vendredi 27 août 2010

La géopolitique dans l'Italie républicaine


Prenons un peu de hauteur. Comme je l'ai déjà laissé entrevoir sur le concept de "souveraineté limitée de l'Italie" d'une part, et sur la nécessité d'une mise en perspective historique de ce pays de l'autre si l'on veut mieux le comprendre, j'ai découvert cette semaine l'éditorial de Tiberio Graziani, président de l’IsAG (Istituto di Alti Studi in Geopolitica e Scienze Ausiliarie) et directeur de la revue Eurasia, qui s'intitule La geopolitica nell'Italia repubblicana. En voici la traduction, avec son aimable autorisation.

Je réserve mon analyse pour un billet à venir.

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[MàJ - 28 août 2010] Suite à la publication de ma traduction, l'auteur a publié ce billet sur le réseau Voltaire, sous le titre : « L'Italie à la recherche de sa géopolitique ».

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La géopolitique dans l'Italie républicaine

Un pays à souveraineté limitée

En dépit de sa situation géographique enviable et des spécificités de sa structure morphologique, l'Italie n'a actuellement aucune doctrine géopolitique.

Cela est essentiellement dû aux trois éléments suivants : a) l'appartenance de l'Italie à la sphère d'influence nord-américaine (le système occidental) ; b) la crise profonde qui caractérise l'identité nationale ; c) le manque de culture géopolitique de ses classes dirigeantes.

Le premier élément, outre limiter la souveraineté de l'État italien dans de nombreux secteurs, du domaine militaire à la politique étrangère, pour ne citer que les plus importants du point de vue géopolitique, influe sur la politique intérieure et l'économie, sur les choix stratégiques en matière d'énergie, sur la recherche technologique, sur le développement des grandes infrastructures et, last but not least, sur les politiques nationales de lutte contre le crime organisé. L'Italie républicaine, en raison des conséquences notoires du Traité de paix de 1947 et en vertu de l'ambiguïté idéologique de sa charte constitutionnelle, aux termes de laquelle la souveraineté appartiendrait à une entité socioéconomique et culturelle, par ailleurs changeante et vaguement homogène - le peuple -, plutôt qu'à une entité politique bien définie comme l'État (1), a suivi la règle d'or du « réalisme collaborationniste ou boiteux », à savoir qu'elle a renoncé à la responsabilité de prendre en main son propre destin (2). Une abdication qui place l'Italie dans un état de « subordination passive » et lie ses choix stratégiques à la « bonne volonté de l'État subordonnant » (3).

Le deuxième élément invalide l'un des facteurs nécessaires à la définition d'une doctrine géopolitique cohérente. La crise de l'identité italienne est due à des causes complexes, qui remontent à l'amalgame mal réussi des différentes idéologies nationales (d'inspiration catholique, monarchique, libérale, socialiste, laïque et maçonnique) ayant soutenu l'unification de l'Italie, l'édification de l'État unitaire et, après la parenthèse fasciste, la réalisation de l'actuelle organisation républicaine. Cette crise d'identité nationale est également due à l'expérience fasciste mal digérée et au traumatisme laissé par la défaite du conflit mondial. La rhétorique romantique de l'État-nation, le mythe de la nation puis ceux de la résistance et de la « libération » n'ont certainement pas rendu un bon service aux intérêts de l'Italie, toujours à la recherche de son identité nationale à la veille du cent-cinquantenaire de son unification.

Le troisième facteur, enfin, en partie lié aux précédents pour des motifs historiques, ne permet pas d'inscrire les axes géopolitiques de l'Italie parmi les priorités de l'agenda national.

Pour autant l'alternance des vicissitudes de la République italienne a toujours connu une certaine forme de géopolitique ou, plutôt, une politique étrangère s'appuyant principalement sur sa situation géographique pour répondre aux intérêts nationaux et, donc, excentrée par rapport aux indications états-uniennes, exclusivement destinées à assurer l'hégémonie de Washington dans la région méditerranéenne. Notamment avec l'attention de politiciens comme Aldo Moro, Giulio Andreotti et Bettino Craxi, ou de grands commis de l'État tels que Enrico Mattei, tournée vers les pays d'Afrique du Nord, du Proche- et du Moyen-Orient, qui, bien que se limitant à des relations de « bon voisinage » et de « co-prospérité », était résolument conforme à la position géographique de l'Italie au sein de la Méditerranée d'une part, mais aussi fonctionnelle à l'émancipation potentielle, future et souhaitable de l'Italie démocratique vis-à-vis de la "tutelle" nord-américaine, de même qu'au rôle régional que Rome aurait pu exercer, y compris dans le cadre d'un système bipolaire rigide. De telles initiatives auraient ainsi pu jeter les bases pour définir les axes stratégiques de ce que l'argentin Marcelo Gullo appelle le « réalisme libérationniste » dans son étude sur la construction de la puissance des nations, afin de faire transiter l'Italie d'un état de « subordination passive » à un état de « subordination active » : une étape cruciale pour conquérir des espaces d'autonomie sur la scène internationale.

Or l'échec de la modeste politique méditerranéenne de l'Italie républicaine est dû non seulement à l'ingérence des États-Unis, mais également à la nature épisodique de sa mise en œuvre et à l'attitude adverse de groupes de pression internes - davantage philo-américains et pro-sionistes - qui l'ont entravée. Ainsi, avec la fin du bipolarisme et de la soi-disant Première République, les initiatives ci-dessus, visant à donner à la politique étrangère italienne une plus grande autonomie, quand bien même limitée, se sont évanouies.

L'Italie d'aujourd'hui, en tant que pays euro-méditerranéen soumis aux intérêts nord-américains, se retrouve dans une situation extrêmement délicate, puisque, du fait de sa double appartenance à l'Union européenne et à l'OTAN, non seulement elle subit le contre-coup des tensions générées entre les États-Unis et la Russie en Europe continentale, et en particulier dans la région centre-orientale (voir la question polonaise au niveau de la « sécurité » ou en matière d'énergie), mais également les répercussions des politiques de Washington au Proche- et au Moyen-Orient. En outre, rappelons-le, l'assujettissement de l'Italie aux États-Unis se traduit par une limitation évidente de la souveraineté de l'État italien, accroît les fragilités typiques des zones péninsulaires (tensions entre la partie continentale du pays, quand bien même elle reste limitée dans le cas de l'Italie, et les régions péninsulaires et insulaires à proprement parler) et augmente les pressions centrifuges jusqu'à rendre difficile la gestion administrative normale de l'État.

Militairement occupée par les États-Unis - dans le cadre de l' « alliance » atlantique - avec plus d'une centaine de bases sur son sol (4), sans ressources suffisantes en énergie, économiquement fragile et socialement instable compte tenu de l'érosion constante d'un "État social" désormais à l'agonie, l'Italie n'a pas de marges de liberté telles qu'elles lui permettraient de faire valoir les lignes directrices naturelles de son potentiel géopolitique et géostratégique - lignes directrices tracées par la Méditerranée et par la zone adriatique-balkanique-danubienne -, sauf dans les limites de stratégies imposées Outre-Atlantique qui profitent par conséquent à des intérêts extra-nationaux et extra-extracontinentaux.

Les opportunités pour l'Italie de découper son propre rôle géopolitique sont donc externes à la volonté de Rome, et résident dans les retombées qu'aura l'actuelle évolution de la scène mondiale - désormais multipolaire - dans le bassin méditerranéen et en Europe continentale. Or ce sont justement les grands bouleversements géopolitiques en cours, principalement déterminés par la Russie, qui pourraient renforcer le rôle stratégique de l'Italie en Méditerranée, dans le cadre de la mise en place et de la consolidation du nouveau système multipolaire et de l'intégration potentielle de l'Eurasie.

En effet, il faut bien comprendre que la structuration de ce nouveau système géopolitique multipolaire passe, pour des raisons évidentes, par un processus de dislocation ou de redimensionnement du système occidental contrôlé par les État-Unis, processus qui commence à la périphérie du système dont les contours sont formés par la masse euro-afro-asiatique, par la péninsule européenne, le bassin méditerranéen et l'arc insulaire japonais.

