intelligence théorique" et déclasse le "savoir-faire manuel".

Or avec l'IA, retournement de situation, les métiers davantage exposés à l’automatisation sont ceux purement intellectuels. J'en sais quelque chose ! Avec un processus traductionnel dépendant désormais à 95% de l'IA, il ne reste plus au traducteur que les miettes. Largement insuffisantes pour se construire une vie professionnelle et privée autour. Il va falloir réinventer le métier, pour peu qu'il existe encore dans les années futures...

Le discours dominant consiste à rassurer en disant que l’IA n'a pas vocation à remplacer l’humain, mais à le rendre plus efficace ! Je veux bien. Il est même probable que cela soit vrai. Pour autant, dans l'attente, de nombreux métiers "intellectuels" se sentent en danger, voire en voie d'extinction !

Ce sont pour le plus ceux qui impliquent des tâches répétitives, analytiques ou basées sur le traitement de données, car ces domaines sont particulièrement susceptibles d'être automatisés ou transformés, entre autres :

  • Analystes de données et statisticiens
  • Rédacteurs et traducteurs
  • Juristes et assistants juridiques
  • Comptables et fiscalistes
  • Journalistes et rédacteurs
  • Enseignants et formateurs (pour certaines tâches)
  • Analystes financiers et traders
  • Médecins et diagnosticiens (en partie)
  • Développeurs de logiciels (niveau junior)
  • Service client et support technique
Par catégories :

  • Métiers de la rédaction et de la création de contenu
  • Professions de la banque, l'assurance, la finance et la comptabilité
  • Métiers du droit et de l'assistance juridique
  • Métiers du design et de la création visuelle
  • Métiers de l'informatique
  • Métiers du conseil et de l'analyse de données
  • Professions médicales (en partie)
Autant d'activités enviées hier, dont on ne sait plus très bien si elles ont encore un avenir aujourd'hui !

*

Un véritable changement de paradigme, un immense défi à relever. Paradoxalement, les métiers manuels semblent mieux s'en sortir, lorsqu’ils sont spécialisés et porteurs d’une expertise difficile à automatiser : des métiers comme l'artisanat, la construction, l'agriculture, la mécanique, voire les soins (aide-soignants, par exemple) impliquent souvent des compétences physiques, une expertise pratique et un savoir-faire peu reproductibles dans leur intégralité. 

Il en va de même avec le sens artistique, l'adaptabilité à des situations imprévues ou l'empathie (dans les soins, l'aide aux personnes), etc. Là où l'IA automatise les tâches cognitives routinières, les compétences manuelles et humaines sont souvent perçues comme plus précieuses. On voit d'ailleurs que l'intelligence artificielle rebat les cartes, en révélant que la compétence utile n’est pas toujours celle qui produit du texte, mais celle qui agit intelligemment dans le réel, avec des activités manuelles plus concrètes, plus résilientes : le plombier ou l'électricien qui viennent vous dépanner en urgence, l'aide à domicile disponible de nuit ou le week-end, etc. etc.

Sous la pression économique autant que sociale, l'État lui-même devrait commencer à infléchir son discours (revalorisation de la voie pro, apprentissage, lycées des métiers, etc.) pour faire face à des pénuries massives dans les métiers techniques : BTP, industrie, énergie, maintenance, etc. Les filières générales ne suffisant plus à alimenter ces secteurs vitaux, la revalorisation des filières professionnelles devient un enjeu stratégique. Le manque de main-d'œuvre dans le bâtiment, la santé, la restauration, etc., et la reconnaissance croissante de leur importance économique devraient inciter l'État à agir dans ce sens. 

À quand l'amorçage d'une réflexion collective sur l’évolution du statut des métiers manuels à l’ère de l’IA ?

Car les métiers manuels aussi sont susceptibles d'être automatisés ou transformés :

  • L'IA et la robotique automatisent certaines tâches manuelles répétitives (ex. : assemblage en usine, logistique), et accroissent ainsi la demande pour des compétences techniques spécialisées, comme la maintenance de machines intelligentes, la programmation de robots ou la conception assistée par IA. Ces métiers, à la croisée du manuel et du technologique, nécessitent une revalorisation des formations professionnelles.
  • Par exemple, des secteurs comme la construction (utilisation de drones et d'imprimantes 3D) ou l'agriculture (agriculture de précision) intègrent des technologies IA, ce qui exige des compétences hybrides combinant savoir-faire manuel et maîtrise numérique.
  • L'IA a donc son rôle à jouer pour moderniser l'image de ces métiers, par exemple via des campagnes de communication générées par IA ou des formations intégrant des outils high-tech.

Tout cela devra forcément s'accompagner de changements culturels et de perception, d'une évolution des mentalités, d'une modernisation de la formation et d'une meilleure attractivité (notamment via des technologies comme la réalité virtuelle, l'apprentissage adaptatif, ou encore via une gratification économique des métiers). Cependant, sans une volonté politique forte de l'État et une réforme l'enseignement, l'IA risque de renforcer les inégalités existantes.

Quant à l'adaptation des métiers manuels menacés, il s'agira d'organiser :

  • la montée en compétences techniques (maintenance, supervision, pilotage de systèmes IA)
  • le développement d'une culture numérique (outils connectés, diagnostic, domotique, etc.)
  • la valorisation des savoir-faire humains irremplaçables (relation client, adaptation, intuition terrain)

Car nombre de ces métiers sont loin d'être sortis d'affaire :

  • Ouvriers de production et d'assemblage
  • Conducteurs de véhicules (camions, taxis, chauffeurs-livreurs)
  • Employés d'entrepôt et logisticiens
  • Agriculteurs et ouvriers agricoles
  • Cuisiniers et préparateurs en restauration rapide
  • Ouvriers du bâtiment (certaines tâches)
  • Employés de nettoyage industriel
  • Opérateurs de machines-outils
  • Postiers et trieurs de courrier
  • Gardiens et agents de sécurité (en partie) 

En bref, il s'agit pour le plus des secteurs manufacturier, minier, de la production, la logistique et le transport, l'agriculture, la construction, les services et le commerce de détail, etc. Soumis à des risques d'automatisation partielle, ils ne disparaîtront pas complètement mais évolueront vers des rôles de supervision ou de maintenance des systèmes automatisés. Ce qui ne se fera pas sans formation...

Nous sommes là bien loin de l'inutilité chronique des élucubrations du Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan. Mieux vaut peut-être consulter cette page dédiée de France Travail...

En conclusion, les personnes devront s'adapter et développer de nouvelles compétences ! L'avenir réévalué des métiers manuels, exactement comme pour les professions intellectuelles, résidera le plus souvent dans une collaboration entre l'humain et la machine, où l'IA prendra en charge les tâches répétitives et pénibles, en permettant aux travailleurs de se concentrer sur des rôles plus complexes, valorisants et stratégiques.

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