vendredi 23 février 2007

L'industrie GILT et l'effet Mozart

L'industrie GILT et l'effet Mozart

GILT, késako ?
L'effet Mozart et la localisation


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À dimension humaine, Internet efface le temps, la distance, la vitesse, voire confère aux internautes une certaine forme d'ubiquité, mais ne franchit que très imparfaitement les frontières ultimes des langues et des cultures. Qui ont donné naissance à l'industrie de la Globalisation, l'Internationalisation, la Localisation & la Traduction, GILT pour les intimes.

Ces termes, compréhensibles en apparence, dissimulent en réalité une complexité extrême et toute une galaxie de services liés et souvent interdépendants (source) :


Pourquoi "industrie" ? Parce qu'il y a autant de différences entre une agence de traduction "normale" et un LSP (cf. glossaire) qu'entre une boutique de quartier et l'hyper du coin, entre un artisan et un industriel...

Il n'y a qu'à voir la flopée de standards liés aux processus métiers impliqués pour comprendre que les choses sont plus compliquées qu'il n'y paraît !


Voici donc quelques définitions succinctes pour mieux saisir de quoi l'on parle :
  • Globalisation (G11N) : concerne tous les aspects de l'entreprise liés à la mondialisation de sa présence, sa marque, son image, ses produits/services, etc., et par conséquent l'intégration de tous les facteurs exogènes (externes à l'entreprise : économie, politique, technologies, social, etc.) et endogènes (internes à l'entreprise : processus métiers, marketing, ventes, SAV, suivi clients, etc.) au niveau planétaire.
  • Internationalisation (I18N) : conception technique native d’un produit/service en vue de sa localisation, de sorte qu'on puisse lui appliquer les différentes conventions linguistiques et culturelles propres aux pays cibles sans devoir à chaque fois tout reprendre à zéro. Attention toutefois à la polysémie du terme, puisqu'il ne s'agit pas de la même chose selon la nature du produit/service, logiciel, site Web, etc.
  • Localisation (L10N) : modification finale des produits/services pour prendre en compte les spécificités inhérentes aux marchés cibles ; touche tous les aspects de la commercialisation : conditionnement, documentation, promotion, etc. La localisation s'oppose à la standardisation, où seul change le message, forcément traduit/adapté.
  • Traduction : après des millénaires de bons et loyaux services (quoiqu'en pensent les adeptes du traduttore = traditore), le terme et les réalités qu'il cache restent à définir, plus de 20 ans de métier n'ayant pas encore suffi à me fournir une réponse définitive ! Something which really get me puzzled...

À noter que dans le triplet G11N, I18N, L10N, les chiffres correspondent au nombre de lettres intercalées entre la première et la dernière du terme concerné.

Sur un plan purement hiérarchique, la globalisation "englobe" les autres activités, la traduction étant au cœur du processus :


Et tandis que l'internationalisation n'est que le socle des opérations successives, la localisation est un élément déterminant du e-commerce, puisqu'il est unanimement reconnu que les internautes sont plus enclins à acheter en ligne des produits/services sur des sites Web qu’ils peuvent consulter dans leur langue, indépendamment de leur maîtrise plus ou moins bonne de l'anglais. D'où l'enjeu de communiquer immédiatement dans les formes auxquelles les locuteurs natifs sont habitués, sous peine de perdre un nombre incalculable de clients potentiels qui ne reviendront jamais sur un site imprésentable, voire ridicule, parce que ne respectant ni les canons linguistiques ni les impératifs culturels du marché cible.

En revanche, si le visiteur de votre site ne remarque pas qu'il est sur le point d'acheter un produit/service qui a été conçu sous d'autres cieux pour des publics étrangers, alors soyez convaincu que vous avez réussi votre localisation !

Ce qui est plus facile à dire qu'à faire, puisque d'un pays à l'autre, tout change : citons entre autres les abréviations, la typographie, les dates, les caractères, l’usage des majuscules, la ponctuation, la division syllabique, la mise en page et le design, les significations attachées aux chiffres ou aux couleurs :


Sans compter la législation, les us et coutumes, la gestuelle, les références culturelles, religieuses, historiques, etc., autant de facteurs déterminants - implicites ou explicites - aux yeux d’un locuteur natif. Jusqu'au(x) sens variable(s) lié(s) à l'usage d'un même terme de part et d'autre de la frontière : l'orgueil a une connotation fortement positive en Italie, fortement négative en France !

Tout cela ne fait qu'ajouter des morceaux au puzzle de la localisation,


mais ne pas le savoir peut coûter - très - cher, les exemples sont légion et font bien rigoler des générations de traducteurs. D'autres passent à la légende...

C'est ainsi qu'on en arrive à la dernière composante GILT, la traduction :


qui n'est en théorie (et, malheureusement, dans la pratique aussi) que l'un des éléments de la localisation, comme on le voit, puisqu'en dépit de leur interdépendance, ces opérations sont dissociées, séparées en autant de fonctionnalités (processus que les anglo-saxons appellent "featurization" ou "commoditization"), ce qui conduit le traducteur à ne plus travailler que sur des portions de projet sans en avoir la moindre vision globale.

Un état de fait allant à l'encontre d'une loi en traduction, qui veut que plus on travaille sur des segments de petite taille, plus on a des chances de se tromper : « The smaller the semantical unit, the greater the potential to get it wrong. » (Source)

Je simplifie, c'est clair, mais grosso modo, ça se passe ainsi en réalité, même si je crois que le système atteint ses limites. En effet, bien que la traduction automatique avance à grand pas, il reste une part ultime, un noyau de résistance qu'il serait vain et, chose plus importante encore pour les clients, économiquement injustifié, de vouloir soustraire aux traducteurs. [Début]

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Qu'est-ce que l'effet Mozart dans l'univers GILT ?

Contrairement à ce que pourraient penser les bien informé(e)s, la théorie n'a rien à voir avec le fameux effet Mozart du Docteur Tomatis (le Mozart effect cher à Don Campbell), soi-disant bénéfique au QI.

En bref, voici ce dont il s'agit, selon Rory Cowan, PDG de Lionbridge Technologies, actuellement n° 1 de la localisation dans le monde :
Si, en 1790, il fallait cinq musiciens pour interpréter un quintette de Mozart durant tant de minutes, aujourd'hui, en dépit des progrès techniques considérables qui ont été accomplis depuis, rien n'a changé : il faut toujours autant de musiciens jouant pendant autant de temps pour restituer la même œuvre !
Cette belle métaphore sur l'incompressibilité de certains délais d'exécution souligne implicitement les limites de la technologie galopante, qui ne pourra jamais répondre à tout sans intervention humaine, notamment au plan de la productivité.

Des traducteurs en ce qui nous concerne. D'où l'inutilité de toujours les presser ... comme des citrons trop mûrs, en leur demandant à tort et à travers la quadrature du triangle !

Car à force de véhiculer un tas d'idées préconçues sur l'activité des traducteurs, par exemple en assimilant toujours plus le résultat de leur travail à une "commodité", on en finit par perdre de vue combien est fausse et nocive cette notion de commoditisation de la traduction. D'abord, une commodité en français (agrément, avantage, confort, utilité, ...) n'a absolument rien à voir avec la "commodity" anglo-saxonne, qui désigne un produit de base, une matière première.

Nous y voilà : traduction = marchandise, et plus la quantité est importante, plus la remise doit être conséquente. Or c'est oublier un peu vite le fait que la traduction n'est pas un produit comme un autre, mais un service à haute valeur ajoutée d'autant plus spécialisé que le domaine est pointu, et que la seule matière première utilisée servant à la "fabriquer" est la matière grise du traducteur. Dont la logique objective est très exactement inverse à celle du client : plus la quantité est importante, plus ça va me demander de temps et d'effort pour maintenir le même niveau de qualité de bout en bout. Une qualité qui n'est pas acquise par enchantement, mais conquise de haute lutte. Dans la durée.

Une réalité sur laquelle les clients - et les agences qui les secondent dans cette approche pour les conserver à tout prix (c'est le cas de dire) - font trop souvent l'impasse, ce qui contribue à ternir l'image d'une profession en vérité hautement spécialisée, exigeant des années et des années de pratique et de formation continues avant de donner de bons ouvriers. De plus en plus rares. Or tout ce qui est rare est cher, qu'on se le dise.