Russie et Turquie : les deux pôles géopolitiques

Les changements récents du cadre géopolitique mondial ont produit certains facteurs qui pourraient permettre à la plupart des pays formant ce que l'on appelle le système occidental de se "dégager" de la tutelle de l' "ami américain". Cela pourrait mettre Rome en mesure d'appliquer sa propre doctrine géopolitique, en phase avec le nouveau contexte mondial.

Comme on le sait, la réaffirmation de la Russie comme acteur au niveau mondial et le rôle prépondérant de la Chine et de l'Inde ont remis à plat les relations entre les grandes puissances et jeté les bases pour la création d'un nouvel ordre mondial, fondé sur des unités géopolitiques continentales s'appuyant non plus sur des rapports de force militaires, mais sur des alliances stratégiques. On enregistre aussi ces changements dans la partie sud de l'hémisphère oriental, hier encore le jardin des États-Unis, où les relations qu'entretiennent désormais le Brésil, l'Argentine et le Venezuela avec les puissances eurasiennes susmentionnées ont donné un nouvel élan à l'hypothèse d'une unité continentale sud-américaine. En Méditerranée, le premier de ces facteurs d'une nouvelle organisation géopolitique est celui de l'inversion de tendance d'Ankara dans ses politiques au Proche- et au Moyen-Orient. Car à moyen terme, le détachement de la Turquie vis-à-vis de Washington et de Tel-Aviv pourrait avoir des conséquences géopolitiques d'une vaste portée pour constituer un espace géopolitique eurasien intégré, en représentant la première étape concrète sur laquelle greffer le processus de dislocation (ou de limitation) du système occidental, justement à partir du bassin méditerranéen.

Compte tenu des conditions actuelles, les pôles géopolitiques sur lesquels devrait se concentrer une Italie qui aurait réellement l'intention de s'émanciper de la tutelle des États-Unis sont donc la Turquie et la Russie. Un alignement de Rome sur la politique proche-orientale turque fournirait à l'Italie la crédibilité nécessaire, sévèrement ternie par ses relations de vassalité envers Washington, pour donner une orientation géopolitique aux politiques de coopération lasses du Ministère italien des Affaires étrangères avec la rive sud de la Méditerranée et le Proche-Orient. D'autre part cela mettrait Rome en condition, au côté de (et grâce à) son allié turc, pour le moins de renégocier la position humiliante et lourde de l'Italie au sein de l'OTAN - voire de dénoncer le Traité de l'Atlantique Nord -, et, dans un même temps, d'envisager la reconversion des sites militaires de l'OTAN en bases utiles à la sécurité de la Méditerranée. L'Italie et la Turquie, ainsi que d'autres pays méditerranéens riverains, pourraient ainsi réaliser un système de défense intégré, sur l'exemple de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC).

Dans la mise en œuvre d'une "stratégie de sortie" de ses obligations vis-à-vis des États-Unis, telle que nous l'avons esquissée ci-dessus, Rome pourrait compter sur le soutien assuré non seulement d'Ankara, mais également de Tripoli, de Damas, de Téhéran et, bien sûr, de Moscou. Du reste, la Russie soutiendrait certainement Rome pour sortir de l'orbite des États-Unis, tout en favorisant sa projection géopolitique naturelle le long de l'axe adriatique-balkanique-danubien, naturellement dans le cadre d'une entente italo-russo-turque construite autour d'intérêts communs visant la mise en œuvre d'une "Méditerranée élargie" (c'est-à-dire comprenant les Mers Méditerranée, Noire et Caspienne).


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(1) Cf. deuxième partie de l'Article 1 de la Constitution italienne :
L'Italie est une République démocratique, fondée sur le travail. La souveraineté appartient au peuple, qui l'exerce dans les formes et dans les limites de la Constitution.
Voici les notes originales, directement traduites par les soins de M. Tiberio Graziani :
  1. En ce qui concerne l'étude de la genèse de l'article 1 de la Constitution italienne, en particulier le deuxième paragraphe (La souveraineté appartient au peuple, qui l'exerce dans les formes et dans les limites de la Constitution), et l'absence d'un article spécifique de la Constitution consacré à l'Etat et sa souveraineté, comme demandé par Dossetti, voir Maurizio Fioravanti, Costituzione e popolo sovrano, il Mulino, Bologna 2004, p.11 e pp. 91-98.
  2. Marcelo Gullo, La insurbodinación fondante, Editorial Biblos, Buenos Aires 2008, p. 26-27.
  3. Marcelo Gullo, ibid.
  4. Fabrizio Di Ernesto, Portaerei Italia. Sessant’anni di NATO nel nostro Paese, Fuoco Edizioni, Roma 2009.
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dimanche 22 août 2010

Déchets


Après les poisons, les déchets ! Dont Denis Gasquet, Directeur général de VEOLIA Propreté, prétend qu'il s'agit d'une ressource :
Sur quatre milliards de tonnes de déchets produits dans le monde, aujourd'hui seul un milliard de tonnes est valorisé (toutes formes confondues). Trois milliards de tonnes restent à valoriser, ce qui représente un potentiel énorme. Notre feuille de route n'a pas dévié : nous continuons à faire du déchet une ressource.
Donc, outre vouloir présenter les déchets comme une ressource, cette citation nous indique deux chiffres importants :
  1. chaque année, 4 milliards de tonnes de déchets sont produits dans le monde, dont 1 seul milliard est "traité" ;
  2. chaque année, 3 milliards de tonnes de déchets produits dans le monde ne sont pas "traités".
C'est à dessein que j'évite d'utiliser "valoriser", qui a selon moi une connotation trop fortement positive et contribue ainsi à détourner la perception que les gens pourraient se faire de la réalité, à savoir que sur ces 3 milliards de tonnes non traitées chaque année (soit plus d'un kilo par personne et par jour au niveau mondial), il est vraisemblable que la plupart vont finir par polluer la terre (enfouissement dans les décharges), la mer (où les poisons en tout genre sont simplement passés par dessus bord) et les airs (à travers les fumées chargées de substances nocives)...

Autrement dit l'ensemble de l'écosystème dans lequel nous vivons. Cela étant, tous les déchets ne sont pas égaux, puisque sur ces 4 milliards de tonnes :
  • de 1,7 à 1,9 milliard de tonnes sont des déchets municipaux (ordures ménagères) ;
  • de 1,2 à 1,6 milliard sont des déchets industriels non dangereux ;
  • environ 490 millions sont des déchets dangereux.
Si j'arrondis à 500 millions, personne ne m'en voudra. Car c'est bien ce demi-milliard de tonnes de déchets dangeureux qui pose problème, un GROS problème qui se renouvelle chaque année, ou plutôt qui s'accumule en s'ajoutant aux immenses quantités des années précédentes ! Et depuis quand ? nul ne le sait...

D'autant plus que, selon l'OCDE, l'origine et la composition des trois-quarts de ces déchets dangereux sont inconnues. Des déchets dont un récent rapport de VEOLIA Propreté nous dit qu'en grande partie leur gestion est quasi inexistante, et leur collecte largement inférieure à leur production ! Voilà de quoi nous rassurer.

Et puis dans les déchets dangereux il y a les déchets nucléaires, dont un seul réacteur de 1 000 MW produirait chaque année :


Soit :
  • 229 800 tonnes de déchets produits par l'extraction du minerai ;
  • 190 tonnes de déchets produits par la transformation en concentré d'uranium ;
  • 13 tonnes de déchets produits par l'enrichissement de l'uranium ;
  • plus 25 m3 de déchets ultimes de combustion dans le réacteur + rejets + démantèlement, etc.
Des chiffres à multiplier par ... 62 (!) uniquement en France, puisque le parc actuel installé, réparti sur 20 sites, est de 62 400 MW :

- 34 réacteurs d’une puissance de 900 MW ;
- 20 réacteurs de 1300 MW ;
- 4 réacteurs de 1450 MW.

