samedi 2 février 2019

Dix questions à Emmanuel Macron

Monsieur le président de la France,

Dans mon précédent billet, intitulé "Gilets jaunes et mensonges d'États", que j'aurais tout aussi bien pu sous-titrer "Lettre ouverte au président de la république française et à son gouvernement" (les majuscules, il faut les mériter...), je dénonçais les violences policières que nous voyons dans notre pays, semaine après semaine, et concluais en vous posant quatre questions :
  1. Racontez-nous d'abord pourquoi le mouvement des gilets jaunes subit une violence effrénée de la part de "forces de l'ordre" censées défendre leurs concitoyen.ne.s au lieu de les envoyer à l'hôpital défiguré.e.s (éborgné.e.s / mutilé.e.s à vie).
  2. Racontez-nous pourquoi vous créez des précédents aussi dangereux contre la liberté de manifester, contre la liberté d'expression, et surtout pourquoi une telle répression, probablement destinée à augmenter ?
  3. Racontez-nous pourquoi vous et votre gouvernement vous enfermez dans une communication fallacieuse, totalement inadaptée à la situation ?
  4. Racontez-nous enfin votre mépris du "pacte civique" que vous invoquez vous-même, Monsieur Macron, en proclamant (un peu sur le même ton que dans votre lettre aux françaises et aux français) :
Chacun doit se ressaisir pour faire advenir le débat et le dialogue.
Questions naturellement restées sans réponse. Qui suis-je pour oser prétendre une réponse du président de la France himself ?

Personne ! Pour autant j'aimerais bien vous défier dans un débat. Peut-être pas un grand débat, certes, mais un vrai débat, pour sûr. Ce qui changerait un peu de l'enfumage quotidien auquel on assiste tous médias confondus.

J'entends tout le temps et partout - télé, presse, radio, web, etc. - des journalistes thuriféraires, voire flagorneurs, vanter avec admiration vos prestations débatteuses : il a du talent, il connaît ses dossiers, il mouille sa chemise des heures durant, etc., un vrai florilège de louanges...

Donc, ainsi armé, affronter l'un de vos chers compatriotes ne devrait pas vous faire peur ! Un débat en tête-à-tête Monsieur le président, sans aucun journaliste modérateur qui ne modère jamais rien (ou pire encore, qui charge comme un mulet aux dépens de toute déontologie journalistique qu'il devrait pourtant respecter, du genre Yves Calvi...), juste une conversation entre un primus inter pares et un citoyen lambda, mais qui ne vous laissera aucune échappatoire tant que vous ne répondrez pas précisément à s(m)es questions...

Ce que la plupart des journalistes ne font plus, mais pas tous, loin s'en faut. Le problème est que celles et ceux qui savent encore faire leur travail vous les fuyez, en veillant scrupuleusement à ne pas les rencontrer et, partant, à ne pas vous mettre en obligation de répondre aux questions qui fâchent !

Déjà, si vous répondiez aux quatre questions qui précèdent, ce serait sans aucun doute un grand pas de fait. Mais permettez-moi de préciser encore ma pensée pour mieux dérouler mon questionnaire, après un petit préambule.

J'étais favorable à votre élection Monsieur Macron. Après des décennies d'alternance droite-gauche, qui n'ont fait qu'alterner désastres sur désastres, je pensais que la France avait besoin d'un renouveau que vous pouviez représenter (sûrement pas Le Pen), vous et l'équipe (apparemment jeune et compétente) dont vous vous étiez entouré. Je me suis d'ailleurs gardé de porter un jugement sur vos premiers résultats, en étant convaincu que de profondes réformes - nécessaires et improcrastinables - avaient besoin de temps pour porter leurs fruits.

Et puis en deux mois - depuis le début de la crise avec les gilets jaunes - vous avez perdu toute crédibilité à mes yeux. Je dis bien : TOUTE !

Comme le dit si justement un spécialiste de la sécurité urbaine, Gilles Sacaze, ancien officier du service action de la DGSE, "en matière de gestion de crise, là on coche toutes les mauvaises cases..." :


Ce qui est quand même extraordinaire ! Car soit vous êtes très mal conseillé, Monsieur le président, soit vous n'en faites qu'à votre tête, mais le résultat est le même : DÉSASTREUX !