Ce n'est d'ailleurs pas moi qui le décrète, mais la loi du marché. Dura lex, sed lex ! [Début]


P.S. Petit glossaire GILT, sans prétention aucune :
  • Globalisation (G11N) : concerne tous les aspects de l'entreprise liés à la mondialisation de sa présence, sa marque, son image, ses produits/services, etc., et par conséquent l'intégration de tous les facteurs exogènes (externes à l'entreprise : économie, politique, technologies, social, etc.) et endogènes (internes à l'entreprise : processus métiers, marketing, ventes, SAV, suivi clients, etc.) au niveau planétaire.
  • Internationalisation (I18N) : conception technique native d’un produit/service en vue de sa localisation, de sorte qu'on puisse lui appliquer les différentes conventions linguistiques et culturelles propres aux pays cibles sans devoir à chaque fois tout reprendre à zéro. Attention toutefois à la polysémie du terme, puisqu'il ne s'agit pas de la même chose selon la nature du produit/service, logiciel, site Web, etc.
  • Localisation (L10N) : modification finale des produits/services pour prendre en compte les spécificités inhérentes aux marchés cibles ; touche tous les aspects de la commercialisation : conditionnement, documentation, promotion, etc. La localisation s'oppose à la standardisation, où seul change le message, forcément traduit/adapté.
  • Traduction : après des millénaires de bons et loyaux services (quoi qu'en pensent les adeptes du traduttore = traditore), le terme et les réalités qu'il cache restent à définir, plus de 35 ans de métier n'ayant pas encore suffi à me fournir une réponse définitive !
N.B. De même que les sigles anglais TM et MT sont de faux-amis (voir plus loin), et que TM anglais (Translation Memory) = MT français (Mémoire de Traduction), on évitera de confondre les sigles français TA et TAO : TA est la Traduction Automatique (cf. 1 et 2), alors que TAO désigne l'environnement et les outils de Traduction Assistée par Ordinateur (CAT en anglais) qu'utilisent les traducteurs dans leur travail quotidien. Autres définitions :
  • Language Service Providers (LSPs) : fournisseurs de services linguistiques. En général, ce sont les maîtres d'ouvrage qui sous-traitent les projets aux MLVs et/ou SLVs. Une vingtaine d'acteurs majeurs au niveau mondial.
  • Multi-Language Vendors & Single-Language Vendors (MLVs & SLVs) : fournisseurs de services multilingues ou unilingues, capables de prendre en charge soit une large gamme de langues/services, soit une seule et/ou un nombre limité de langues/services.
  • Independent Software Vendors (ISVs) : les éditeurs de logiciels indépendants qui développent des outils propres au marché linguistique : mémoires de traduction (TM - translation memory), traduction automatique (MT - machine translation), gestion terminologique (terminology management), etc.
  • LISA - Localisation Industry Standards Association, également éditeur d'un Guide d’introduction à l’industrie de la localisation (en français)
  • GALA - Globalisation and Localisation Association
  • I18N Guy : site-ressource très fourni sur l'industrie GILT (en anglais)
  • Translator : traducteur, le dernier maillon de la chaîne (celui qu'on fait sauter à l'occurrence), qui n'a pas dit son dernier mot...
[Début]

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mardi 13 février 2007

Transclusion: Fixing Electronic Literature = TransLiterature

Transclusion : Fixing Electronic Literature = TransLiterature

Titre un peu abscons en apparence, que je vais m'efforcer d'expliquer. Billet enfoui dans mes désirs depuis des mois, qui jaillit ENFIN à la faveur d'une lecture sur l'Agent rank (à quand le Safe rank...), un brevet présenté sur Search Engine Land et qui consisterait à classer les pages en fonction des sources d'informations qui y sont liées, notamment en les scorant d'après la signature numérique de leur(s) auteur(s) :
The present invention provides methods and apparatus, including computer program products, implementing techniques for searching and ranking linked information sources. The techniques include receiving multiple content items from a corpus of content items; receiving digital signatures each made by one of multiple agents, each digital signature associating one of the agents with one or more of the content items; and assigning a score to a first agent of the multiple agents, wherein the score is based upon the content items associated with the first agent by the digital signatures.
Or Bill Slawski conclut son exposé en mentionnant Ted Nelson, l'un des pionniers de l'hypertexte, et en nous renvoyant à une présentation faite par ce dernier dans les locaux de Google le 29 janvier dernier, intitulée Transclusion: Fixing Electronic Literature.


Nelson, 70 ans, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler à propos du palimptexte, définit ainsi la transclusion, selon Pierre de La Coste :
Nelson parle de "Transclusion" pour désigner en quelque sorte le lien hypertexte "parfait" : un fragment d’un texte inclus comme une citation dans un autre texte.
Enfin, last but not least, l’hypertexte ainsi conçu doit gérer les droits d’auteur. C’est-à-dire qu’un système "franc et honnête" calcule ce que doit payer le lecteur à chacun des auteurs des textes reliés entre eux par des liens hypertextes et qu’il visite successivement. Cette conception idéale de l’hypertexte, effectivement non retenue par les créateurs du web, pose quelques problèmes pratiques qui sont loin d’être résolus. Tout d’abord, il met en cause le code informatique tel qu’il existe, notamment dans le langage HTML, dont le tort, selon Ted Nelson est "d’encapsuler" le texte par des balises informatiques.
Concrètement, la transclusion est déjà possible sur Viabloga, et David Latapie propose de l'adapter à Wikipédia.

Quant à l'aspect "gestion des droits d'auteur", désigné par Nelson sous l'appellation de Transcopyright, vous pouvez avoir une idée de son fonctionnement ici (cliquer sur les liens pour mieux comprendre). Une notion qui n'a rien de simpliste, puisqu'elle a fait l'objet d'une conceptualisation poussée de la part de son auteur :


Mais la découverte que j'ai faite il y a quelques mois à propos de Nelson et qui m'a laissée sans voix est celle-ci : la vision qu'il a de son projet humaniste, A humanist Design, est regroupée sous le concept de Transliterature, marque déposée « non pas pour des raisons commerciales mais pour éviter des détournements sémantiques » ("Transliterature" is trademarked not for commercial purposes but to avoid semantic creep. Our trademarked terms may be used only for what exactly fits our specs-- with no additional features.).

Or savez-vous qui avait enregistré Transliterature.net dès novembre 1999 ? Moi !!! En même temps que traducteur.org/traduire.org, dictionnaires.net, etc. Je ne l'ai abandonné que deux ans plus tard (j'ai retrouvé la lettre de dédit que j'avais envoyée à Tiscali, elle date du 8 octobre 2001) !

Mais le plus bizarre, c'est que quelques mois avant d'enregistrer ce nom, j'avais réalisé un texte poétique uniquement à base de « transclusions », ou de « transquotations » si vous préférez, que m'avait inspiré une visite à la Villa de l'empereur Hadrien, à Tivoli (près de Rome), dont les mémoires sont parvenues jusqu'à nous...

Ce texte est un collage de fragments puisés çà et là, dont la beauté ou la force m'avait marqué. Je vous le livre tel quel :
HOSPITALIA

Un escalier qui ne conduit nulle part grimpe autour de la maison. Il n’y a, d’ailleurs, ni portes ni fenêtres. On voit sur le toit, on imagine plutôt, absorbé dans ses contemplations, un homme exilé en attente sur le seuil de l’oubli, éperdu « au bord de l’infini ». Un croissant de lune très fin incise le ciel, faucille d’or négligemment jetée dans le champ des galaxies, lorsqu’une étoile filante raie le diamant noir de la nuit. « Rien n’approche du bruit qui accompagne l’éclosion de certaines œuvres trop brillantes si ce n’est l’intensité du magnifique silence qui suit », pense-t-il. « Vite, fais un vœu ! » …

Voilà, aussitôt dit aussitôt fait. En secret. Cet homme c’est moi, bien sûr : assumer l’écart, et constituer l’exil comme lieu d’observation, centre d’expérimentation, point de perspective. Une terrible envie de le dire à tout le monde me saisit. Mais le dire comment ? Le crier sur le toit ? Ce serait le comble ! Chose singulière, il va me falloir inventer une langue inédite dont je ne connais pour l’instant que les deux premiers vocables : Utopie et Réalité. Couple antinomique s’il en est, encore à marier, mais comment ?

Rien de plus simple, il suffit de RÉALISER L’UTOPIE !!! C’est bien un vœu de poète ça, un rêve de poète même. Le poète est un doux rêveur, c’est connu. Pourtant, campé sur son toit, tantôt debout, comme le voyageur nocturne dont on n’aperçoit plus que le profil perdu dans la sombre embrasure d’une gare, tantôt assis, tel l’apatride sur son rocher faisant face à l’océan, toujours penseur, le poète est dans une position difficile et souvent périlleuse, à l’intersection de deux plans au tranchant cruellement acéré (la ligne de faîte), celui du rêve et celui de la réalité.