Actualisons :
  • 14 247 600 tonnes de déchets produits par l'extraction du minerai ;
  • 11 780 tonnes de déchets produits par la transformation en concentré d'uranium ;
  • 806 tonnes de déchets produits par l'enrichissement de l'uranium ;
  • plus 1 550 m3 de déchets ultimes de combustion dans le réacteur + rejets + démantèlement, etc.
Chaque année... Dans un seul pays (quand bien même il s'agirait de la deuxième puissance électro-nucléaire au monde derrière les États-Unis), pour des déchets qui ont des durées de vie ... incommensurables !

Donc ce qui m'inquiète vraiment, c'est si EDF (ou AREVA ou qui que ce soit) décide d'exporter son nucléaire en Italie :
  • où RIEN n'est JAMAIS contrôlé ;
  • où la société chargée de gérer les installations nucléaires - SOGIN, sous contrôle de l'état -, n'est même PAS CAPABLE de gérer les fuites de la piscine nucléaire de Saluggia (centrale où sont stockés 85% des déchets nucléaires d'Italie) qui fait eau de toutes parts et a déjà contaminé la nappe phréatique (en outre c'est tout près de là que part l'aqueduc qui fournit l'eau potable à tout le Piémont...) ;
  • AU MOINS UNE des sociétés impliquées dans le "démantèlement" des actuelles centrales est en odeur de 'ndrangheta (centrales dont la construction remonte aux décennies 50-60 mais dont le démantèlement n'a JAMAIS été réellement assuré, depuis 50 ans, et encore moins géré "dans la transparence") ;
  • et où RIEN de ce qui attire des financements astronomiques (comme la filière nucléaire, par exemple) n'échappe à l'emprise des mafias italiennes !
Car face à ce panorama funeste, il serait bon que les français se souviennent qu'à Tchernobyl le nuage ne s'est pas arrêté aux frontières : une simple question de prévention des accidents majeurs. Mieux vaut encore faire gérer une centrale nucléaire par les iraniens, que par les italiens !

Déjà que selon les statistiques officielles de l'Union européenne, comme nous le relate Gianni Lannes, « au cours des 21 dernières années, l'Italie a fait disparaître 1 milliard de tonnes de déchets de toutes sortes » sans qu'on sache vraiment où et comment. Même si l'on a quelques indices...

Sous cette mer et sous cette terre de Gomorrhe, qui est également ma terre d'adoption, dont la récente expertise d'un géologue, Giovanni Balestri, nous dit qu'elle risque une catastrophe environnementale définitive dans une cinquantaine d'années, en prévoyant pour :
2064 le pic de la dégénérescence des substances polluantes et du percolat issu de 341 000 tonnes de déchets dangereux (à commencer par les boues de l'ACNA de Cengio) et de plus de 800 000 tonnes de déchets d'autre nature, qui atteindront les nappes phréatiques plus profondes en empoisonnant des centaines d'hectares et des kilomètres et des kilomètres de territoire, en le rendant invivable pour les hommes, les animaux et les cultures agricoles.
Et cela avec la complicité des politiques de tous bords, mais surtout du parti de Silvio Berlusconi, commme Nicola Cosentino qui a démissionné il y a un mois à peine, sous le coup d'un mandat d'arrêt confirmé par la Cour de Cassation italienne pour association externe avec la camorra, mais encore protégé par ses complices au Parlement. Et c'est lui qui a tenu les caisses de l'Italie ces deux dernières années, en tant que secrétaire d'état au Trésor !

Du reste que dire et que faire lorsque les contacts entre politiques et mafia sont prouvés depuis des décennies sans que cela n'empêche l'un de faire le président du Conseil, l'autre le président du sénat, etc. J'en passe et des funestes ! Et je parle des ACTUELS présidents, pas de la préhistoire...

* * *

Dans la série "on nous empoisonne sans nous demander notre avis", laissez-moi conclure sur un épisode récent, une affaire présumée (pour l'instant) d'exportation de ferrailles radioactives (normalement interdite en France, selon M. Roland Desbordes, président de la CRIIRAD), déchargées en l'absence de tout contrôle sur les quais du port de Salerno (à 7km de Cava de' Tirreni, là où vit ma belle-famille), comme nous le rapporte Gianni Lannes début août :



Dans un second billet plus détaillé, joliment intitulé « Déchets radioactifs : de la France au Mezzogiorno d'Italie », il nous explique qu'un cargo battant pavillon maltais, le Frelon, qui proviendrait de Port-Saint-Louis-du-Rhône (il écrit dans son billet "port communautaire de Saint-Louis en France", mais j'imagine que c'est celui-là dont il s'agit), aurait transporté 1 600 tonnes de ferrailles contaminées, d'après les mesures prélevées avec un compteur Geiger Gamma-Scout :

- mesure de 2 mSv dans l'espace d'une minute sur le quai nettoyé (c'est-à-dire après le déchargement-chargement de la cargaison)
- mesure de 5 mSv dans l'espace d'une minute devant l'usine de "traitement" SIDER de Potenza (actuellement Ferriere Nord SpA)
- mesure de 4,4 mSv dans l'espace d'une minute dans la localité limitrophe de l'usine (Bucaletto)

Mesures confirmées ensuite par les techniciens de l'Agence régionale pour la protection de l'Environnement, qui se sont rendus devant l'usine (fermée ce jour-là), et dans la localité limitrophe où leurs relevés ont quand même indiqué la présence de radioactivité dans l'air...

Or selon la documentation "officielle", le chargement aurait été contrôlé en France par Sicea International et en Italie par un autre laboratoire, qui n'ont rien signalé d'anormal sur les certificats d'accompagnement de la marchandise. Il serait donc intéressant d'avoir des explications sur ces divergences entre mesures, "normales" pour les uns, alors que les dosages relevés par Lannes correspondent à ceux d'une zone orange (zone contrôlée, spécialement réglementée), ce qui ne saute pas forcément aux yeux quand on voit le film ci-dessus...

Gianni Lannes, qui est sous escorte permanente car il est menacé de mort par la mafia, précise en outre qu'il s'est rendu sur les quais du port de Salerno avec son escorte : les policiers l'accompagnant ont donc assisté aux relevés et signalé la chose au Ministère de l'Intérieur.

Par ailleurs une enquête a été ouverte (affaire 2433/2010) par le procureur de Salerno (Franco Roberti) et par le coordinateur anti-mafia (Enrico d'Auria).

De mon côté j'ai contacté la CRIIRAD, le réseau Sortir du nucléaire et Greenpeace France pour leur signaler la chose et obtenir davantage d'infos, si possible, mais pour l'heure seule la CRIIRAD m'a répondu. Merci Monsieur Desbordes !

À suivre...


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samedi 14 août 2010

Poisons


Le titre de ce billet s'inspire d'une affaire qui risque de faire grand bruit avant la fin de l'année, à savoir la présentation par Gianni Lannes du dossier “Veleni nel Mare Nostrum” devant le Parlement européen... 

