Il y a dix jours, un scoop de The Verge m'a vraiment étonné : Facebook envisage de renommer l'entreprise avec une nouvelle marque !
Comme nous l'explique Wikipédia, le rebranding est une stratégie de marketing dans laquelle un nouveau nom, terme, symbole, design, concept ou combinaison de ceux-ci est créé pour une marque établie avec l'intention de développer une nouvelle identité différenciée dans l'esprit des consommateurs, des investisseurs, des concurrents et d'autres parties prenantes.
Or dire que Facebook est une marque établie est un euphémisme, un understatement diraient les anglais : Facebook est la quinzième marque la plus connue au monde ! (Source : Best Global Brands 2021)
Pour une entreprise née il y a 17 ans, en 2004 !
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J'ai commencé à parler de Facebook sur ce blog en 2007, trois ans plus tard. Au début du mois d'octobre précisément. En novembre, soit un mois et demi plus tard, mon blog était positionné en première page des résultats de Google sur la requête Facebook ! (Voir aussi mes 7 conseils de l'époque pour se positionner sur la première page de résultats de Google)... Depuis, deux des billets rédigés parmi des dizaines ont été lus près de 210000 fois : Facebook et Facebook annonce Facebook Ads... À l'époque je m'intéressais de très près à tout ce qui bougeait sur le Web, et le trio de tête était composé de GYM : Google, Yahoo!, Microsoft, bien que... Autres temps, l'eau a coulé sous les ponts depuis : il y a eu les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), puis jusqu'à hier les ténors étaient FAANG (Facebook, Apple, Amazon, Netflix, Google), mais demain ?
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Cette parenthèse pour dire que l'argument Facebook ne m'est pas tout à fait inconnu, ainsi que tout ce qui touche au Web, quelqu'un m'appelait même Monsieur Google... Ça me fait sourire aujourd'hui, mais alors j'en étais très fier. Autre argument sur lequel j'avais une bonne expérience, dès 2009, la création de noms de marque... Grâce à mon ami Jean-Philippe Hermand, grand créateur de noms devant l'Éternel, qui a inventé le nom Kadjar (dont il m'avait expliqué les secrets de la création mais que j'ai oubliés depuis) avant de nous quitter définitivement. RIP Jean-Philippe, merci pour ta gentillesse et ton intelligence !
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Donc si vous mettez ces deux éléments ensemble, vous comprendrez que le rebranding de Facebook m'interpellait particulièrement. Personnellement, c'est une info totalement inattendue. Penser que la 15e marque au monde doive se réinventer une deuxième fois (d'abord de The Facebook à Facebook) à moins de 20 ans de sa création (plutôt mouvementée...) me laisse perplexe.
En lisant les infos anglo-saxonnes ces jours-ci sur Facebook, la plupart des analystes penchent pour une seule explication à ce rebranding : en gros, faire oublier la passe difficile que traverse la société de Zuckerberg pour moultes raisons... Ce n'est pas mon avis. Ça peut certainement aider, mais ce n'est sûrement pas le but premier.
Zuckerberg a toujours été un grand incompris (aucune ironie dans mon propos, je le pense vraiment). Durant les premières années de Facebook, des tonnes d'encre ont coulé sur les 2 grandes questions du moment : quel est son modèle économique, quelle est sa valorisation ? Sans jamais trouver de réponse adéquate ni argumentée qui fût proche de la réalité. Les analystes en perdaient le nord. Pourquoi je ne crois plus en Facebook en est un bon exemple : ce billet, dont Frédéric Cavazza assure qu'il l'a traîné comme un boulet pendant des années, résume plutôt bien les doutes largement partagés à l'époque sur l'avenir de Facebook :
- La croissance et l’audience de Facebook sont largement surévaluées
- L’écosystème mis en place autour de la Facebook Platform ne tiendra pas ses promesses
- Les modèles publicitaires présentés récemment sont bancals
- La concurrence avec d’autres plateformes sociales va être très rude
Difficile de se planter davantage ! Et nous savons depuis ce qu'il en est. Donc contrairement à tous les avis qui lui étaient opposés, Zuckerberg avait une vision, sa vision, de ce que Facebook serait devenu. Je suis même certain que sa vision restait bien en-deçà de ce que Facebook est réellement devenu. Google et Microsoft tournaient déjà autour de la proie (mon analyse à l'époque), mais il est certain que si Microsoft avait fait un jour l'acquisition de Facebook, Facebook ne serait jamais devenue ce qu'elle est (de même que si Microsoft avait fait un jour l'acquisition de Google, Google ne serait jamais devenue ce qu'elle est...).
Or ce qui se passe aujourd'hui est très semblable à ce qui s'est passé hier : Zuckerberg a une vision de ce que Meta devrait devenir, sa vision, qu'il est probablement le seul à avoir, hic et nunc. Et vu les antécédents, il convient de le prendre - très - au sérieux, compte tenu notamment des moyens que Zuckerberg déploie pour donner corps à cette vision. Un pari sur lequel il mise énormément (sans aucune certitude de récupérer sa mise) en vue de souligner la priorité qu'il accorde au métaverse : « une nouvelle phase d'expériences virtuelles interconnectées utilisant des technologies telles que la réalité virtuelle et la réalité augmentée », en pariant que ces technologies seront le fondement de la prochaine plateforme informatique après le smartphone...