Funambule à la recherche d’un point de fuite jamais atteint, il déambule d’une marche incertaine et précaire sur le vide, aspiré par en haut, attiré par en bas, en revenant toujours au même endroit et en tournant en rond, — comme le fait d’ailleurs de son côté la terre sur laquelle sans fin nous cheminons, cette roue giratoire qui continuerait à tourner jusqu’à l’éternité sans l’usure progressive et irrémédiable de l’axe — en cherchant à remplir de son esprit et de sa sensibilité l’abîme vertigineux de la distance, à réinventer ce réel dont la poésie nous rapproche, de lueur en lueur, à croire que nous allons enfin le saisir, que son secret est sur le point de se révéler à nous dans les mots du poème, qu’il n’est plus qu’un pas, un seul pas à franchir et nous allons savoir, notre attente enfin va être comblée. Mais la transparence ne supprime pas l’invisible, l’ultime, la mince, l’infranchissable frontière : la promesse demeure sans fin promesse d’un horizon toujours reculé.

Or le vœu n’est-il pas promesse en même temps que désir ? Et ce que nous appelons promesse entre les hommes n’est-il pas nommé vœu au regard de Dieu ? Et que dire du rêve ? Encore un mot qui doit changer d’acception, prêt à mourir usé, effacé, fruste comme une de ces très vieilles médailles qui semblent avoir fondu lentement dans nos doigts.

Le poète entend plutôt par rêve l’état où la conscience est portée à son plus haut degré de perception : une perception vraie parce qu’elle relève d’un monde frais éclos et balbutiant, où le dedans et le dehors peuvent permuter, où la conscience est habitée par le monde et vice versa. Il faut avoir innée la puissance du rêve… Utopie et Réalité, deux mots bien accouplés qui le font jaillir, nuance à nuance, une image inouïe, une image qui coupe à vif dans les dimensions primitives du monde. Le poète le sent, et il sait bien que seul le rêve (ou la prière) est propre à provoquer une telle émotion. Lors sa voix murmure, une voix un peu étouffée, des choses quotidiennes, humbles (bouleversantes), et voilà que, peu à peu, dans la plénitude de ce murmure, nous comprenons, nous sentons que notre vie, la vie est concernée par cette voix qui devient celle non plus du poète mais du poème même, où ce qui parle dans le poème c’est plus une nature qu’une culture, ou alors une culture qui reflète cette communion spontanée de l’homme et de la nature, cette fusion du sensible et du sens, où le mot semble encore une image brute et non un signe...

Les mots se sont perdus tout le long du chemin
Les mots n’ont plus de sens
D’ailleurs on n’a plus besoin de mots pour se comprendre
Il n’y a plus rien à dire
Le vent est arrivé — une parole de vent toute intérieure mais suspendue
Le monde se retire
L’autre côté
Je vois l’autre côté du monde
Le côté caché, le plus important
Celui où doit avoir lieu le réel dénouement


Rome, samedi 24 juillet 1999, 17h18’
Voilà. Si vous le souhaitez, vous pouvez télécharger un fichier .DOC où j'avais noté en vrac une partie des sources. Ce travail, inachevé (dans mon idée d'alors, ce qui précède n'était que le début), restera à l'état d'ébauche, ne vous attendez donc pas à quelque chose d'exhaustif, c'est juste pour vous donner un aperçu de la genèse du texte.

Je conclurai en citant Ted Nelson, qui commence son intervention par ces mots : « The clearer is your vision, the harder it is to explain… », et termine en disant : « I guess Google would do that… »


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jeudi 8 février 2007

No intervening human linguists: est-ce la GALE, Docteur ?

En commentaire à un billet intitulé Les traducteurs, espèce en voie d'extinction ?, j'observe :
En voie d'extinction, sûrement pas, mais en voie de transformation profonde, certainement. Même si apparemment beaucoup des parties prenantes n'en ont pas encore pris conscience.

On ne peut plus traduire sur et via Internet comme on le faisait AVANT Internet, et les logiques de nivellement par le bas à l'œuvre sur les différentes places de marché dédiées qui existent aujourd'hui font l'impasse sur ce que doit être une traduction de qualité, en finissant toujours par imposer aux traducteurs la quadrature du triangle...
Je voudrais donc développer davantage mon raisonnement, et, surtout, tenter d'expliquer pourquoi, selon moi, les métiers de la traduction vont subir bien plus tôt qu'ils ne le pensent des « transformations profondes », pour ne pas dire une véritable révolution.

Je vois deux grands axes d'évolution :
  1. la traduction automatique
  2. la localisation sans traduction

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1. Traduction automatique


Eric Schmidt nous rappelait déjà en octobre 2005 que la traduction automatique (TA) pourrait aider à abolir les barrières linguistiques à la communication :
Larry and Sergey talked a little bit yesterday about some of the issues of automatic translation. And language has typically been a barrier for communication. If we can automatically translate between the two, that can help.
Il est d'ailleurs notoire que chez Google de nombreux ingénieurs s'y consacrent à plein temps :
Google also has an army of engineers working on automatic translation tools that would render information in any language intelligible in any other.
Ce n'est donc pas un hasard si en moins de 10 ans Google s'est hissé parmi les premiers acteurs mondiaux dans le domaine de la traduction automatique et pourrait bien nous réserver quelques surprises à l'avenir...

Mais Google n'est pas seul en lice. Dans son rapport 2007 de planification stratégique, la DARPA, mieux connue pour être à l'origine du défi Internet, nous annonce que l'un de ses développements clés à l'horizon 2010 va porter sur le traitement des langues, et plus spécialement sur une traduction automatique fiable en temps réel : Real-Time Accurate Language Translation, qui ne nécessitera plus l'intervention de traducteurs-interprètes humains. Directement du média à l'utilisateur !


Page 33 du rapport, fin de la section 3.7. Ce mode de traitement, qui fait partie du programme GALE (Global Autonomous Language Exploitation), prévoit trois phases :
  1. la transcription
  2. la traduction
  3. la distillation
La première étape pour pouvoir exploiter les données audio en langue étrangère à des fins de traduction consiste à convertir les discours en texte, c'est la transcription. Les américains nomment ça Speech to Text Transcription (STT). Après quoi le texte est traduit puis « distillé », l'ensemble des opérations étant automatisé par des moteurs de traitement (2.2 Transcription Engine ; 2.3 Translation Engine ; 2.4 Distillation Engine). Aperçu de ce dernier concept :


L'objectif est de parvenir à de très hauts niveaux de performances : 95% de fiabilité et 90-95% de cohérence/justesse sur les traductions depuis l'arabe et le chinois vers l'anglais, afin de pouvoir extraire et fournir des informations clés aux décideurs ayant un degré de pertinence égalant voire dépassant celui des humains.

Si on évalue grossièrement à 60% le degré de fiabilité des systèmes actuels, on peut se faire une idée des progrès qui seront accomplis. Disons qu'après 50 ans de tâtonnements de la recherche en TA, l'évolution sera significative dans les années à venir. Avec des conséquences qu'on peut aisément deviner pour les traducteurs, qui n'en sont plus à une révolution près ! D'ailleurs c'est écrit en toutes lettres :
GALE engines perform both of these processes in a completely automated fashion, without the intervention of human linguists.
Nous voilà fixés, si certains nourrissent encore quelques doutes. Car une fois au point, nous savons très bien que les technologies développées par les militaires sont ensuite industrialisées pour des usages civils. Il serait donc temps que nous remémorions le vieil adage : « Un traducteur averti en vaut deux... »

À noter que sur l'année 2007, la Darpa a budgété +84 millions US$ aux technologies de traduction du langage (language translation technologies), soit 7 millions par mois, ce qui s'appelle "se donner les moyens" ! (source : Human Language Technologies for Europe, p. 32, PDF - 7,7 Mo)

[Début]

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Juste pour donner une idée de l'état de l'art en la matière, voici la synthèse d'un rapport publié par l'OTAN, Research & Technology Organisation, sur « La mise en œuvre des technologies de la parole et du langage dans les environnements militaires » (RTO-TR-IST-037) (PDF en anglais, 4,3 Mo) :
Les communications, le commandement et contrôle, le renseignement et les systèmes d’entraînement font de plus en plus appel à des composants issus des technologies vocales et du traitement du langage naturel : il s’agit de codeurs vocaux, de systèmes C2 à commande vocale, de la reconnaissance du locuteur et du langage, de systèmes de traduction, ainsi que de programmes automatisés d’entraînement. La mise en œuvre de ces technologies passe par la connaissance des performances des systèmes actuels, ainsi que des systèmes qui seront disponibles dans quelques années.
Etant donné l’intégration de plus en plus courante des technologies vocales et du traitement du langage naturel dans les systèmes militaires, il est important de sensibiliser tous ceux qui travaillent dans les domaines de la conception des systèmes et de la gestion des programmes aux capacités, ainsi qu’aux limitations des systèmes de traitement de la parole actuels. Ces personnes devraient également être informées de l’état actuel des travaux de recherche dans ces domaines, afin qu’ils puissent envisager les développements futurs. Cet aspect prendra beaucoup d’importance lors de la considération d’éventuelles améliorations à apporter à de futurs systèmes militaires.
Les textes contenus dans cette publication comprennent des communications sur l’état actuel des connaissances dans ce domaine, ainsi que sur des travaux de recherche en cours sur certaines technologies de la parole et du langage, à savoir : les techniques et les normes d’évaluation, la reconnaissance de la parole, l’identification linguistique, et la traduction.