Introduction 
I. De la terre à la mer... 
Retour aux sources 
II. De la mer à la terre... 
Conclusion

* * * 

Introduction

Pour le rédiger je me suis plongé dans la lecture de plusieurs ouvrages (numérotés de 1 à 5, ce qui me permettra de les citer en renvoi par leur numéro) :
  1. "Les Vaisseaux du poison. La route des déchets toxiques", de François Roelants du Vivier, publié aux éditions Sang de la terre, en oct.-nov. 1988
  2. Bandiera nera. Le navi dei veleni, d'Andrea Palladino, édité par manifestolibri (fév. 2010) (Pavillon noir. Les navires empoisonnés)
  3. Avvelenati, de Giuseppe Baldessarro et Manuela Iatì, Città del Sole Edizioni (avril 2010) (Empoisonnés)
  4. Le Navi della vergogna, de Riccardo Bocca, éditions BUR (mai 2010) (Les bateaux de la honte)
  5. Veleni di Stato, de Gianluca Di Feo, éditions BUR (nov. 2009) (Poisons d'État)
Outre consulter de nombreuses sources sur Internet, dont "Le navi sparenti", le dossier de Greenpeace sur les navires toxiques, le dossier sur le Probo Koala, ou encore ce Cahier critique sur les transferts transfrontaliers de déchets toxiques et leur impact sur les droits humains, Toxics from Italy, etc. [Début]

* * * 

I. De la terre à la mer...

Je vous préviens, c'est long, mais cette histoire, compliquée tant elle a de ramifications, mérite d'être racontée, DOIT être racontée. Essayons, moi d'écrire, et vous de lire... En commençant par cette citation d'Alain Bombard :
Si tout dans la nature répondait au schéma de Lavoisier : « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme », les nouvelles techniques ont créé des objets qui oublient le troisième terme de la proposition : ils ne se transforment plus et s'accumulent dans les milieux vivants de jour en jour, d'année en année, de siècle en siècle. C'est une invasion qui au minimum prend la place de la vie, au maximum l'empoisonne.
qui préface le livre de François Roelants du Vivier, écrit à l'époque-même où l'opinion publique internationale était sensibilisée par l'odyssée d'un cargo-poubelle, le Zanoobia, chargé de 2200 tonnes de déchets toxiques, qui a erré plusieurs semaines en Méditerranée avant d'accoster au port de ... Massa Carrara, le 5 mai 1988. C'est-à-dire à l'endroit même d'où la cargaison était partie, 15 mois plus tôt ! Retour à la case départ... 

La magistrature italienne a fait procéder à une identification minutieuse des étiquettes encore visibles sur les fûts (cf. 2, p. 75 et p. 119 et sq.), appartenant à 150 sociétés dont le gotha de l'industrie pharmaceutique et chimique mondiale ! 

Qu'on en juge : 
A.G.I.P. 
BASF 
BAYER 
CIBA GEIGY 
CYNAMID 
DE LONGHI 
DOW CHEMICAL 
DOW CORNING 
DUPONT DE NEMOURS 
EASTMAN CHEMICAL 
ENICHEM 
FARMITALIA - CARLO ERBA 
FARMOPLANT 
HOECHST 
I.C.I. 
ILVA 
K.J. QUINN FRANCE 
LORILLEUX 
MIYOSHI OIL 
MONSANTO 
MONTEDISON 
MONTEPOLIMERI 
NORSOLOR 
PIRELLI 
SANDOZ 
SHELL ITALIA 
SNIA 
SOLVER 
Union Chimiste de Belgique, etc. [Début] 

Mais comment en est-on arrivé là ? 

Selon la chronologie des événements relatée par M. François Roelants du Vivier (cf. 1, p. 33 et sq.), le 20 septembre 1986, à Djibouti, la société International Consulting Office s'apprête à finaliser un contrat avec Intercontract SA, présidée par Gianfranco Ambrosini, portant sur « l'élimination de déchets industriels européens », pour une quantité minimale de 100 000 tonnes par an de déchets solides (hors déchets radioactifs), sur une période de cinq ans renouvelable. Soit 8 à 10 000 tonnes par bateau et jusqu'à 4 transports par mois... 

L'affaire est totalement légale et, le 12 janvier 1987, un autre contrat est signé entre la SRL Ambrosini, agent représentant de la SA Intercontract, et la société Jelly Wax, division écologie (sic!), qui a pignon sur rue à Milan et dont l'administrateur est un certain Renato Pent, par ailleurs associé avec une connaissance des lecteurs et lectrices de ce blog, un certain Giorgio Comerio (cf. 4, p. 249). La répartition des coûts est la suivante :
  • Jelly Wax propose à ses clients (dont les sociétés mentionnées ci-dessus) de "traiter" leurs déchets toxiques et dangereux à 500 $ la tonne ;
  • Jelly Wax s'engage à payer à Ambrosini 300 $ la tonne pour les cinquante mille premières et 225 $ pour les suivantes ;
  • Ambrosini offre à l'International Consulting Office de Djibouti 26 $ la tonne de déchets "éliminés" !
Je vous laisse calculer les gains... 

Ainsi, un mois plus tard, le 10 février, le cargo Lynx, battant pavillon maltais, charge à Massa Carrara 2 146 tonnes de déchets répartis dans 10 876 fûts et fait route vers Djibouti. 

Or selon Andrea Palladino, journaliste du Manifesto, le 19 mars 1987, un groupe des "verts" de Massa Carrara dénonce le fait qu'aucune installation de traitement des déchets n'existe à Djibouti, ce qui induit la région Toscane à faire marche arrière sur les autorisations et le gouvernement de Djibouti, devant le scandale, décide de refuser le chargement. 

Jelly Wax passe alors un contrat avec une société de Panama, la Mercantil Lemport SA, dirigée par un certain Luciano Micciché (italien né à Ravanusa en 1949 et résident à Caracas, précise M. François Roelants du Vivier, cf. 1, p. 39), qui décroche les autorisations nécessaires pour que le Lynx puisse accoster à Puerto Cabello (Venezuela, env. 140 km à l'ouest de Caracas) (à noter que dans la liste des 150 sociétés mentionnée ci-dessus, 10% sont vénézuéliennes...). 

Le 28 avril 1987, le cargo décharge finalement ses 10 876 fûts. Qui, en fait d'être "traités", vont rester « entassés à l'air libre par une température moyenne de 35°C dans un entrepôt à ciel ouvert et, de surcroît, non clôturé ». 

Quelques jours plus tard :
Ce qui était à craindre se produit, ... « une dizaine de fûts commencent à suinter. Un matin des gosses qui jouaient au ballon à côté de la décharge s'approchent de cet amas de tôles. L'un d'eux tripote le liquide jaunâtre qui s'échappe et s'en barbouille le torse. La brûlure est instantanée. Transporté à l'hôpital ; il meurt le lendemain dans d'atroces souffrances ».
Extrait d'un article de François Soudan pour "Jeune Afrique", cité par M. François Roelants du Vivier (cf. 1, p. 40). 

Pour autant, le 16 juin 1987, le Ministère de l'Environnement vénézuélien reçoit une nouvelle demande de consentement d'importation de déchets toxiques de la part du gouvernement italien. Il s'agit d'un deuxième chargement affrété par Mercantil Lemport, qui voyage sur le cargo tchèque Radhost. 

Mais face aux événements, le 4 juillet les autorités interdisent au Radhost de débarquer, et ordonnent ensuite une inspection de l'Institut Vénézuélien de la Recherche Scientifique. Le constat est accablant ! Je vous passe les détails, horribles, mais la conclusion du rapport est la suivante : « La Commission de l'IVIC recommande de réexporter immédiatement tous ces déchets vers leur lieu d'origine... » 

S'en suivra presque un incident diplomatique avec l'Italie, le gouvernement vénézuélien estimant avoir été floué. Quant à Miccichè, sentant le vent tourner, il disparaîtra de la circulation, probablement à destination de Miami... 

Transférés vers une base militaire le 9 août, ce n'est que le 21 octobre, soit 6 mois après avoir été débarqués, que les fûts seront réembarqués sur un autre cargo, le Makiri, à destination de Tartous, en Syrie, où ils arrivent le 10 décembre 1987. C'est enfin là qu'il seront repris à bord du Zanoobia, le 17 mars 1988. Le cargo errera en Méditerranée, avec tout son équipage malade et contraint à respirer une puanteur épouvantable, et rejoindra d'abord le port de Livorno en avril puis finalement le port de Carrare en mai 1988, plus d’un an après le départ initial des déchets

Le 7 mai, nous dit Andrea Palladino (cf. 2, p. 73), le professeur Mario Pizzurra, directeur du Département d'Hygiène de Perugia, peut monter à bord pour examiner la cargaison :
L'atmosphère est incroyable - raconte-t-il à l'ANSA -, il y a des déchets industriels de toute nature, des substances hautement toxiques, mutagènes. Ce que j'ai vu aujourd'hui sur ce bateau heurte tout sentiment éthique, toute loi morale.
Le gouvernement décide alors de transférer le cargo et son chargement à Gênes, et de déclarer la situation d'urgence environnementale (ce qui a des implications "légales" non négligeables...). La mission de récupérer les déchets pour les traiter est confiée à la société CASTALIA (groupe IRI), qui obtient à la clé un contrat de 5,5 milliards de lires (soit pas loin de 3 millions d'euros aujourd'hui). [Début]

* * *

Mais revenons-en au Radhost, le deuxième cargo affrété par Jelly Wax et rejeté par le Venezuela, qui lui termine sa course au Liban, le 21 septembre 1987. Toujours avec environ 2 400 tonnes de déchets toxiques dans ses soutes (officiellement du vrac pour usage agricole et industriel...), soit 15 800 fûts et 20 conteneurs débarqués au port de Beyrouth. 