Monsieur Sacaze, et probablement des millions de françaises et de français avec lui, est incapable de se l'expliquer :
Je ne comprends pas bien, c'est un grand mystère, c'est étonnant, je pense que c'est une impasse, on fracture artificiellement la société... de façon durable... en opposant gilets jaunes à des gendarmes et des policiers qui auraient toutes les raisons de porter le gilet jaune... 
Dans une approche purement théorique, en gros, jusqu'à présent on a observé tout ce qu'il ne fallait pas faire ! 
En termes de gestion de crise pure, en termes de communication, il y a eu une surenchère de mots ... beaucoup de mépris ... ce qui ne peut qu'enfoncer la crise, on ne sort pas de la crise comme ça, il faut répondre politiquement, etc. etc.
Donc je m'interroge, comme lui et d'autres millions de compatriotes (j'ose espérer), plus précisément sur deux points : a) l'aspect manifestement délibéré de votre "stratégie (très) offensive", et b) votre "déni (absolu) de communication"...

a) Votre stratégie d'attaque délibérée

Depuis le début de la crise, RIEN n'a été fait de votre part (par "votre" j'entends vous et votre bande : Castaner et Nuñez, les Dupond et Dupont du maintien de l'ordre, Philippe, Schiappa et les autres...) pour tenter une désescalade de la crise. Bien au contraire !

Les lanceurs de balles de défense, "armes intermédiaires non létales" (dénoncées par des professionnels de santé), portent vraiment mal leur nom, car il suffit de voir les centaines et centaines de vidéos qui circulent sur Twitter pour constater objectivement que 9 fois sur 10 elles servent à attaquer, en visant et en tirant à hauteur d'homme, de façon totalement provocatrice, disproportionnée et injustifiée, et non pas à défendre.

Le Conseil d'État, qui vient de confirmer l'usage du LBD lors des manifestations, a justifié sa décision par le fait que
les conditions d’utilisation de ces armes sont strictement encadrées par le code de la sécurité intérieure, afin de garantir que leur emploi est, d’une part, nécessaire au maintien de l’ordre public compte tenu des circonstances et, d’autre part, proportionné au trouble à faire cesser.
Or malheureusement ces mots restent vides, tout autant que ceux de vos discours (par "vos" j'entends les vôtres et ceux de votre bande : Castaner et Nuñez, les Dupond et Dupont du maintien de l'ordre, Philippe, Schiappa et les autres...), à l'épreuve des faits et des multiples #ViolencesPolicières qui émaillent les manifestations des #GiletsJaunes depuis le début.

On dirait plutôt que tout est fait de votre part pour envenimer les choses. Et mettre à dos de ces derniers la responsabilité de la centaine de blessés graves, voire très graves, que l'on compte depuis un peu plus de deux mois dans leurs rangs est totalement faux et parfaitement irresponsable...

Idem pour le vote de lois et de réglementations liberticides (loi anti-casseurs), pour les centaines et centaines d'arrestations arbitraires, voire préventives, de comparutions immédiates, et pour les milliers de gardes à vue non fondées, y compris le cas de Christophe Dettinger, maintenu en détention provisoire soi-disant pour « empêcher la réitération des faits et une soustraction à la justice » de la part d'une « personnalité extrêmement inquiétante et dangereuse », d'un homme « parfaitement impulsif et totalement déterminé à commettre des actes violents », etc. etc. Sûr que ce sont pas tous des Benalla...

Dernière ineptie en date, vos propres mots, Monsieur le président, qui vous foutez avec arrogance de Dettinger [il n'a pas les mots d'un (boxeur) gitan] et de "Jojo le gilet jaune" sur fond de complot dont on aimerait bien savoir sur quels "faits" réels vous basez vos propos !?

Des mots indignes d'un président de la France ! Donc, c'est vous qui racontez des conneries, et ce serait aux médias de se ressaisir ?

5. Expliquez-moi, Monsieur le président, et expliquez-nous, par la même occasion, ce que signifie "se ressaisir", un verbe que vous aimez bien :
Chacun doit se ressaisir pour faire advenir le débat et le dialogue.
Vous incluez-vous vous-même dans ce "chacun" ? Et comment envisagez-vous de vous ressaisir au premier chef dans la situation actuelle ?

Certes vous pourriez me répondre que vous avez lancé le "Grand débat", simple campagne électorale sans le moindre dialogue, mais ce ne serait qu'une insulte supplémentaire à mon intelligence... Ce qui est d'ailleurs le plus gros défaut des gens qui se croient brillants et intelligents, comme vous Monsieur le président, et qui en infèrent que les autres sont des cons ! Malheureusement pour vous, ce n'est pas comme ça que ça fonctionne...

J'ai d'ailleurs soulevé le problème dans mon précédent billet :
Après vous avez beau jeu d'annoncer en grandes pompes l'enfumage d'un grand débat national !

Mais pour débattre de quoi ? Avec quelle crédibilité ? Car tant que vous n'affronterez pas d'abord publiquement le thème qui fâche des #ViolencesPolicieres, cela revient à affirmer l'absence TOTALE de débat, ainsi bridé à la recette #PenséeUnique + #PolitiquementCorrect + #HypocrisieTotale...
À ce sujet je vous posais trois autres questions :
6. Avez-vous le sentiment d'avoir été élu pour traiter ainsi vos compatriotes ?
7. De quel droit le faites-vous ?
8. Et, surtout, de quel droit vous ne leur donnez aucune réponse lorsqu'ils (elles) vous demandent raison des véritables motifs pour lesquels vous avez détruit leur vie ?

