(40 ans aujourd'hui que j'ai quitté Bordeaux...)
« En un mot, la phalange nouvelle des poètes jeunes – qui ne sont pas tous de jeunes poètes – ne veut plus (…) en art, de ce moule où chacun vient déverser, qui le plâtre, qui le plomb, qui le bronze ou le riche métal dont doit être fondue son œuvre ; elle s’attaque directement au pur bloc de marbre, dont elle façonnera d’une manière bien à elle avec son ciseau et son marteau en main, l’œuvre, toutes les œuvres qu’elle rêve. À la statique du passé, (…) elle apporte le mouvement dans l’art. »
A.-M. Gossez, 16 janvier 1910
1999. L'année où je me suis mis en tête d'écrire un recueil de sonnets, uniquement de sonnets. Pour rendre hommage à Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, certes, mais surtout à la langue française, ma patrie !
Cela fait des mois et des semaines que je cherche un point de départ, vu que je suis complètement à sec d’inspiration poétique, des jours, des semaines et des mois que je patauge dans la semoule...
Or le déclic va se faire de la manière la plus inattendue : en allant rendre visite à mon beau-père hospitalisé au « San Francesco d’Assisi d’Oliveto Citra », j’aperçois à l’entrée de l’hôpital cette dédicace sur une plaque de marbre blanc :
Je traduis :
Que le marbre simple et austère comme sa vie
perpétue le souvenir du Dr Michele Clemente
qui, dans les murs de l’ancien couvent franciscain,
voulut cet hôpital, le dirigea et le défendit
L'alexandrin deviné dans cette dédicace m'éblouit :
Que le marbre simple et austère perpétue...
Mon recueil était né ! Ces douze premiers pieds seront suivis de 2799 autres vers : 200 sonnets ! Que je réunirai un jour dans un recueil intitulé ... de sansonnet :-)
Du reste ce n'est pas qu'un jeu de mots, non. Roupie ou piroue...tte, choses de peu d'importance, mais quand même...
« Que le marbre simple et austère perpétue » a donc donné naissance à mes trois premiers sonnets, intitulés « Triptyque marmoréen » : Pureté - Volonté - Unité.
Pureté, le premier à être écrit et commençant par ce magnifique alexandrin, fut composé à Cava de' Tirreni le lundi 18 octobre 1999, après avoir rendu visite à mon beau-père le week-end.
La formidable aventure de milliers d'alexandrins (2800 pour être précis), part donc de ces douze pieds ! Toutefois il ne s'agit pas d'un long poème de 2800 vers, mais de 200 sonnets de 14 vers, nuance, chaque sonnet traduisant un message, une émotion, un coup de cœur, que sais-je...
Comme le dit si bien Jean-François Marmontel (Éléments de littérature, entrée "Vers", Tome VI, 1787) :
Ainsi la gêne et la monotonie sont pour les longs poëmes, et les plus courts ont le double avantage de la liberté et de la variété.
Parfait jugement ! Donc de l'art à l'artisan ou au métier, de la sculpture au sculpteur, il n'y a qu'un pas : c'est ainsi que le « Triptyque marmoréen » finit par s'intituler Sculpteur ! Et le recueil censé s’appeler à l’origine « Glyphes », « Glyptique », avec l’intention ci-après :
À partir de la sculpture, passer à la fonte et aux métaux…
« Le poète façonne la forme vers, il est ouvrier du matériau le plus noble à la fois et le plus utile, le métal langue. Ce que Dante saisit dans le vers célèbre :
il miglior fabbro del parlar materno
[le meilleur forgeron du parler maternel]
(Purgatoire, chant XXVI, vers 117)
in Jacques Roubaud, La Vieillesse d’Alexandre, p. 49 »
Puis aux différents métiers artisanaux, en essayant de composer un sonnet par métier : regrouper la terminologie propre à chaque métier, et faire (ou tenter pour le moins) à chaque fois un parallèle avec le poète.
Comparer aussi avec les autres arts, le peintre devant sa toile, le musicien face à la partition, etc.
Cela ouvre un vaste champ d’investigation à la rédaction de Glyptique…
La préface de Glyptique était la suivante :
Nous sommes le 2 novembre 1999, il est 11h50’ et la rédaction de Glyptique est en train de prendre une tournure inattendue : mon idée initiale d’insérer plusieurs sonnets traitant chacun d’un corps de métier différent devient petit à petit l’envie de traiter du travail de l’homme dans toute sa noblesse ! Demain, Glyptique pourrait bien s’intituler :
Du Travail !…
« Le travail de l’homme dans toute sa noblesse » : un bel alexandrin :-)
... de ce premier triptyque :
Et Pureté le premier de 200 sonnets :
Dans la foulée je vais écrire les 70 premiers sonnets en 7 mois (octobre 1999 - mai 2000) pour boucler Du Travail !
*
Suivis de 70 autres sonnets en 7 mois (juin - décembre 2000) pour composer L'Île...
Jaillie d'une idée simple : las de ne jamais être entendu (j'avais déjà envoyé des dizaines et des dizaines de manuscrits au fil des ans, en collectionnant un beau florilège de réponses négatives), je me faisais l'effet d'un naufragé abandonné sur une île perdue dans l'océan, dont les maux et cris rejoignaient
Les fous des asiles qui gueulent à la lune
Et les loups des déserts qui hurlent à la mort
Sont frères de race unis dans leur solitude
Errant le long des jours comme on traîne un remordsUn Écorché vif joint son cri à ce tumulte
Dont acte.
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Je réunirai ensuite ces 140 sonnets (écrits en 14 mois, soit une moyenne de 10 sonnets / mois) dans An 2000 (Diptyque en vers et contre tout), composé de 2000 alexandrins ainsi répartis : un quintil en épigraphe (voir ci-dessus), 141 sonnets et un chant de vingt et un vers (conçu sur un modèle de ballade royale, intitulé Artiste / Artisan et comprenant cinq quatrains et un 21e vers isolé, une manière d’envoi aux 1000 alexandrins qui le précédaient en concluant Du Travail !).
Quant au sonnet initial en plus, c'est une tentative de définition de cette forme poétique sous forme de pirouette :
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Vous me direz, 141 sonnets, le compte n'y est pas. Et vous aurez parfaitement raison. Mais les 59 autres sonnets sont ma partie réservée, ma chasse gardée en quelque sorte. Du moins pour l'instant. Chaque chose a son temps. En attendant, si quelqu'un a le désir d'en savoir plus en lisant ce billet, je vous ferai volontiers présent du PDF d'An 2000, il suffit de
demander !