Il faudra quelques mois aux autorités libanaises pour comprendre de quoi il s'agit : 
  • le 18 février 1988, un représentant de la société italienne Ecolife s'était présenté devant le consul du Liban, qui s'aperçoit immédiatement que le document est un faux grossier, en outre plein d'erreurs. Il contacte alors le Ministère des Affaire étrangères de son pays puisqu'il s'agit d'importation de déchets ; 
  • les autorités de Beyrouth enquêtent et découvrent que, une fois déchargés, une quantité indéfinie de fûts avaient été "recyclés", leur contenu vendu comme "fertilisant", d'autres avaient même été repeints, remplis d'eau et revendus à 5 $ l'un... Des centaines de personnes furent empoisonnées ! 
  • les magistrats libanais convoquèrent les représentants légaux des sociétés Jelly Wax et Ecolife, mais inutile de dire que personne ne se présenta ; 
  • une expertise fut diligentée dont le résultat sur le contenu des fûts ne laissait aucun doute : cyanure, fulmicoton, métaux lourds, sable contaminé par des dioxines, herbicides, chlorure de méthylène, et nombre d'autres substances dangereuses ; 
  • Rome finit donc par désigner une équipe de 6 "experts" et une société, la Mont.eco (groupe Montedison), pour se charger de l'opération "récupération". C'est ainsi que quatre cargos furent affrétés pour aller au Liban et réembarquer les fûts toxiques : Voriais Sporadis (arrivée le 30 juin) ; Yvonne A (arrivée le 23 juillet) ; Cunski (départ d'Italie le 23 août) ; Jolly Rosso (départ de La Spezia le 25 août). Le 23 août arrive également à Beyrouth la délégation d'experts, dont la responsable, Cesarina Ferruzzi, confira aux journalistes que « le cargo yougoslave Cunski avait à son bord les matériels et les équipements pour effectuer les travaux d'assainissement nécessaires » ; 
  • la cargaison toxique fut réembarquée sur les quatre cargos fin 1988, mais seul le Jolly Rosso arrivera "officiellement" à La Spezia (d'où les fûts qu'il transportait seront transférés, plus d'un an après, vers Porto Marghera et Trévise). Quant aux trois autres cargos - répétons les noms : Voriais Sporadis, Yvonne A et Cunski -, ils disparaîtront totalement de la circulation et des faits divers... [Début]
* * * 

Retour aux sources

Riccardo Bocca nous raconte dans son livre (cf. 4, chap. 6, p. 125 et sq.), que début juin 2005, un magistrat de la Direction Nationale Antimafia, Vincenzo Macrì, reçoit un mémorial écrit par un certain Francesco Fonti, repenti de la 'ndrangheta, extrêmement détaillé (avec noms, y compris des politiques impliqués, lieux, dates et circonstances). 

Fonti en italien signifie "sources" (on retrouve d'ailleurs cette étymologie en français dans "fonts" baptismaux). 

Et ces sources sont parfois extrêmement surprenantes. Et inquiétantes... 

Il explique en effet qu'à partir d'octobre 1986 il avait été chargé par ses chefs de faire disparaître 600 fûts contenant des déchets toxiques et radioactifs, stockés à la centrale Enea de la Trisaia, a Rotondella, et provenant d'Italie, de Suisse, de France, d'Allemagne et des États-Unis, pour un montant de 660 millions de lires, soit un montant dérisoire de 1,1 million par fût (disons environ 600 euros d'aujourd'hui) ! 

D'abord chargés sur 40 camions, les fûts voyagèrent des entrepôts de Rotondella à Livorno (entre 900 et 1000 km de distance), d'où ils devaient être embarqués et partir pour la Somalie. Sinon qu'entre-temps son chef fut assassiné et il fallut attendre janvier 1987 pour reprendre l'opération. 

Récit de Francesco Fonti :
Le cargo dont nous nous sommes servis était le Lynx, ..., qui avait été affrété par la société Jelly Wax de Renato Pent, auquel j'avais demandé de me fournir une couverture... Le fait est que, selon nos calculs, nous n'aurions pu charger que 500 fûts dans les soutes, et il nous restait donc le problème de trouver une solution pour les 100 fûts restants. Nous avons donc imaginé un plan à deux niveaux : 500 fûts seraient partis pour la Somalie et les 100 autres auraient été enterrés en Basilicate... L'opération s'est déroulée du 10 au 11 janvier 1987... Les factures, préparées par un comptable milanais qui m'avait été présenté par Vito Roberto Palazzolo (trésorier de Totò Riina et Bernardo Provenzano), indiquaient de fausses descriptions pour pouvoir embarquer les déchets toxiques et radioactifs, et furent expédiées à la société International Consulting Office de Djibouti...
Après quoi, toujours selon Francesco Fonti, le cargo Lynx n'accosta pas à Djibouti mais fit route vers Mogasdiscio (Somalie), où furent débarqués les 500 fûts. Et, de fait, la Somalie est juste à côté de Djibouti, la Somalie pleine d'étranges maladies...

 
Pour l'instant, contentons-nous juste d'observer que son récit est parfaitement compatible avec tout ce qui précède... Mais les "coïncidences" ne s'arrêtent pas là ! 

Car outre fournir force détails sur les connexions Italie-Somalie qui recoupent en bien des points l'affaire encore non résolue (!) de l'assassinat d'Ilaria Alpi et de Miran Hrovatin, ainsi que sur sa rencontre et ses relations avec Giorgio Comerio, notamment sur le sabordage du cargo Rigel (auquel il faudrait consacrer un billet entier...), Fonti passe ensuite à l'année 1992, durant laquelle :
En l'espace de deux semaines, nous avons coulé trois navires que nous avaient signalés la société Messina (propriétaire du Jolly Rosso, entre autres) : l'Yvonne A, le Cunski et le Voriais Sporadais... Le premier transportait 150 fûts de boues, le second 120 fûts de déchets radioactifs, et le troisième 75 fûts de différentes substances toxiques et dangereuses.
À savoir les 3 cargos ayant totalement disparu de la circulation et des faits divers depuis qu'ils avaient été affrétés par la société Mont.eco (groupe Montedison) pour prendre en charge, avec le Jolly Rosso, l'opération "récupération" des 2 400 tonnes de déchets toxiques déchargés par le Radhost (le cargo affrété par Jelly Wax et rejeté par le Venezuela), le 21 septembre 1987 dans le port de Beyrouth. 