Technologies déjà disponibles :

Décomposition du traitement de la parole (PDF, 12 Mo) :

[Début]
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2. Localisation sans traduction

L'avenir souhaitable de la traduction sur Internet, selon moi, une évolution de la sphère GILT, une vision que j'ai déjà eu l'occasion de développer dans un discours sur la traduction technique professionnelle prononcé en 2003 à l'université de Rennes 2, lors du Colloque « Traduction et francophonie(s) ; traduire en francophonie », dont j'ai développé les conclusions dans ce billet.

Nous en sommes encore loin, c'est une évidence, même si je me plais à répéter une fois encore ces mots de M. Daniel Gouadec, qui résument parfaitement ma pensée :
L’une des évolutions à court terme pourrait donc porter sur l’assimilation de la « traduction » à une rédaction dans laquelle le document initial servirait uniquement de référence ou source d’informations qui, analysées et synthétisées par le traducteur, seraient ensuite reformulées ou réexprimées selon les contraintes posées par le public, le type de document, et les utilisations voulues ou prévues du document.

(...)

La meilleure façon de traduire est peut-être bien de rédiger d’abord et même de rédiger seulement.
Et dans une grande clairvoyance, il avait nommé ça la « naturalisation ». Le rêve de millions de PME qui voudraient pouvoir offrir (et s'offrir...) sur Internet une présence multilingue de qualité. La demande est là, qui va grandissante au fil des jours, ne reste plus qu'à créer l'offre.

Traducteurs, à bon entendeur...
[Début]


P.S. Pour finir en beauté, juste histoire de montrer que s'il est déjà difficile de se comprendre dans sa propre langue, que donnera le message une fois passé à la moulinette de la TA... [Début]

C'est en anglais, désolé :-) (Merci Emmanuelle)

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mardi 6 février 2007

Lettre ouverte à Michel-Edouard Leclerc

Lettre ouverte à Michel-Édouard Leclerc

Dans la série « grands patrons », billet fleuve...
Tribune de Jean-Marie Le Ray
Mon idée

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Dans un récent billet publié sur De quoi je me M.E.L., son blog-tribune comme il l'appelle, Michel-Édouard Leclerc avoue :
Je suis quelqu’un « d’ouvert », qui se veut le plus possible disponible. Je laisse quiconque m’interpeller directement sur ce blog, d’où qu’il parle. Sans filtre, sans censure, hormis les attaques contre les personnes. Peu de patrons en Europe osent pratiquer ce même exercice.
Est-ce si vrai ? J'ai mes raisons d'en douter...

J'ai tenté de prendre contact à plusieurs reprises avec vous, M. Leclerc, en 2002, 2003, 2004, avant de découvrir votre blog en septembre 2005, ce qui a suscité chez moi un espoir formidable. En effet, ça fait très longtemps que j'ai une idée, que je n'hésite pas à qualifier de révolutionnaire pour la France, le genre d'idée qui peut totalement vous changer la vie si, avec un peu - beaucoup - de chance et les bonnes rencontres au bon moment, vous réussissez à la réaliser. Et après plusieurs tentatives auprès de plusieurs "cibles" potentielles, j'avais fini par penser que si quelqu'un pouvait réellement faire vivre cette idée dans l'hexagone, ce quelqu'un, c'était vous, Monsieur Michel-Édouard Leclerc...

Extrait de mon premier contact direct avec vous, écrit en commentaire à votre blog le 18 septembre 2005 à 9h23' :
Bonjour M. Leclerc,

(...)
Il y a en français un verbe peu employé, impétrer, dont la seule acception légale que nous donne le Robert (obtenir de l'autorité compétente, à la suite d'une requête) ne rend pas justice au véritable sens du mot : obtenir directement de l'autorité compétente, c'est-à-dire sans passer par aucun intermédiaire.
Et la difficulté, lorsqu'on veut rencontrer un homme tel que vous, vient toujours des intermédiaires, qui décident à votre place de qui vous devez voir ou non, de ce que vous devez lire ou non...
En cherchant dans mes archives, ma première tentative de prise de contact remonte à fin juillet 2002, toujours sur Internet, par l'intermédiaire du site GALEC Italie :

« GALEC Italie
Responsable développement pays : V. D.

To: "jmleray@..."
Subject: Réponse à votre e-mail.
Référence : 135676

Nous avons bien reçu votre e-mail du 29/07/02 et nous vous remercions de l’intérêt que vous portez à notre enseigne.
Afin de répondre à votre demande nous vous conseillons d’adresser dans un premier temps de proposer votre idée au siège sociale aux coordonnées suivantes :

GALEC
52, rue Camille Desmoulins
92451 ISSY LES MOULINEAUX.
En vous souhaitant une bonne réception de ce message, nous vous prions de croire, Monsieur LE RAY en l’expression de nos salutations distinguées.
 »

C'est donc à cette adresse que je vous avais envoyé mon premier courrier, resté sans réponse, tout comme les suivants d'aillers, puisque j'ai recommencé en 2003 et 2004, autant à l'adresse ci-dessus qu'au siège de l’Association des Centres Distributeurs Leclerc / ACDLEC
149, rue Saint Honoré
75001 - Paris

Voilà pour la chronologie. Donc vous dire mon étonnement mêlé d'émotion à la découverte de ce blog après plus de trois années d'essais infructueux, les mots me manquent.
Mais quel est le sujet qui m'amène avec tant d'insistance ?
Comme vous l'aurez compris au lu du message de votre collaborateur, il s'agit d'une idée. Et d'une idée dont je ne peux parler qu'avec vous seul.
Je serais heureux de vous donner davantage d'explications, soit par écrit soit par téléphone, à votre convenance, pour peu que vous estimiez n'avoir pas affaire à un illuminé de passage.
Je mets tout mon espoir dans ce message, j'espère que vous l'entendrez.
Cordialement,
Jean-Marie Le Ray
Ce à quoi vous me répondiez deux jours plus tard :
Le 20 septembre 2005 - 19h11' M.E.L. a dit :
Re Jean-Marie Le Ray (18/09/05)

Désolé que le circuit pour m’atteindre ait été si long et si tortueux. Vous pouvez m’écrire (ACDLec, 52 rue Camille Desmoulins, 92451 Issy les Moulineaux).
C'était pourtant la même adresse à laquelle j'avais expédié mes premiers courriers, mais bon...

De nouveau, deux jours plus tard, je vous informais de l'envoi effectué :
Le 22 septembre 2005 - 17h04' Jean-Marie Le Ray a dit :

Bonjour M. Leclerc,

J'ai posté ma lettre (format A4) ce matin à Rome, en recommandé A.R., il manquerait plus qu'elle se perde après toutes ces péripéties.
Il est peut-être trop tard pour que vous la receviez samedi, mais j'imagine que vous l'aurez dès lundi, mardi au plus tard.
Bien que j'aie mis confidentiel dessus, je préfère quand même vous prévenir avant.
Cordialement,
Jean-Marie Le Ray
Après quoi je vous ai relancé deux mois plus tard ( 7 novembre 2005 - 9h36'), puis cinq mois plus tard (20 février 2006 - 14h04') ; c'était il y a un an, donc, et je terminais mon message par ces mots :
P.S. Depuis le début, ma femme me dit, tu verras qu'il ne te répondra pas.
Depuis le début, à chaque fois je lui rétorque, mais si, mais si, je suis son blog régulièrement et je vois qu'il met un point d'honneur à répondre à tout le monde.
Mais enfin, après tout ce temps, ma certitude commence à se teinter de doute...
Ma femme, qui croit comme moi à la réussite de cette idée si elle voyait le jour, a même tenu à vous écrire personnellement, lettre que j'ai traduite en accompagnant l'original écrit de sa main de ma traduction :
Rome, 30 octobre 2006

Cher monsieur Michel-Édouard Leclerc,

Je m’appelle Geneviève Montervino, je suis la femme de Jean-Marie Le Ray, qui vous a contacté il y a déjà plus d’un an pour un projet qui lui tient à cœur : « LeJag », et à qui je confie la traduction de ces quelques mots car je ne parle pas trop bien le français !

Lorsque nous rentrons chez moi à l’occasion des fêtes ou des vacances, dans la maison de mes parents, à Cava de’ Tirreni, au sud de Naples, le long de l’autoroute je vois toujours votre nom accolé à la marque CONAD, et immédiatement mon association de pensée est la suivante : « M. Leclerc est sûrement téméraire, car seul un homme qui aime les défis peut décider d’installer une filiale à Naples, un marché sans aucun doute parmi les plus difficiles au monde ! »

Alors je me souviens du discours que me tenait mon mari à votre propos, en affirmant que s’il y avait une seule possibilité de réaliser ce projet, vous étiez l’unique personne capable d’accepter de relever le défi !

