Pendant la décennie 90 et jusqu'au début des années 2000, je me suis beaucoup consacré à la poésie, en écrivant plus de 170 sonnets et une bonne centaine de poèmes en prose, ainsi qu'en traduisant des poésies de l'italien au français : 44 poèmes de jeunesse de Karol Wojtyla, le pape Jean-Paul II à l'époque, 3 essais de Francesca Maria Corrao sur la poésie arabe (à propos de Ibn Dåniyål, poète de Mosul, de Mahmüd Darwish et du voyage d'Adonis en Italie), de même qu'une comptine de Noël pour enfants (pure poésie :-) et un petit livre de poésie intitulé "Undici Poesie" (Onze poèmes) :
http://www.literary.it/dati/literary/B/bocchinfuso/undici_poesie.html
Ce livret, dont plusieurs poèmes ont été publiés en revue ici et là, aussi bien en France qu'en Italie (et jusqu'en Catalogne), m’a valu une pluie de critiques fort élogieuses. Florilège :
« Je remercie le poète Jean-Marie Le Ray, qui a traduit mes vers en parcourant la seule voie possible : recréer l’original, selon sa propre sensibilité et le génie naturel de sa langue maternelle. »
Extrait de la préface de Ferruccio Masci :
« Ce bref recueil de onze poèmes (...) magistralement traduits par le poète Jean-Marie Le Ray... »
De la présentation de Guido Carmelo Miano, Éditeur :
« Le présent recueil, succinct mais déterminant (avec traduction en regard, remarquablement rendue en français par le poète Jean-Marie Le Ray)... »
D'une lettre reçue du poète Francesco De Napoli (Cassino) :
« Mon ami, Ferdinando Banchini, m'a transmis son livre, "UNDICI POESIE", que j'ai dévoré en admirant, entre autre, la traduction magnifique et - ajouterais-je - parfaite, que vous avez réalisée avec tant d'amour et de passion... »
D'une critique de Francesco Mandrino :
(publiée dans la revue "Punti di vista", Padoue - Année VI, n° 21, juillet-septembre 1999)
« Sur la traduction de Jean-Marie Le Ray, texte en regard : un travail tout autre que superficiel ou facile. Chaque traduction est un acte irrespectueux et grave, arbitraire. Or, dans ce cas, la version française ne vise pas à nous reproposer la forme et la substance de l'objet dans une autre langue, mais plutôt quelque chose de neuf qui conserve le sens de l'objet original. »
D'une critique de Maria Pina Natale :
(publiée en avril 1999 dans la revue "Nuovo Giornale dei Poeti")
« Observons enfin que ce bref florilège poétique a été traduit en français avec dextérité par le poète Jean-Marie Le Ray, qui a suivi « la seule voie possible : recréer l’original, selon sa propre sensibilité et le génie naturel de sa langue maternelle ».
C'est à dessein que nous employons les mots mêmes de l’Auteur, que nous partageons entièrement. Cependant, outre les deux grands mérites signalés par Banchini, qu'il nous soit permis d'ajouter ceci (pluralis modestiæ) : il y a - nous semble-t-il - adhérence parfaite avec le texte italien, adhérence non pas au sens de littéralité, mais plutôt adhérence au niveau des concepts et de l'expression, ce qui n'est pas la moindre des qualités (parole d'une traductrice de métier, habituée à se mesurer à des textes grecs et latins, mais aussi espagnols et français). »
D'une critique de Walter Nesti
« Les onze poèmes que l'auteur nous présentent sont accompagnés de leur traduction française, réalisée par Jean-Marie Le Ray avec scrupule et avec la liberté nécessaire pour ne pas l'affadir, ce qui est souvent le cas avec les traductions, puisque celle-ci a l'avantage d'être une œuvre autonome tout en restant intimement liée à l'original. De fait, le traducteur a su respecter pleinement l'auteur tout en donnant à sa langue ce souffle de pure poésie qu'aucune traduction mécanique n'aurait jamais pu atteindre.
Un exemple ? « Le nubi nere, inerti, gravano/ sui campi squallidi » est traduit par « Les nuages noirs et lourds, inertes/ étouffent les terres désolées », réussissant ainsi à rendre en français l'atmosphère particulière un peu rimbaldienne des vers de Banchini.