Or le GROS problème dans cette histoire, c'est que Francesco Fonti fournit des coordonnées tellement précises de l'endroit où aurait été sabordé le Cunski (celui-là même qui, selon Cesarina Ferruzzi, responsable de la délégation d'experts envoyée au Liban par le gouvernement italien, « avait à son bord les matériels et les équipements pour effectuer les travaux d'assainissement nécessaires »), que « le 12 septembre 2009, un robot téléguidé découvre une épave correspondant aux dimensions du Cunski, gisant à 487 m de profondeur, à 14 milles nautiques de Cetraro, sur la côte occidentale de la Calabre. » 

La ministre italienne de l'Environnement s'empressera de démentir, mais sa version est tellement pleine de contradictions (il faudrait un billet entier pour tout raconter, donc, vous m'excuserez... ; pour une reconstruction détaillée, voir 3, p. 209-255) et prend l'eau de tous les côtés qu'elle fait naître cent fois plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Le seul fait réellement concret, comme l'observe l'une des trop rares parlementaires honnêtes du paysage politique italien, Angela Napoli, membre de la Commission Parlementaire Antimafia, qui accuse ouvertement le gouvernement de vouloir dissimuler la vérité dans cette affaire, c'est :
comment est-il possible que Francesco Fonti, lui qui n'est même pas de cette région, puisse indiquer si précisément l'endroit exact où il s'accuse d'avoir coulé un bateau, et que l'on retrouve bien en ce même endroit une épave ?
À ce jour, la question reste posée... [Début]

* * * 

II. De la mer à la terre...

J'espère vous avoir donné une idée assez précise de ce "cycle des déchets", mais la partie la plus intéressante reste encore à découvrir : que sont-ils devenus ? Car là encore, les surprises ne manquent pas, puisqu'en fait, personne ne le sait ! Pas même officiellement ! Même si la solution la plus probable est qu'ils aient été enterrés dans le plus grand secret mafieux (encore et toujours avec la complicité des politiques, il va sans dire...) dans plusieurs décharges disséminées du nord au sud de la péninsule :
  • les fûts du Zanoobia (provenant du Lynx) auraient fini leur course à la décharge de 1) Pitelli, près de La Spezia, de 2) Borgo Montello, près de ... chez moi (Latina), et d'autres encore ;
  • quant aux fûts du Jolly Rosso (provenant du Radhost), il se pourrait bien qu'ils réapparaissent sous peu des sarcophages enfouis dans le lit du 3) fleuve Oliva, au cœur de la "vallée empoisonnée"...
1) Pitelli 

La décharge Pitelli occupe une colline entière qui domine La Spezia. Pendant plus de 20 ans elle aurait opéré en l'absence de tout contrôle administratif, sous la direction d'Orazio Duvia, surnommé "le roi de Pitelli" (pour une description plus précise, voir ce document italien, p. 26 et suivantes). 

Divisée en plusieurs zones d'enfouissement, une de celles qui nous intéresse de plus près est la zone ex-IPODEC, de la société du même nom, qui s'est transformée ensuite - en Italie, tandis qu'elle a conservé son nom dans les autres pays, aujourd'hui groupe VEOLIA - en IPOTEC (Ipotec Italia S.r.l.), puis en 1997 en IPOTER (Ipoter S.r.l.), avant de devenir, le 27 mai 2009, Veolia Servizi Ambientali Industria S.r.l., groupe VEOLIA

Tout ça reste en famille puisque, selon le fameux rapport de Greenpeace, intitulé "The Network", publié en septembre 1997, aujourd'hui introuvable mais dont la traduction italienne est entièrement reportée en appendice par Riccardo Bocca (cf. 4, p. 241 et sq.), Orazio Duvia, présent dans au moins une quinzaine de sociétés actives dans la collecte, le transport et le traitement des déchets (dont les trois principales sont SERVIZI AMBIENTALI Srl, IPODEC ITALIA Srl et CONTENITORI TRASPORTI Spa), était également associé avec le SOCIÉTÉ GÉNÉRALE DES EAUX (SGE) :
SGE a noué des relations commerciales avec Duvia en 1992, en rachetant 99,75% de la société R.T.R ITALIA, par l'intermédiaire de la société milanaise EKIP Srl. Ensuite R.T.R est devenue IPODEC Srl, dont l'administrateur unique était M. J-P V., président d'IPODEC SUD-OUEST et au conseil d'administration d'IPODEC ILE DE FRANCE et d'ONYX AUVERGNE RHONE ALPES. En octobre 1995, EKIP Srl a vendu sa participation dans IPODEC à TERMOMECCANICA Spa pour quatre milliards de lires.
Or la SGE, précédemment Compagnie Générale des Eaux, est devenue Vivendi en 1998, puis a été rebaptisée Veolia Environnement en 2003. 

Le groupe VEOLIA est aujourd'hui totalement indépendant. VEOLIA qui devrait également finir par contrôler 100% de TERMOMECCANICA Spa en 2012... 

C'est par ailleurs dans la décharge Pitelli que seraient enfouis les fameux 41 fûts de Seveso, qu'on avait d'abord retrouvé dans des abattoirs désaffectés à Anguilcourt-le-Sart, probablement abandonnés là par Bernard PARINGAUX, gérant de la société Spedilec, pour qui la dioxine c'est comme les orties... 

L'affaire avait fait grand bruit en France :
retrouver ce média sur www.ina.fr
D'autres s'interrogeaient : - « Que contiennent les 600 fûts eux aussi en provenance d'Italie qui se trouvent dans un autre entrepôt de la Spedilec à Port-de-Bouc ? » (Le Courrier Picard) 

Quelqu'un l'a-t-il jamais su ? Comme quoi si l'on cherche bien, toutes ces histoires ne concernent pas que l'Italie... Quoi qu'il en soit, comme toujours ici, ces affaires restent perpétuellement sans coupables, après s'être éternisées pendant des décennies devant les tribunaux. Et, de facto, le procès continue, et la honte continue : la dernière proposition en date serait de convertir les collines de Pitelli en ... green de Golf ! Oui, vous avez bien lu :-) Ça tombe bien, y a environ 18 trous... Donc on recouvre tout ça, bien beau bien propre, mais SURTOUT sans savoir ce qui se cache dessous ! Surtout pas... [Début] 

2) Borgo Montello 

Les doutes sur la décharge "S0″ de Borgo Montello, cette autre colline des mystères, ne datent pas d'aujourd'hui, puisque dès 1995-96, la municipalité de Latina avait commandé une étude à l'ENEA pour vérifier la présence de déchets toxiques, dont les résultats avaient dévoilé l'existence de trois grosses "structures métalliques" enfouies à une profondeur comprise entre cinq et dix mètres, aux dimensions impressionnantes : 10m x 20m pour deux d'entre elles, 50m x 50m la troisième (en gros un demi terrain de foot !)... 

On pourrait donc croire qu'au lu et au su de tels résultats, un complément d'enquête aurait été ordonné. Et bien non, tout a été archivé, le rapport a terminé dans quelque placard oublié de tout le monde ... pendant 15 ans ! 

Mais tout vient à point à qui sait attendre, et des fouilles devraient commencer ... incessamment sous peu, le tout est d'être patient. Ceci dit, à Borgo Montello, ce serait la camorra qui ferait la pluie et le beau temps. Selon un repenti, Carmine Schiavone, les "casalais" y ont enterré à la fin des années 80 des milliers de fûts toxiques au tarif somptueux de 500 000 lires le fût. Au point que les nappes phréatiques aussi sont empoisonnées... Et près de Borgo Montello il y a même Borgo Sabotino, où se trouve une centrale nucléaire qui était à la pointe de la technologie ... dans les années 50 (!), dont personne ne sait comment sont - ou auraient été - traités les déchets nucléaires produits (voir le P.S. de ce billet). 

Et encore à Borgo Montello on y trouve la société Indeco, du groupe Grossi, récemment arrêté pour désastre environnemental, entre autres, avec plusieurs personnes, dont une de ses principales collaboratrices, une certaine Cesarina Ferruzzi, qui parle encore et toujours de "bombe biologique", mais près de Milan, cette fois... 

Ce même Giuseppe Grossi qui, dans les années 90, avait repris la société Servizi Industriali d'Osnago chargée par Castalia (voir plus haut) de "traiter" les fûts du Zanoobia (cf. 2, p. 81). Enfin, à Borgo Montello il y avait un prêtre, don Cesare Boschin, un prêtre courageux, âgé de 80 ans, qui continuait à se battre et qui dénonça quelque chose qu'il avait vu ou su aux carabiniers, en mars 1995... probablement quelque chose que beaucoup savaient sans oser le dire, comme d'incessants va-et-vient de camions, la nuit, pleins de chargements étranges et puants. 

Mais le bon prêtre paya son courage de sa vie, puisqu'il fut retrouvé assassiné quelques jours plus tard, roué de coups et avec un sparadrap sur la bouche, incaprettato (impossible à traduire, même si la traduction étymologique exacte serait "enchevêtrement"), autant de signes qui ne trompent pas pour prévenir tous les autres qui seraient tentés de parler. D'ailleurs le dossier fut vite classé sans suite, meurtre commis par des inconnus. Point à la ligne. 