Voyez-vous, Monsieur le président, c'est ce dernier point qui m'indigne le plus, que je trouve d'une violence inouïe : le fait que vous et votre bande évitiez depuis plus de deux mois de dire une parole pour vos compatriotes mutilé.e.s à vie dans leur chair !

Ce qui m'amène au petit b.

b) Votre déni absolu de communication 

Je partage volontiers cette colère d'@EdwyPlenel (@Mediapart) :


Oui, « Maintenant, on a le droit de couper les bras et les mains des opposants politiques avec des grenades explosives, de leur envoyer dans l'œil des #LBD, et PAS UN MOT D'AUCUN membre de ce @gouvernementFR ! »

Non, pas un mot... Des tombereaux de conneries et de discours agressifs mais pas un seul mot d'empathie ! d'excuses ! de regrets !

Un mode de communiquer délibéré autant que délirant, fait de petits mots débiles et dédaigneux, en parlant de tout et de n'importe quoi mais surtout sans jamais s'attaquer au cœur du problème, sans traiter les vrais sujets, en faisant du grand slalom entre propagande grossière et mensonges assumés, chiffres détournés (Castaner et ses quatre blessures à l'œil...), etc. etc.

On a l'impression d'être gouvernés par une bande d'incompétent.e.s irresponsables, déjà en marche pour bien se positionner lors des prochaines élections européennes : mais qu'en est-il vraiment de la France et des souffrances de ses citoyen.ne.s, rien à branler. Voyez avec les russes, Christophe le gitan et Jojo le gilet jaune !

Monsieur le président, je ne vais pas m'étendre davantage pour aujourd'hui, inutile de tirer sur l'ambulance, donc je vous pose sans plus tarder mes deux dernières questions :

9. Mis à part le grand foutage de gueule du soi-disant débat national sans vrais interlocuteurs, quelles sont les mesures et les stratégies que vous vous proposez de mettre en œuvre à court, moyen et long terme pour apporter une réponse POLITIQUE à la crise des #GiletsJaunes ?

Vu ce qui se passe aujourd'hui encore dans les rues de France, c'est mal barré, mais bon, il est sûr que tant que vous ne répondrez pas aux questions (surtout à celles que les journalistes complaisant.e.s ne vous posent jamais, bien se garder de ne pas déranger le chef à la manœuvre), j'espère qu'il y aura toujours des citoyen.ne.s de bonne volonté pour continuer à vous les poser. Et enfin, la dernière :

10. Lorsque, chaque matin, vous vous regardez dans la glace, votre conscience est-elle apaisée d’avoir fait les bons choix la veille, et vous sentez-vous à la hauteur de votre fonction ?


Voilà, dans un souci de clarté, je vous les récapitule sous forme de liste, au moins ça vous laissera tout le temps nécessaire pour préparer vos réponses... si vous avez le courage d'y répondre un jour !


Jean-Marie Le Ray

P.S.

Je ne suis pas de ceux qui pensent et/ou disent que la France est une dictature. La Chine ou l'Égypte, entre autres, sont des dictatures.

D'ailleurs, si j'avais eu le malheur de naître dans de tels pays, je ne crois pas que j'aurais eu le courage de publier un tel billet en sachant que je risquais perpète ou ma vie et celle de mes proches.

Raif Badawi et d'autres comme lui sont des blogueurs courageux, pas moi.
Les #GiletsJaunes pacifiques qui vont manifester chaque semaine en sachant qu'ils risquent gros à cause de l'incompétence irresponsable de nos actuels gouvernants français sont courageux, pas moi.
Alexandre Langlois est courageux, pas moi.
Christophe Dettinger est courageux, pas moi.


Pour autant, c'est justement parce que je suis convaincu que la France n'est pas une dictature mais qu'elle est bien une démocratie, que je ne souhaite pas, Monsieur le président, vous voir impunément plonger notre pays en démocrature comme dans la triste fable de la grenouille...

Il ne manquerait plus que les anglais aient toujours eu raison de nous appeler frogs !

C'est pour tous ces motifs que je me permets de vous interpeller ainsi :

[ Monsieur le président 
Je vous fais une lettre 
Que vous lirez peut-être 
Si vous avez le temps... 

(...) 

S'il faut donner son sang 
Allez donner le vôtre 
Vous êtes bon apôtre 
Monsieur le président 

Si vous me poursuivez 
Prévenez vos gendarmes 
Que je n'aurai pas d'armes 
Et qu'ils pourront tirer ]

Ils ne s'en privent d'ailleurs pas, semaine après semaine !

Boris Vian doit se retourner dans sa tombe. Mais voyez-vous, Monsieur le président, la différence, aujourd'hui, c'est que le déserteur, c'est vous ! Un peu comme les deux faces d'une même médaille...