De même qu'il a « recréé », c'est le cas de le dire, « Per caso » (« Hasard ») : chez Banchini, la compacité des deux dernières strophes du poème nous communique le sentiment d'égarement de l'étranger perdu au milieu de la foule, touché par la joie intime que lui procure l'étincelle d'un regard. Or la version française, qui dégage une impression de soulagement un peu plus marquée, atteint ce même effet en ajoutant des espaces et en cassant le vers, tout en conférant au passant une certitude de joie plus intense. Là encore, une traduction trop respectueuse n'aurait fait qu'aplatir les très beaux vers de Banchini.
J'ignore si la poésie de Banchini est connue au-delà des Alpes, mais ce que je sais c'est que ce livre saura utilement l'annoncer. »
Voilà donc quelque chose dont je me souviens avec beaucoup de plaisir, puisque c'est probablement le seul moment de ma vie où d'autres m'ont reconnu non pas comme traducteur, mais comme poète !
Une longue parenthèse poétique qui s'est refermée ensuite pendant plus de 20 ans...
* * *
Il y a quelques semaines, un prof collègue de ma femme (enseignant les mêmes matières : histoire & philosophie) qui écrit sous une forte inspiration poétique en signant "Filuzzo", a posté sur Whatsapp une poésie qui m'a particulièrement frappé, en dépit de son titre : « Quand je serai mort »..., au point que j'ai été envahi par l'irrépressible désir de la traduire.
C'est ainsi que j'en suis revenu à consulter ces vestiges de mon expérience poétique passée, et les commentaires sur le livre de Banchini m'ont particulièrement touché, pour le moins parce que j'y ai vu se dessiner l'ébauche d'une définition de ce que devrait signifier « traduire la poésie » :
L'acte arbitraire lourd et irrespectueux qui caractérise chaque traduction poétique ne doit pas viser à re-proposer dans une autre langue l'objet « poème » dans sa forme et sa substance, mais plutôt à proposer quelque chose de différent – à re-créer –, tout en conservant le sens de l'objet « poème » avec la liberté nécessaire pour ne pas en aplatir le rendu. L’adhésion parfaite au texte original ne doit pas signifier « version littérale », mais adhésion au concept et à l'expression, dans le plus grand respect de l'auteur, pour insuffler dans la langue cible un souffle de pure poésie qu'aucune traduction mécanique ne pourra jamais atteindre, pour re-créer une œuvre en soi mais intimement liée à l’original : la seule manière dont l’on peut traduire la poésie consiste à la re-créer selon sa propre sensibilité et le génie de sa langue.
Naturellement, cette définition est un hommage à Ferdinando Banchini et à ses critiques, mais aussi une tentative de consigner noir sur blanc ce qu'a représenté - et représente - pour moi, la signification de traduire la poésie.
* * *
J'ai commencé à écrire mes premiers poèmes dès l'adolescence, et mes inspirations allaient de Baudelaire à Jim Morrison, d'Antonin Artaud à Armand Robin, de Frédéric Dard à Victor Hugo, avant d'y ajouter plus tard Alda Merini, après avoir appris l'italien...
Dès mon premier recueil, jamais publié (comme tout ce que j'ai écrit à ce jour, du reste), qui évoquait quelques réminiscences d'une partie de ma vie plutôt aventureuse et vagabonde, j'ai cherché à redonner un sens - le leur ou le mien - aux mots, à ceux que l'on parle, que l'on écrit, à ceux que l'on reçoit, aux mots, en somme, à travers lesquels on s'efforce de communiquer, les fameux "mots de la tribu"
en poursuivant délibérément le rêve de la perfectionComme le petit Prince de sa rose, je me sentais indéfiniment responsable pour chaque mot, pour l'usage propre de chaque mot..., responsable pour
l'utopie réalisée d'un texte qu'il n'y aura plus à reprendre – jamais !
enchâsser chaque parole dans son acception profonde - on n'y saurait en changer une seule sans briser l'équilibre subtil du recueil -, tantôt première tantôt plus actuellevulgariser la poésie, enfin, et
(combattre l'inadéquation du parler en redécouvrant la ligne de partage entre les antiques beautés de la "vieillerie langagière" et les nouveaux trésors de la langue moderne, davantage ouverte et "démocratique")
inventer une signification plus proche par quelques néologismes, contextuels ou non (plasmer)
masculiniser des substantifs injustement féminins depuis des millénaires (prostitué ou parturient...)
utiliser les vocables les plus humbles en leur rendant le discernement qu'ils ont désappris, leur native splendeur fanée d'avoir étés trop longtemps prononcés, galvaudés
faire de la langue poétique
une langue charnelle
une langue humaine !