En Italie tout ça est une constante : tout finit toujours par être archivé, les pistes brouillées, jamais de coupables (ou à la limite le menu fretin), au bout de procès qui s'enlisent pendant des années, même si c'est toujours les mêmes qu'on retrouve, autant de métastases qui ont envahi ce putain de pays cancéreux, gangréné, corrompu de partout. Je pourrais vous en faire une liste de centaines et de centaines de noms, et vous seriez même surpris d'en connaître déjà beaucoup... [Début] 

3) Fleuve Oliva 

Après deux collines, un fleuve. Un fleuve dans une vallée. Une vallée radioactive... (cf. 3, p. 13 à 56) Où les statistiques de cancers et d'autres maladies infames sont bien plus élevées qu'ailleurs, sans qu'on sache trop pour quoi. Officiellement. Le fleuve Oliva, il est près d'Amantea, là où s'est échoué le Rosso (ex-Jolly Rosso), comme on le voit sur ce clip vidéo que je ne résiste pas à vous remontrer :

   

Chaque fois que je le regarde, j'en ai presque les larmes aux yeux... Courageuse, on y voit l'épouse du capitaine Natale De Grazia, assassiné lui aussi (empoisonné) parce qu'il eut le tort d'enquêter sur les bateaux des poisons et les connexions avec Giorgio Comerio

À noter en passant qu'il y a quelques semaines à peine, Nicolò Moschitta, un maréchal des carabiniers qui avait enquêté aux côtés du capitaine De Grazia, révéla une circonstance inconnue de tous à ce jour : lorsque, le 10 août 1983, l'autre maudit de Licio Gelli s'évada de sa prison suisse, à Champ-Dollon, grâce à la complicité d'un gardien soudoyé, il se réfugia dans un premier temps à Montecarlo, justement au domicile de ... Giorgio Comerio !!! Moschitta raconte également que, durant l'enquête :
Il nous semblait que des forces occultes, difficilement identifiables, contrôlaient pas à pas nos activités...
Ce qui leur permit probablement d'intercepter Natale De Grazia avant qu'il n'arrive à La Spezia... Mais pour en revenir au fleuve Oliva et à la vallée empoisonnée, après avoir détecté la présence de gigantesques "sarcophages" sous le lit du fleuve, le juge Bruno Giordano a déjà fait procéder aux premiers sondages dans le terrain :  

Il en ressort des quantités énormes (de l'ordre de centaines de milliers de mètres cubes) de boues industrielles contenant de nombreuses substances toxiques : mercure, zinc, cuivre, cadmium, béryllium, cobalt, et même césium... Je vous laisse imaginer l'état du terrain et des nappes phréatiques ! Et pourtant, il n'y a dans cette région aucune industrie susceptible de produire de tels déchets. Par conséquent, tandis que les sondages se poursuivent, le Comité De Grazia a d'ores et déjà déclaré sa volonté de se porter partie civile au procès pénal qui ne devrait pas tarder à débuter, et invite les collectivités locales concernées à en faire autant. Je vous tiendrai au courant des suites... [Début]

* * * 
Conclusion

Nous voici (presque) arrivés au terme de ce billet, même si j'ai gardé le meilleur pour la fin. Je veux parler du cinquième livre, de ces poisons d'État dont Gianluca Di Feo nous dit les horreurs, et qui est simplement terrifiant. Ce n'est pas pour en rajouter, mais juste pour vous montrer comment les catastrophes d'hier s'ajoutent à celles d'aujourd'hui pour nous réserver un piètre avenir si personne n'ose crier assez haut que tout cela suffit et qu'il serait temps que les gens - l'opinion publique, la masse des gens honnêtes - réagissent. 

Le livre raconte dans le détail l'immense production d'armes chimiques par le régime de Mussolini, qui s'en servit d'ailleurs à profusion pour aller gazer les "colonisés" (Éthiopie, Libye) (aujourd'hui encore Mussolini est défini un "brave homme" par Berlusconi et son ombre, Dell'Utri, qui qualifient également de "héros" un mafieux notoire, mais passons...), dont des milliers de bombes chimiques furent, juste après la guerre, purement et simplement ... jetées à la mer, et notamment en mer Adriatique (cf. 5, p. 151-154). 

Des études assez récentes montrent que dans cette mer les poissons sont davantage sujets aux maladies et aux mutations génétiques qu'ailleurs, et malgré quelques tentatives d'assainissement par la marine militaire, les pêcheurs de la zone continuaient de souffrir de dermatites aiguës, de conjonctivites, de crise d'asphyxie, de toux violentes, de diarrhées, etc. Mais le dernier incident connu sur les personnes remonte à l'été 2008, lorsqu'un habitant de Molfetta écrivit ses mésaventures à un site Web :
Le dimanche 27 juillet, dans l'après-midi, après une journée passée à la mer, précisément à Torre Gavetone, ma femme a commencé à présenter des symptômes étranges, des brûlures à l'appareil génital, avec des douleurs internes de plus en plus intenses et localisées. Contacté d'urgence, son gynécologue a diagnostiqué une forte inflammation vaginale, à la fois interne et externe, accompagnée d'une lésion de l'épithélium de la muqueuse, au point qu'une intervention chirurgicale au laser a été nécessaire, tandis que l'état inflammatoire a augmenté dans les jours suivants. Ni les différents traitements suivis ni les anti-inflammatoires utilisés n'ont vraiment pu réduire la douleur et l'inflammation des tissus.
La lettre, écrite un mois plus tard, précise seulement : « Ce n'est qu'au cours des 10 derniers jours que l'inflammation a commencé à diminuer, mais sans parvenir encore à une réduction significative de la douleur »... Donc je vous laisse imaginer : vous allez une après-midi à la mer, en 2008, et vous êtes agressé(e) par du gaz moutarde qui se libère encore d'ogives craquant de partout, après un séjour en mer qui dure depuis plus de 60 ans !!! Et il y en aurait aujourd'hui encore des milliers de tonnes qui n'attendent que le poisson, le pêcheur ou le baigneur de passage... 

Ajoutez à cela les centaines de bateaux coulés par la mafia avec leurs chargements de mort, y compris nucléaires, et ça vous donne une bonne idée du prochain endroit où aller passer vos vacances ! Ceci dit, le problème concerne au premier chef les populations résidentes, et ce qui est totalement inacceptable aujourd'hui, c'est que pratiquement personne ne sache rien de tout cela, et que derrière les paravents d'honorabilité et de transparence qu'affichent avec assurance, voire avec dédain, les géants du secteur (voir un extrait significatif de ces sociétés en début de billet), je crains bien que la réalité ne corresponde pas toujours avec l'image qu'elles souhaitent projeter au dehors. Dans un rapport publié l'année dernière, intitulé « Du rare à l’infini. Synthèse du panorama mondial des déchets 2009 », Veolia Propreté nous dit ce qui suit des déchets dangereux :
Une application de plus en plus stricte du principe de précaution d’une part, la complexité toujours plus grande des biens manufacturiers d’autre part, ont provoqué dans certains pays une véritable prise de conscience de l’importance des déchets dangereux alors même que des pays voisins en étaient encore à sous-estimer le phénomène. À partir des statistiques non exhaustives à notre disposition, on peut estimer à quelques 300 millions de tonnes la collecte mondiale de déchets dangereux au sens de la Convention de Bâle. Et d'ajouter : La production de déchets dangereux dans les pays en développement est inférieure à celle des pays développés mais pose de sérieux problèmes car leur gestion est quasi inexistante à part pour les déchets médicaux ce qui crée des cas de pollution environnementale sévère et des problèmes de santé. La production de ces déchets est difficile à évaluer malgré l’existence d’une réglementation spécifique. La collecte des déchets dangereux est largement inférieure à leur production et varie en fonction du niveau de revenu des pays en développement.
Gestion quasi inexistante, collecte largement inférieure à la production, et qui plus est nous parlons d'une production ANNUELLE...
Question : Veolia a-t-elle compris que la situation des déchets dans les pays en développement est infiniment meilleure qu'en Italie, pays en constante régression ?
Du reste, hors déchets dangeureux (si je comprends bien), VEOLIA estime que « l’ensemble des activités économiques liées aux déchets, de la collecte au recyclage », représente « un marché mondial de quelques 300 milliards d’euros », où les intervenants sont de plus en plus internationalisés, « à l’image des principaux acteurs que sont Veolia Propreté et Suez Environnement ou bien sur le seul marché américain, Waste Management. » 

Waste Management est d'ailleurs le deuxième groupe qui gère la décharge de Borgo Montello, via la société Ecoambiente, mais a également chapauté d'autres sociétés dans lesquelles il aurait été bon de regarder de plus près, selon Greenpeace, comme Italrifiuti SpA ou Servizi Piemonte Srl (cf. 4, p. 260-61). 