Je vous assure que je n’ai jamais lu la lettre que mon mari vous a envoyée, vu ma méconnaissance du français, mais je suis certaine qu’il vous aura effrayé : lorsqu’il pense à la réalisation d’un projet, il est si précis et minutieux qu’il va imaginer les plus petits détails, chose qui a tendance à effrayer les personnes qui l’écoutent, en leur faisant parfois probablement penser « ce type est un peu fou » !

La présente ne prévoit aucune requête à votre encontre, même si je vous avoue qu’une brève réponse de votre part nous ferait vraiment plaisir, juste pour apaiser (dans un sens ou dans l’autre) nos souhaits de réaliser ce projet dans un futur proche.

Je conclurai cette lettre par un proverbe bien de chez nous, la région napolitaine : la Campanie : « Ceux qui ont du pain n’ont pas de dents, et ceux qui ont des dents n’ont pas de pain », qui à mon avis rend l’idée de mes pensées en ce moment.

Voilà. Monsieur Leclerc, excusez cette lettre impulsive, née de l’intuition féminine, et veuillez accepter tous mes vœux de réussite pour votre travail et l’expression de mes salutations les plus sincères.
Or tout cela pour quoi ? Jamais aucune réponse de votre part ! Ni merde ni mange. Je suis très amer de votre attitude, Monsieur Leclerc ! Je ne pense pas que tous les gens qui cherchent à vous contacter y passent cinq ans avec un nombre considérable de relances. D'autant plus qu'en me répondant la première fois Désolé que le circuit pour m’atteindre ait été si long et si tortueux. Vous pouvez m’écrire..., vous avez clairement suscité un grand espoir en moi, mais si vous n'aviez pas l'intention de répondre dès le départ, pourquoi l'avoir suscité ?

Être quelqu’un « d’ouvert », qui se veut le plus possible disponible, (...) sans filtre, sans censure, etc., c'est bien beau, mais ne pas répondre de cette manière, n'est-ce pas un filtre, une censure ? Voire une marque de dédain ? Avez-vous déjà tenté de dialoguer avec quelqu'un qui vous regarde sans ouvrir la bouche ? Ou de saluer quelqu'un en lui tendant une main qu'il refuse de prendre ? Je serai curieux de connaître votre opinion là-dessus ! D'autant plus que mon dernier message, vous ne l'avez pas publié, probablement par lassitude, qu'est-ce qu'il me veut encore, celui-là... Or il n'y avait point d'attaque personnelle dans ce message pour qu'il passe à la trappe. Juste une interrogation légitime : pourquoi faire semblant d'ouvrir les portes si c'est pour mieux vous les claquer à la figure dans un deuxième temps ?

Je cite votre édito :
Plus frustrant encore, l'absence de dialogue. Internet ouvre dans ce domaine de nouvelles possibilités d'information et d'échange que je souhaite explorer. C'est pour ces raisons que j'ai décidé de créer "De quoi je me M.E.L" simplement pour permettre à ceux qui le désirent, d'en savoir plus et de pouvoir donner leur point de vue.
À quoi je rétorque :
Monsieur Michel-Édouard Leclerc, si vous vous targuez d'être un grand patron ouvert, et de souhaiter explorer les nouvelles possibilités d'information et d'échange qu'autorise Internet dans le domaine du dialogue, alors jouez le jeu jusqu'au bout. Faute de quoi vos mots ne sont que paroles en l'air...
Il m'aurait suffi d'une phrase, laconique, du genre « Merci de votre courrier, mais je ne suis pas intéressé ». Point barre ! Chacun est libre d'entreprendre ce qu'il veut. Et autant j'aurais accepté un refus formulé de votre part, tout à fait normal et légitime, autant je rejette cette négation silencieuse que je trouve indigne d'un homme tel que vous. Après tout, des "non", vous devez en prononcer plusieurs centaines par semaine, franchement, un de plus ou de moins, cela vous coûtait-il tant  ?

Par ailleurs je ne pense pas que vous oseriez vous retrancher derrière un mensonge (du genre, rien ne m'est parvenu), car vous les avez reçues mes lettres, j'en ai la preuve formelle, puisqu'elles contiennent un nom de domaine que personne ne connaît et qui par la suite a été cliqué à plusieurs reprises depuis votre siège social...

Mais en fin de compte, probablement avez-vous pensé que mon idée ne valait même pas la peine d'une réponse. Je trouve ça dommage, certes, mais il est clair que vous êtes seul juge de vos décisions et votre jugement sans appel.

Je vais donc soumettre cette idée aux lectrices et lecteurs d'Adscriptor, rassurez-vous, ils ne sont pas nombreux, mais si quelqu'un ayant des moyens que je n'ai pas me lit et pense que le jeu en vaut la chandelle, qui sait, peut-être vivra-t-elle un jour ? Je le souhaite, d'autant plus que depuis 1986 que je l'ai, 21 ans ont passé sans que personne ne l'ait encore mise en œuvre, or elle est plus que jamais d'actualité...

À tout le moins, ils pourront toujours me dire si d'après eux elle valait une réponse... [Début]

* * *

Voici mon idée.

L'exposition qui suit reprend fidèlement le courrier que j'ai adressé à M. Michel-Édouard Leclerc, en ne réactualisant que les données des petites annonces puisque près de 18 mois se sont écoulés depuis le montage de mon "dossier".

Ardea (Rome), le 21 septembre 2005

Monsieur Michel-Édouard LECLERC,

Tout d’abord, merci pour m’avoir répondu et communiqué votre adresse.
Entrons dans le vif du sujet.
Voici pour commencer la fameuse lettre que je vous ai adressée par trois fois, dans sa version originale qui remonte au 31 juillet 2002 :

[ À l’attention de M. Michel-Édouard LECLERC

Monsieur,

Si vous êtes en train de lire cette lettre, c’est que mon premier but aura été atteint : prendre directement contact avec vous.

Je m’appelle Jean-Marie Le Ray, traducteur-interprète de profession, installé en Italie depuis 20 ans et titulaire d’une TPE depuis 14, le Studio 92 Snc.
L’objet de cette lettre est le suivant : vous rencontrer pour vous proposer la réalisation d’un projet ambitieux qui vous permettrait de faire jeu égal - voire de rapidement les dépasser - avec les deux principaux groupes qui se partagent le secteur de la presse gratuite en France, à savoir, par ordre d’importance, la Comareg, dans le giron de Vivendi Universal Publishing, et Spir-Communication, filiale d’Ouest-France, qui représentent à elles seules près des 3/5 des quelque 500 journaux diffusés chaque semaine à environ 40 millions d’exemplaires.
Par conséquent, vous pouvez facilement mesurer l’importance d’un tel enjeu, de même que sa proximité, en dépit des apparences, avec vos propres activités, puisque ce marché représente un outil de communication sans équivalent, outre une mine inépuisable d’informations commerciales au niveau local (avec l’immense valeur ajoutée dont ce gisement est porteur…).

Vous pourriez aussi vous demander pourquoi je m’adresse à vous plutôt qu’à quelqu’un d’autre. C’est simple : je suis toujours resté impressionné par la capacité que vous avez eue de plier le monopole des pétroliers, premier des monopoles cassés à mettre à votre actif…

J’ai donc tenté sans trop d’illusions de trouver une adresse électronique où j’aurais pu vous écrire directement, à travers le site de votre groupe, mais je n’ai pu obtenir en retour que le message suivant : (...)

Or il est évident que, mon projet étant basé sur cette seule idée, à l’instant même où elle aura été dévoilée ma présence deviendra tout à fait inutile.

D’où mon insistance pour vous rencontrer en personne, au moins pour avoir un engagement de votre part que, dès lors que vous jugeriez cette idée viable et susceptible d’être mise en œuvre, je pourrai effectivement avoir des intérêts dans son exploitation commerciale.
Dans l’attente d’avoir une réponse de votre part, ce que j’espère fortement, veuillez croire, Monsieur Leclerc, à l’assurance de mes sincères salutations. ]


* * *

Donc, trois ans plus tard, je n’ai plus envie de jouer au chat et à la souris, je vous livre mon idée et mon projet, tels quels, dans leur intégralité…

J’espère juste que vous n’êtes ni membre du Directoire d’Ouest-France ni trop copain avec M. Vincent Bolloré ! À moins de vouloir associer Havas à l’initiative. 