Personnellement je ne comprends rien à cette vision, pour moi c'est de la science-fiction pure, or je n'ai jamais cru en la science-fiction, et l'avenir nous dira si Zuckerberg a vraiment pris la voie de l'inévitabilité :
My takeaway from $FB earnings: Facebook will inevitably become the most important company in the lives of most people on Earth for the next 20-30 years. I don't see any credible, extant mechanism that can constrain its growth (1/X)
— Eric Seufert (@eric_seufert) July 29, 2021
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Après cette longue introduction, nécessaire, venons-en au but de ce billet, à savoir l'analyse de la dénomination sociale et du logo choisis par Zuckerberg pour accompagner ce changement.
Spoiler : le choix du nom autant que du logo est un coup de maître !
Durant les dix jours qui se sont écoulés entre le scoop du rebranding et le dévoilement du nom et du logo, je n'ai cessé de penser à ce que Zuckerberg nous aurait annoncé, et indépendamment de l'annonce j'avais déjà décidé d'écrire ce billet, pour vous proposer mon analyse du nom et du logo...
Analyse du nom
Il n'y a pas si longtemps encore, jamais je n'avais entendu parler du "Metaverse", "Métavers" en français. Jusqu'à l'annonce de l'embauche des 10000 collaborateurs par Facebook.
Metaverse est formé sur le même modèle qu'Universe, d'où Métavers francisé (je suis certain que je serai bien incapable d'utiliser ce terme en français), sur le calque d'univers...
Selon le Robert Historique de la Langue Française, l'étymologie d'univers est la suivante :
substantivation (v. 1530, dans Marot), d'après le latin universum, de universe monde (v. 1175), où le mot est adjectif. C'est un emprunt au latin universus qualifiant la totalité d'une chose comme telle, formant des expressions avec mundus, orbis, terra. Universus, « intégral », proprement « tourné de manière à former un ensemble », est composé de unus (→ un) et de versus, participe passé passif de vertere « tourner » (→ vers). Le substantif universum traduit le grec to holon « le tout » (→ holo-).
C'est d'abord l'adjectif univers qui est employé en français, au sens latin d'« entier, dans sa plus grande extension », d'où en universe « en tout » (v. 1300), puis la spécialisation pour exprimer la totalité géographique, dans le monde universe (XIIIe et XIVe siècles), le monde univers (v. 1300), d'après le latin mundus universus, puis le globe univers (1531) et l'empire univers « le gouvernement de la terre entière » (1534).
Premier constat : universe s'utilisait comme tel en français, avec le sens de totalité d'une chose comme telle, entier, dans sa plus grande extension, en tout, jusqu'à l'acception d'empire univers, « le gouvernement de la terre entière » !
Quant au préfixe "Meta", je twittais hier :
#Meta est un préfixe pour de nombreux mots, indiquant une mutation, une transformation, mais il a deux sens en italien, selon qu'on met l'accent tonique sur la première syllabe (mèta = but, ligne d'arrivée) ou sur la seconde (metà = moitié, demi)... pic.twitter.com/tifEmycPi8
— Jean-Marie Le Ray (@jmleray) October 28, 2021
Là encore, le Robert Historique de la Langue Française nous vient en aide :
Meta a probablement signifié en grec ancien « au milieu de », mais il a divergé dans de multiples directions : avec le génitif et le datif, il signifie « parmi », d'où avec le génitif « avec » et avec le datif « entre ». Par extension du sens dynamique de « pour se rendre au milieu de », il a pris celui de « vers, à la recherche de », d'où « à la suite, derrière », y compris avec une valeur temporelle.
Quant à la première acception, elle est tirée du latin du même nom, qui désignait tout objet de forme conique ou pyramidale, comme un tas de foin, ou, plus spécialement, les colonnes (généralement trois) placées aux deux extrémités d'un cirque romain, sous la forme de bornes coniques, voire d'obélisques, qui délimitaient le mur central (spina) et autour desquelles les chars devaient tourner pour repartir dans l'autre sens. D'où la notion de but, de ligne d'arrivée.
Au rugby, la "meta" est l'essai.
Pour l'anecdote, "meta" signifiait également bouse de vache...
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Maintenant que nous avons fouillé un peu les différents sens de "metaverse", résumons-les tous en un ensemble unitaire :
metaverse monde, en tout, entier, dans sa plus grande extension, mais aussi empire metaverse (gouvernement virtuel de la terre entière), au milieu de, but, ligne d'arrivée...
Je ne sais pas vous, mais je suis impressionné ! Et je le suis encore plus en associant ce qui précède au logo !
Mon analyse du logo
Dans un tweet faisant suite au premier, j'ajoutais :
Génial ! Un poil hégémonique mais génial, du grand art, je suis admiratif...
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« Nomen Omen » disaient les anciens, quand le nom devient un présage qui englobe votre destinée. Autant je me sens étranger à la vision de Zuckerberg, autant je suis bien obligé de reconnaître l'absolue cohérence de sa nouvelle image de marque, logo + nom :
Et si l'image de marque traduit fidèlement la vision de Zuckerberg, cela signifie à la fois au milieu et aux deux extrémités de l'infini, but et ligne d'arrivée, metaverse monde virtuel pour gouverner la terre entière...Une vision ambitieuse, le moins qu'on puisse dire, l'avenir nous dira si cette fois encore Zuckerberg aura eu raison !