* * *
une langue charnelle
une langue humaine !
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Or la poésie elle-même est traduction ! Car que fait-elle si ce n'est traduire des mots indicibles en un texte écrit ? Si ce n'est traduire des images perceptibles au seul poète en mots compréhensibles à qui les lira ?
C'est probablement cette proximité entre poète et traducteur qui m'a inspiré un vieux C.V. : Confiez-moi vos idées, je les traduirai en mots ! Confiez-moi vos attentes professionnelles, je les traduirai en résultats ! Confiez-moi vos problématiques "business", je les traduirai en solutions ! Confiez-moi vos projets Web, je les traduirai en réussites !
Durant ma période poétique, j'écrivais ceci :
Nul mieux que le poète ne ressent les motsIl les communique, les honore et les donneDe dix acceptions il décide la bonned'un trait ! le seul qui différencie les jumeaux
Un simple constat, au fond : redonner à chaque mot sa valeur, son poids, son sens commun et partagé, sa vérité, dans un moment historique où les mots n'ont plus de sens, en grande partie à cause des politiques et des médias qui ne racontent plus que des conneries, en répétant sans cesse des mots faux, trompeurs, manipulateurs, des mots de propagande, 24 heures sur 24, délibérément pour que les gens ne comprennent plus ce qui se passe, proies trop faciles de la désinformation organisée au niveau planétaire.
Si jadis les mots d'une langue représentaient le terrain d'entente d'un peuple, son ciment culturel, il n'en est plus de même aujourd'hui, et peut-être même jamais nous ne retrouverons ce socle commun sans lequel aucun dialogue n'est plus possible...
Voici pourquoi la poésie reste une ancre de sauvetage dans ce monde de mensonges, voilà pourquoi en entendant les mots simples, vrais et humbles d'un poète, je n'ai pas pu m'empêcher de les traduire pour les partager avec le plus de gens possibles, au-delà des frontières où ces mots sont nés.
Ci-après ma traduction des deux poèmes de Filuzzo, dont les originaux se trouvent dans mon billet italien.
*
Quand je serai mort
je partirai en dansant
drapé du devantier enfariné de ma grand-mère
enveloppé
dans son linceul paysan.
Je serai encore enfant
redeviendrai fœtus
et puis le néant...
un discours murmuré.
Je serai recouvert
de son parfum de fromage
accompagné
de l’harmonica de grand-père
joué autour du foyer
au calme hivernal
d’un dimanche indolent
passeur d’éternité
à l’ombre brûlée d’une flamme.
Éternellement je meurs
dans leurs pas lents
leur peau flétrie.
Des sillons terreux de leurs rides
naissent pour moi
comme autant d’enfants abandonnés
les fruits savoureux et un peu malades
de la nostalgie.
Dans les mouvances fermes
rugueuses, échappées
de leurs mains mortes
toujours mon esprit se réfugie comme
dans une chaleur ne sentant plus rien
une crevasse érodée par l’absence.
*
À présent
que le vide est partout
sors de terre
et viens me retrouver.
Allons dîner
dans le vieux magasin.
Sur le caisson noir
tresse tes étreintes de pain,
entre farine et fontaine
amalgame les œufs
d’où nous naîtrons.
Rien ne nous manquera
dans ce nid de mie.
Tes cercles de gloire,
couronne-les de paix.
Mamie
nous y chanterons la vie
sur toutes les morts
sur celles que nous n’avons pas souhaitées
celles que nous taisons
celles que nous dissimulons
et qui nous ensevelissent lentement.
Mais toi reviens
dans une traversée de lumière
reviens de toutes les morts.
Viens
comme celle qui dort,
Belle, dans l’instant
je te retrouverai
et ce sera Pâques.