Le concept, révolutionnaire en France (ce qui est la moindre des choses), se résume en deux lignes :

Fini les journaux d’annonces gratuits
Vive les journaux d’annonces gratuites

Un petit "e" qui fait une grosse différence, un petit "e" qui pourrait bien jeter un gros pavé dans la mare…

Genèse de mon idée

Je vis à Rome depuis 1986, où j’ai débarqué dans la plus grande précarité. Ainsi j’ai vite fait la découverte d’un journal de petites annonces, qui est une véritable institution ici, intitulé Porta Portese (l’équivalent des Puces à Rome).
  • Premier constat : passer une annonce ne coûte RIEN ! (Les annonces gratuites étant réservées aux seuls particuliers, pas aux personnes juridiques). De plus, elle sort deux fois par semaine, le mardi et le vendredi. La seule limite réside en ce qu’on ne peut passer qu’une annonce par catégorie pour deux parutions. Par conséquent, si vous vendez votre frigo, tout en étant à la recherche d’une voiture et de l’âme sœur, vous pouvez passer trois annonces qui vont sortir deux fois, pour la modique somme de 0,00 (en euro, en dollar ou en yen, ça fait toujours 0 !).
  • Deuxième constat : le journal compte en moyenne entre deux et trois cents pages par numéro, disons environ 200 le mardi et 300 le vendredi. À comparer avec les quelques pages de nos journaux d’annonces français…
C’est d’ailleurs cette différence de « poids » qui m’avait le plus frappé, et voilà pourquoi je rêve depuis bientôt 20 ans de voir publier un journal d’annonces gratuites en France. En une phrase, le seul investissement pour le particulier est le prix du journal, soit 1,00 €, qui reste facultatif, puisque rien ne vous oblige à l’acheter !

Concept

J’ai imaginé que « mon » journal, hebdomadaire au début, s’appellerait Le JAG, sigle qui peut recouvrir plusieurs libellés :

Journal d’annonces gratuites / Le Journal des annonces gratuites / Le J’annonce gratuit, etc.

À coupler ensuite avec les Régions, les Départements (noms + numéros), les grandes villes : JAG-Bretagne / JAG-Essonne / JAG-Bordeaux / JAG-Francilien / JAG-75, etc.
« Aujourd’hui un journal de petites annonces ne peut être qu’un journal ancré dans la proximité, à la portée de tous »

Prix du JAG : 1 €

Un prix hautement symbolique par les temps qui courent, un prix « politique » dirait-on en italien, mais surtout, SURTOUT, un prix hautement social et démocratique, c.-à-d. pour toutes les poches. Parfaitement en phase avec les principaux engagements de Leclerc : défense du pouvoir d’achat et information du consommateur, implication dans la vie locale et protection de l’environnement (on peut très bien imaginer des journaux sur papier recyclé, etc.). Et de plus, une tribune idéale permettant de « Participer à la vie économique, sociale, culturelle et sportive de la région pour contribuer à son essor. »

De facto, le plus gros frein au développement des journaux d’annonces locaux en France est le prix excessif que coûte un passage.

Par ailleurs, lorsque vous passez une annonce pour vendre quelque chose, il est clair que vous n’avez pas la moindre assurance d’avoir des réponses, ni a fortiori des acheteurs. Pour autant, si la somme à dépenser est trop grosse, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Et avec des tarifs aussi prohibitifs que ceux pratiqués chez nous, comment s’étonner que les gens ne passent que très peu d’annonces ?
Il faut vraiment être réduit à ne plus pouvoir faire autrement, et encore…

À l’opposé, combien de gens souhaiteraient passer leurs annonces chaque semaine ?

Juste deux exemples pour étayer mon propos, si besoin en était :

Premier exemple :


* Prix pour 4 semaines d’annonces en couplage sur Ouest-France (12 départements) et sur Internet : 129,23 € !!!

Prix pour 4 semaines d’annonces en couplage sur JAG-Bretagne, JAG-Basse Normandie et JAG-Pays de Loire et sur Internet : 0,00 € pour l’annonce, 12,00 € si vous achetez les 4 parutions hebdomadaires dans ces trois départements !!!

- « No comment », disent les anglo-saxons.

Remarque : l'exemple ci-dessus est celui d'il y a un an et demi, depuis les tarifs ont pratiquement été multipliés par 2 (de 129,23 € à 230,11 €) ! Il est vrai que le prix du papier a augmenté entre-temps et qu'aujourd'hui en plus on a droit à une sortie dans les Deux-Sèvres et dans d'autres quotidiens régionaux, mais quand même...


On comprend mieux leur conseil : « En passant votre annonce pendant au moins deux semaines, vous augmentez de 50% son efficacité. » :-)


Deuxième exemple :



* Prix de l’annonce sur 3 semaines (laissons tomber la promo…) : 25,65 € … la ligne !!! Résultat pour 6 lignes : 153,90 €, c’est quand même pas donné.
Maintenant que peut-on écrire en 24 cases, espaces compris ?

Prix à la ligne sur le JAG : 0,00 €, sur autant de lignes que ci-dessus !
Prix du JAG sur trois semaines : 3,00 €


Remarque : là les prix n'ont pas changé et le formulaire téléchargeable semble ne pas avoir été mis à jour depuis.

Pour faire de la publicité comparative, vous êtes sûr de pas trouver mieux et de cartonner un max…
À ces conditions, que répondraient 99,99% des sondés à la question :
- « Préférez-vous avoir un journal d’annonces gratuit ou payant » ?
- « Payant » ! Plutôt paradoxal à notre époque, non ?
- Alors comment un tel journal pourrait-il vivre et dégager des bénéfices ?

Première chose, si je prends en exemple mon journal de référence (Porta Portese), je vous assure qu’il se porte comme un charme depuis plus de 28 ans, et qu’il vit même de mieux en mieux.

Principales rentrées :
  1. Le prix du journal
  2. Le prix des annonces
  3. Les ressources publicitaires

1. Le prix du journal
1,00 € c’est peu, mais si vous en vendez des millions par semaine, ça devient moins négligeable. Et qui se refuserait à dépenser 1 €, ne serait-ce que pour vérifier que l’annonce passée se trouve bien dans la catégorie voulue, qu’elle est correcte, etc. ?

2. Le prix des annonces
L’annonce de base reste toujours gratuite, mais quand vous avez un journal de 220 pages, comment faire si vous voulez que votre message sorte du lot ? Quand la formule basique ne suffit plus, vous allez avoir envie d’attirer l’attention : message en gras, encadré (simple ou plus élaboré), etc.
Les prix restent abordables, et c’est toujours la quantité qui fait la différence.
De plus, je le répète mais l’élément est crucial, l’annonce gratuite est réservée aux seuls particuliers. Les autres paient, ce qui est plutôt normal.

3. Les ressources publicitaires
Voilà évidemment le gros morceau.
Deux mots en passant sur les ressources publicitaires.
Selon une présentation faite par M. Xavier Guillon, de France Antilles (qui sait donc de quoi il parle), « Le budget des annonceurs, c’est 30 milliards d’euros. Un tiers de cette dépense est consacrée à de la communication locale. (…)
Il y a 2 grands marchés :
- annonceur local pur : 60% de ce tiers
- les états-majors nationaux qui localisent leur communication, dans les campagnes d’accompagnement, pour 40%. (…)
Autres spécificités de ce marché:
- le marché est très atomisé. La communication nationale, c’est environ 10 000 annonceurs. Pour la communication locale, c’est environ 1,2 millions !
 »


Il y a donc d’énormes ressources disponibles, toujours en quête d’une audience élargie et d’une segmentation accrue, qui ne demandent qu’à trouver le bon support. Ne reste plus qu’à le leur fournir… 

Or entre la PQN, la PQR, les magazines de toute périodicité, les gratuits, les journaux d’annonces, la presse spécialisée, etc., les annonceurs ne savent plus où tourner la tête. Il va forcément y avoir un tri et il est clair que les investissements vont se reporter sur les plus gros tirages, ceux qui touchent le plus de gens.

Les gratuits c’est très bien mais ils ne concernent que les citadins, et encore, ceux des grandes villes. Ça fait quand même pas mal de monde laissé de côté, des petites et moyennes villes aux campagnes…

Pourquoi Leclerc ?

Réponses :
  • Proximité (présence)
  • Capillarité du réseau (distribution)
Pour utiliser une formule 2 en 1, qualité et quantité  !
De plus, j’imagine que la présence d’un point JAG dans vos Centres n’exigerait pas une mise en place excessivement lourde.

Je vois bien un petit kiosque à journaux à l’ancienne, relooké au goût du jour, quelque chose de joyeux et de coloré, agrémenté d’une borne Internet pour entrer directement l’annonce dans le système centralisé (…), où chacun de vos clients pourrait saisir/déposer son ou ses messages !