En tout cas, ce qui doit être clair, c'est qu'un "marché mondial de quelques 300 milliards d’euros" est une proie de choix pour des mafias toujours à l'affût de rentrées supplémentaires. Donc ce que je veux dire, c'est qu'un grand groupe comme VEOLIA, qui a fini (ou finira) par absorber des sociétés ayant joué un rôle clé dans l'affaire Pitelli, et qui peut compter au sein de son conseil d'administration sur la présence de Paolo Scaroni (CEO ENI) en tant qu'administrateur indépendant de Veolia Environnement, aurait toutes les cartes en main pour réaliser une grande opération "transparence & propreté", et rédiger un beau rapport, documents à l'appui, sur ce que recèle vraiment la colline Pitelli

Le groupe y gagnerait sûrement en crédibilité, dans cette histoire où tout n'a été, jusqu'à ce jour, qu'obscurité et dissimulation autour d'un site particulièrement contaminé, où les statistiques des tumeurs enregistrées sont tellement graves qu'on a même évoqué une "épidémie de cancers" !!! 

Même si je doute fortement que les politiques italiens permettraient une opération de ce genre, tellement ils sont intimement mêlés à ces affaires sordides... Ceci étant, pour terminer sur un parallèle avec la situation décrite dans ce billet, je dirais que l'actuel système politique italien est comme ces gigantesques sarcophages enfouis sous le lit du fleuve Oliva, si rempli de boues miasmeuses et de pourritures puantes que ça commence à déborder de partout, et qu'après avoir corrompu et empoisonné pendant des décennies la vie de leur concitoyens, l'heure est enfin venue qu'on leur présente l'addition. [Début]

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lundi 9 août 2010

Demand Media : introduction en bourse !


Enfin du nouveau dans le petit monde d'Internet : créée en 2006, la société Demand Media, qui totalise déjà 52 millions de dollars de pertes depuis sa création, vient de déposer son dossier d'introduction en bourse, IPO pour les intimes...

Je trouve ça très intéressant, d'abord parce que le document est bourré d'infos qu'une société communique rarement, et ensuite, indépendamment des doutes que je peux nourrir sur la question, parce que sa "mission" est pour le moins originale :
Our mission is to fulfill the world's demand for commercially valuable content.
Satisfaire la demande mondiale en contenu commercial de valeur. Autrement dit monétisable. Et pour ça, la seule professionnalisation du contenu ne suffit plus, ce qu'il faut c'est l'industrialisation de la création production de contenu sur Internet !

Ainsi, au deuxième trimestre 2010, le "content studio" de Demand Media a fédéré plus de 10 000 "créateurs de contenu freelances", qui ont généré en moyenne plus de 5 700 articles de texte et de clips vidéos par jour (Demand Media est le premier contributeur de vidéos sur YouTube, avec plus de 1,5 milliard de visualisations au 30 juin 2010), ce qui fait probablement de la société « l'un des producteurs de contenu professionnel en ligne les plus prolifiques au monde ».

Industrialisation, vous disais-je, une production à la chaîne, alimentée grâce à la seconde activité stratégique de Demand Media : l'enregistrement des noms de domaine !

Mais quel est le rapport entre les noms de domaine et la production de contenu, me direz-vous ?

Et bien, d'une part, la société gère en direct environ 500 000 parkings (qu'elle nomme d'un euphémisme "undeveloped websites"), mais surtout elle exploite l'inépuisable gisement de données captées grâce à enom : acheté en 2006, troisième registreur mondial à l'époque, fortement impliqué dans le domain tasting, il a gagné une place quelques mois plus tard en rachetant BulkRegister.

C'est donc aujourd'hui le deuxième registreur au monde avec près de dix millions de domaines enregistrés (le premier, GoDaddy, est presque à 35 millions de noms !).

Il n'empêche que les internautes qui vont sur le réseau enom pour y enregistrer leurs domaines saisissent en moyenne plus de 3 millions de requêtes / jour, et que Demand Media traite ces données pour améliorer ses algorithmes de création de contenu :
These queries and look-ups provide insight into what consumers may be seeking online and represent a proprietary and valuable source of relevant information for our platform's title generation algorithms and the algorithms we use to acquire undeveloped websites for our portfolio.
Donc, grâce à ces données, d'une part elle récupère à la volée les noms expirés qu'elle juge intéressants en fonction de ses propres critères (parfois même aux dépens des propriétaires légitimes, j'y reviendrai...), et de l'autre elle affine ses propres algorithmes de génération de titres.

Génération de titres ! C'est là où l'industrialisation prend tout son sens : une fois passées à la moulinette de ses algorithmes toutes les données dont dispose la société (à la fois propriétaires ou de tierces parties), le résultat est la production de titres optimisés pour le référencement, soigneusement pesés en fonction des sujets à la mode :
Utilizing a series of proprietary technologies, algorithms and processes, we analyze search query and user behavior data to identify commercially valuable topics that are in-demand. This includes analysis of publicly available third-party data, such as keyword prices on large advertising networks and the frequency of specific search queries, as well as analysis of proprietary data from our Content & Media and Registrar service offerings, such as the types of domain names being purchased and the types of search queries driving consumers to our text articles and videos.
Après quoi ces titres sont soumis à l'armée des 10 000 "créateurs de contenu freelances", qui brodent dessus pour en sortir des articles de texte et des clips vidéos :
The process to select the subject matter of our content, or our title selection process, combines automated algorithms with third-party and proprietary data along with several levels of editorial input to determine what content consumers are seeking, if it is likely to be valuable to advertisers and whether it can be cost effectively produced. To produce original content for these titles at scale, we engage our robust community of highly-qualified freelance content creators. As of June 30, 2010, our content studio had over 10,000 freelance content creators, a significant number of which have prior experience in newspapers, magazines or broadcast television. Our content creation process is scaled through a variety of online management tools and overseen by an in-house editorial team, resulting in high-quality, commercially valuable content. Our technology and innovative processes allow us to produce articles and videos in a cost effective manner while ensuring high quality output.
Je vous conseille de lire l'excellent compte-rendu de Danny Sullivan, qui détaille la partie "risques" développée par Demand Media dans le dossier d'introduction en bourse, notamment vis-à-vis de Google : puisque la société tire actuellement plus d'un quart de ses revenus des AdSense et que 60% du trafic de eHow est généré par le moteur, une pénalisation ou un changement soudain des règles du jeu par Google pourraient avoir des conséquences catastrophiques.

Danny conclut en s'interrogeant sur la qualité du contenu et sur la récupération plutôt "limite" des noms de domaines expirés, car même si Google n'a jamais dédaigné le business du parking, en faisant parfois preuve d'incohérences, certaines activités de Demand Media pourraient violer les règles d'utilisation de ses services.

D'autres sont moins gentils que Danny, et n'hésitent pas à critiquer ouvertement cette approche. Selon Aaron Wall :
The very technique that eHow uses today is *exactly* what caused Matt to create Google's anti-spam team!
En conclusion, il reste à voir comment les investisseurs potentiels accueilleront cette opération, mais quoi qu'il en soit je vous conseille de jeter un coup d'œil à ce document, il est vraiment plein d'indications intéressantes !


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P.S. Si vous voulez une synthèse des chiffres, c'est ici...

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