Autre facteur, qui n'est pas moins important, l'image de Leclerc, qui se veut proche des gens et s'accorderait parfaitement à une initiative de ce genre (ce n'est pas démagogique de ma part d'affirmer cela, puisque c'est l'un des principaux éléments à l'origine de mon choix).

Ça bousculerait l’ordre établi et casserait quelques monopoles, certes, mais France Antilles (Comareg), Ouest-France (Spir-Communication, Socpresse), Sud-Ouest (le petit nouveau qui joue dans la cour des grands) et le réseau Ville Plus (né pour contrer Metro et 20 minutes) ont les reins assez solides pour y résister, même si leur rente de situation serait quelque peu égratignée.

Quant au ROI pour Leclerc, pensez un instant que vous mettiez un opt-in sur chaque formulaire d'annonce, je vous laisse imaginer la suite... La constitution rapide d'une gigantesque base de données comportementales, marketing, etc. Pas besoin de vous expliquer la valeur marchande d'un tel pactole et de ce double support - papier et Internet - avec une triple couverture, nationale, régionale et locale (et une distribution dans vos magasins, mais pas seulement).

Et je ne parle que de la France ! Or un groupe comme le vôtre pourrait très bien vouloir franchir les frontières, une telle formule étant assurée du succès dans n'importe quel pays...

Prenez l’Italie : à part Rome, avec Porta Portese, il est clair que vous ne trouvez pas partout un tel journal, pour la simple raison qu’il faut une certaine « surface financière » pour l’implanter à l’échelle d’un pays et, AMHA, les acteurs les mieux placés pour le faire sont… les hypers !
Quant à l’Europe de l’Est, où tout est à construire et à reconstruire…

Porta Portese lui-même essaie de s’internationaliser, mais ça reste marginal, le journal restant un nain à côté de votre puissance (réelle et potentielle) de déploiement et de divulgation d’une telle initiative*.

Last but not least, en plus des six continents (pour m’aligner sur la conception du monde selon les anglo-saxons), il en existe un septième depuis une dizaine d’années, le continent Internet, plutôt liquide…

Un univers encore à ses débuts, mais promis à un bel avenir.
Donc, tout ce que je pouvais faire à mon niveau dans l’océan Internet, c’était de prendre le nom de domaine « lejag.com », et je l’ai fait, juste pour rêver…
Je n’ai pas enregistré JAG.com à cause de l’homophonie avec la série télé, un problème qui ne demanderait qu’à être approfondi.

Car pour la réalité, ce serait un portail en mesure de capter et centraliser des myriades de « clients », de prospects et d’annonceurs ; et cela, même sur Internet, ça ne court pas le Web (à part les moteurs de recherche, bien sûr).
Il y aurait d’ailleurs toute une réflexion à mener autour du nom de domaine, des extensions géographiques, etc., et du projet JAG sur Internet, dont la valeur ajoutée envers d’autres projets proches (je parle des Banques de données orientées gestion relation client, Datamining, etc.), en plus d’une couverture sans équivalent, consiste en ce qu’il serait aussi décliné localement et sur papier, un plus évident par rapport à ces derniers pour alimenter les bases.

En conclusion, je pourrais tout reprendre point par point pour un développement plus détaillé, mais ce n’est ni le lieu ni le moment. Je souhaitais seulement vous présenter le concept, car je suis persuadé de sa faisabilité et de sa rentabilité. C’est juste une question de volonté et… de moyens.

– J’ai la volonté, saurais-je vous la communiquer ?
– Vous avez les moyens, souhaiterez-vous m’impliquer ?


Ce qui est sûr, c’est que le premier qui occupera le créneau (ce n’est qu’une question de temps, selon moi) aura conquis un formidable avantage stratégique sur ses concurrents, indéniable et durable, notamment sur Internet. Une notoriété difficile à rattraper pour ceux qui prendront le train en marche…

Dans ma première missive, j’écrivais que l’objectif de mon courrier était de « vous rencontrer pour vous proposer la réalisation d’un projet ambitieux », mais à mon avis j’étais en-dessous de la vérité : le JAG, c’est un projet EXTRAORDINAIRE (étymologiquement, qui sort de l’ordinaire…), et je dirais même plus, dans l’air du temps !

Monsieur Leclerc, je suis plein d’espoir et j’attends impatiemment une réponse de votre part. Cordialement,
[Début]


P.S. À noter que j'ai signalé la publication de ce billet en commentaire sur le blog de M.E.L., juste au cas où... Résultat après une semaine : commentaire censuré (à moins qu'il ne soit encore en attente de modération...), et toujours pas de réponse. Un incident informatique, probablement, ça lui arrive de temps en temps :


« Mon cher Michel-Édouard, nous n'avons vraiment pas la même conception de ce qu'est l'ouverture ! » (phrase à prononcer comme si je m'adressais à Marie-Chantal...)

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jeudi 1 février 2007

Quand Silvio fait le paon, Veronica prend sa plume

Je voudrais vous entretenir, une fois n'est pas coutume, d'une affaire étonnante qui agite la Botte et qui mérite...

Plantons la scène. La semaine dernière, samedi 27, a été transmise à la télé la cérémonie des Telegatti, l'équivalent italien des Sept d'or en France.

Cérémonie suivie d'un dîner de gala durant lequel Silvio Berlusconi, Sua Emittenza en personne, s'en est donné à cœur joie, en osant dire en public à une « honorable » : « ...si je n'étais pas déjà marié, je vous épouserais dans l'instant ».

Oui, vous avez bien lu, une « honorable », puisqu'en Italie c'est le nom réservé aux députés, dont l'honorabilité est bien souvent inversement proportionnelle à la grandiloquence du titre, mais ça c'est une autre histoire...

Remarquez, en voyant la demoiselle (ou la dame, j'en sais trop rien), Mara Carfagna, députée de Forza Italia (le parti de l'ami Silvio) on peut le comprendre.


Il aurait tout aussi bien pu lui dire « moi, avec toi, j'irais n'importe où... », mais ça il l'a réservé en réponse à une autre, qui l'avait provoqué - reconnaissons-le - en lui sussurant : « Président, avec vous, je fuirais sur une île déserte ». Il faut dire qu'Aida Yespica n'est pas moche non plus. Il a du goût le bougre...

Et tout ça, bien sûr, on connaît le tact naturel qui le caractérise, devant le jet-set, devant les paparazzi et devant sa femme, Veronica Lario (en Italie, les épouses ne prennent pas le nom du mari mais gardent le leur), laquelle en a pris ombrage et aurait demandé ensuite, en privé, des excuses au galopin. Qui l'a envoyée sur les roses...

Or les femmes ont des ressources insoupçonnées, et hier, l'Italie s'est réveillée toute surprise (et Berlusconi aussi, probable) de découvrir à la Une d'un grand quotidien italien, la Repubblica, la lettre de Veronica :
Cher Directeur,

C'est avec réticence que je vainc la réserve qui me caractérise depuis 27 ans passés au côté de l'homme public, entrepreneur et politicien illustre, qu'est mon mari. J'ai considéré jusqu'à présent que mon rôle devait se tenir essentiellement dans la sphère privée, afin de donner équilibre et sérénité à ma famille. J'ai affronté avec respect et discrétion les inévitables contrastes et les moments douloureux que réservent des relations conjugales aussi longues. Mais aujourd'hui j'écris pour réagir aux paroles de mon mari lors du dîner de gala qui a suivi la remise des Telegatti, où il s'est adressé à certaines des dames présentes en tenant des propos que je juge inacceptables : « ...si je n'étais pas déjà marié, je vous épouserais dans l'instant », ou « avec toi, j'irais n'importe où... ».

Ce sont là des considérations qui blessent ma dignité et ne sauraient être réduites à de simples plaisanteries, compte tenu de l'âge, du rôle politique et social et du contexte familial (deux enfants d'un premier mariage et trois du second) de la personne qui en est à l'origine. Je prétends donc de mon mari et de l'homme public qu'il me présente publiquement les excuses qu'il ne m'a pas faites en privé, et saisit de même l'occasion pour lui demander si je dois me considérer, à l'instar du personnage de Catherine Dunne, comme « la moitié de rien ». Au long de mes relations avec mon mari, j'ai choisi de n'accorder aucune place aux conflits conjugaux, même lorsque par ses comportements il en a jeté les bases. Ceci pour plusieurs raisons : d'une part compte tenu du sérieux et de la conviction avec laquelle je me suis investie dans un projet familial stable ; de l'autre, en étant consciente qu'en parallèle au changement de certains équilibres que le temps ne manque pas de produire au sein du couple, la dimension publique de mon mari s'est considérablement étoffée, une circonstance qui, à mon avis, doit influencer nos choix personnels et nous amener à reconsidérer, si nécessaire, nos désirs personnels. J'ai toujours soupesé les conséquences que mes éventuelles prises de position auraient pu avoir tant pour mon mari, notamment en dehors de la famille, qu'au niveau des retombées possibles sur mes enfants.

Une ligne de conduite qui ne se heurte qu'à une seule limite, ma dignité de femme, qui doit également être un exemple pour mes enfants, ciblé en fonction de leur âge et de leur sexe : vis-à-vis de mes filles, aujourd'hui adultes, l´exemple d'une femme capable de protéger sa dignité dans ses relations avec les hommes, un exemple d'une importance particulièrement lourde, au moins autant que l´exemple d'une mère capable d'amour maternel, selon leurs propres mots ; je pense d'autre part que la défense de ma dignité de femme pourra aider mon fils pour qu'il n'oublie jamais de mettre le respect des femmes au rang de ses valeurs fondamentales, de sorte qu'il puisse instaurer avec elles des relations toujours saines et équilibrées.

En vous remerciant de bien avoir voulu me donner un espace où exprimer ma pensée, je vous prie de croire, cher Directeur, à l'expression de mes salutations les plus cordiales.


Vous imaginez Bernadette envoyer un pamphlet pareil au Figaro ?

Branle-bas dans le camp de Silvio pour savoir comment rétorquer à la belle, et c'est ainsi que la réponse de Berlusconi à sa femme a été publiée le soir même via les agences de presse :
Chère Veronica, voici mes excuses,

J'étais réticent en privé, car je suis d'une nature joviale, certes, mais aussi orgueilleuse. Maintenant, si le défi est public, la tentation de te céder est forte, si forte que je n'y résiste pas. Toute une vie que nous sommes ensemble. Trois enfants adorables que tu as préparés pour entrer dans l'existence avec le soin et la rigueur amoureuse qui distinguent la personne splendide que tu es et que tu as toujours été pour moi, depuis le jour où nous nous sommes connus et où nous sommes tombés amoureux. Nous avons fait plus de choses belles ensemble que tous deux ne sommes disposés à reconnaître en un moment de turbulences et d'essoufflement.

Mais cela finira, cela finira dans la douceur comme toutes les véritables histoires. Je vis des journées de fou, tu le sais. Le travail, la politique, les problèmes, les déplacements, les examens publics qui n'en finissent jamais, une vie constamment sous pression. Une responsabilité permanente envers les autres et envers moi-même, mais aussi envers une femme que j'aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension, envers tous mes enfants, autant de facteurs qui ouvrent la porte à la petite irresponsabilité d'un caractère allègre, auto-ironique et volontiers irrévérencieux.

Non, ta dignité n'a rien à voir avec ça, je la garde comme un trésor en mon cœur, même lorsque de ma bouche sort une boutade insouciante, un trait galant, une broutille d'un instant. Mais crois-moi, pas de proposition de mariage, non, vraiment, je n'en ai jamais fait à personne. Excuse-moi donc, je t'en prie, et prends ce témoignage public d'un orgueil privé qui cède devant ta colère pour ce qu'il est, un acte d'amour, un parmi tant d'autres. Je t'embrasse très fort, Silvio.


* * *

Venons-en maintenant à quelques considérations sur cette histoire. J'ai déjà eu l'occasion de m'intéresser à Berlusconi lorsqu'il était président du Conseil et aux intempérances verbales dont il est coutumier, la preuve.

Ni l'homme ni le personnage ne me sont sympathiques, c'est le moins qu'on puisse dire, mais je dois reconnaître à Berlusconi que c'est un grand communicateur, il faut croire puisqu'il a réussi à s'imposer par deux fois comme président du Conseil grâce à la puissance de ses médias, certes, mais ça n'explique pas tout.

Ce qui est nouveau dans cette affaire, d'abord c'est que le coup ne lui est pas porté par un adversaire politique, mais par sa femme ! Le voilà donc pris à son propre jeu, combattu sur son propre terrain, celui de la communication. Impossible de savoir vraiment ce qui se cache derrière, et ce n'est pas tellement ce qui me préoccupe, moi ce qui m'intéresse, ce sont les mots. On n'est pas traducteur pour rien, que voulez-vous !

Car dans une missive comme celle de Veronica Lario, chaque mot est pesé, choisi, et porté pour faire mouche. Dans la réponse aussi, c'est clair, mais nous sommes sur deux registres différents, ce que je vais m'essayer à démontrer.

Chez Veronica, en dépit de l'écho qu'elle a souhaité donner à son message, je dirais que le registre reste celui de l'intime, de l'introspection, même. Tout tourne autour de l'opposition public vs. privé, de l'espace familial vs. le dehors, des relations conjugales vs. les conflits conjugaux, avec au centre LA FAMILLE, et au sein de la famille, LA FEMME. Comme si elle voulait communiquer la chaleur d'un foyer qui se refroidit et dont j'espère pour elle que sa réaction lui sera bénéfique. Ah, la densité des mots...
famille
couple
mari
mariage
relations conjugales
contexte familial
projet familial
dignité
dignité de femme
femme exemple
enfants
filles
mère exemple
amour maternel
fils
respect de la femme
valeurs fondamentales
relations saines, équilibrées
sérieux
conviction
stabilité
Par contre elle fait totalement l'impasse sur la notion d'épouse, et si elle parle plusieurs fois du mari, elle n'utilise ni le mot « femme » (l'italien a deux mots pour femme : donna pour la femme en général, et moglie pour femme au sens d'épouse) ni le mot « épouse » (sposa). En revanche elle s'interroge et interroge (interpelle) son mari : dois-je me considérer « la moitié de rien » ?

Des mots que je trouve terribles, tragiques, même, de par leur gravité. Autant par ce qu'ils disent explicitement que par ce qu'ils taisent explicitement : en italien, « La metà di niente » est le titre donné à la traduction (j'ignore s'il a été traduit en français) du roman de Catherine Dunne, originalement intitulé In the beginning, qui raconte l'histoire d'une femme avec trois enfants abandonnée par son conjoint après vingt ans de mariage...


Quand on parle de pots cassés...

Qui paiera ? Peut-être Veronica, femme mère, mais non pas (ou non plus) femme épouse, blessée dans sa dignité. Qui dit nous à quelqu'un qui lui répond moi.

Car que lui rétorque son mari ? « Ma la tua dignità non c'entra », « Non, ta dignité n'a rien à voir là-dedans » ! Un peu comme s'il voulait nier le sens des paroles qu'il a prononcées la veille ou l'avant-veille, la tactique habituelle qu'il emploie lorsqu'il cherche à minimiser la signification des mots qui sortent de sa bouche chaque fois qu'il dit une connerie ! Et il en dit souvent... Mais ce ne sont que boutades insouciantes, traits galants, broutilles d'un instant, qui en eût douté ?

« Eccoti le mie scuse », une façon de parler qui pourrait même être grossière pour peu qu'on y mette l'accent juste, des mots qui donnent l'impression que la personne qui les prononce les concède de mauvais gré, voire de mauvaise foi, vraiment parce qu'elle ne peut pas faire autrement ! « Eccoti le mie scuse », « Tiens, prends-toi mes excuses », j'étais réticent en privé...

On s'en doute. Car malgré le choix des mots, dont il n'est très certainement que co-auteur, sa prose lui ressemble, l'égocentrisme à son apogée : « Je vis des journées de fou, tu le sais. Le travail, la politique, les problèmes, les déplacements, les examens publics qui n'en finissent jamais, une vie constamment sous pression. Une responsabilité permanente envers les autres et envers moi-même, mais aussi envers une femme que j'aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension, envers tous mes enfants, autant de facteurs qui ouvrent la porte à la petite irresponsabilité d'un caractère allègre, auto-ironique et volontiers irrévérencieux. »

C'est moi qui traduis « mais aussi envers une femme que j'aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension », or en fait dans son message Berlusconi ne parle pas à la première personne mais à la troisième : « anche verso una moglie che si ama nella comprensione e nell'incomprensione », dont la traduction littérale serait : « mais aussi envers une femme qu'on aime tant dans la compréhension que dans l'incompréhension ». De facto, on dirait qu'il fait tout ce qu'il peut pour être impersonnel, pour éviter de s'adresser directement à elle, même s'il finit par ne plus pouvoir l'éviter : « Scusami dunque, te ne prego, e prendi questa testimonianza pubblica di un orgoglio privato che cede alla tua collera come un atto d'amore. Uno tra tanti. »

« Excuse-moi donc, je t'en prie, et prends ce témoignage public d'un orgueil privé qui cède à ta colère comme un acte d'amour, un parmi tant d'autres. »

Chaque fois que j'entends Silvio Berlusconi parler d'amour, je ne peux m'empêcher de penser qu'il ne sait vraiment pas de quoi il cause. On a beau être l'homme le plus riche d'Italie, il y a encore des choses en ce bas monde qui ne s'achètent pas, c'est bien connu.

Ardea, 1er février 2007, 23h54'


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