mercredi 14 août 2024

Mise à jour sur Federico Pucci

Depuis mon premier billet (publié le 12 mars 2017), cela fait maintenant plus de 7 ans que ma découverte de Pucci a commencé ! Et plus de 95 ans (!) que Federico Pucci a entrepris son aventure comme précurseur absolu de la traduction automatique telle qu'elle existe aujourd'hui.

En plus de 25 billets rédigés à ce jour, j'ai toujours tenté de recouper toutes les informations, parfois sans succès, mais le plus souvent en y réussissant, bien que certaines infos fassent de la résistance ! C'était le cas de la lettre recommandée adressée à Truman, que mentionne Pucci dans sa première lettre au CNR italien :

J’ai expédié ces publications par courrier recommandé au Président des États-Unis, dans l'espoir de recevoir un appui pour la construction des électro-traducteurs.

Or je n'étais jamais parvenu à vérifier cette info, jusqu'à hier ! Je vous passe les détails d'une longue recherche, infructueuse, jusqu'à ce que je m'adresse directement à la bibliothèque présidentielle Truman, qui m'a finalement répondu en confirmant qu'ils avaient bien reçu de la correspondance d'un certain Frederic (sic!) Pucci :


Transcription :
Pucci, Frederic, Sede centrale in Salerno, Piazza Malta 3, Italy, 6/13/49. Received 7/25/49. Writer refers to previous correspondence in which he submitted a booklet wich translates Italian into every language. Now has a booklet wich translates French. Calls same the electric translation.
Traduction :
Pucci, Frederic, Siège central de Salerne, Piazza Malta 3, Italie, 13/06/49. Reçu le 25/07/49. L'auteur fait référence à une correspondance antérieure dans laquelle il a soumis un livret permettant de traduire de l'italien dans toutes les langues. Il transmet maintenant un livret permettant de traduire le français. Il appelle cela la traduction électrique.
Naturellement, ce nouveau résultat offre de nouvelles pistes de recherche, vu que jusqu'ici j'avais cherché "Federico Pucci" alors qu'il conviendra de chercher "Frederic Pucci"... 

Plusieurs infos dans cet entrefilet :
  1. Pucci a envoyé son second recommandé le 13 juin et il a été reçu le 25 juillet 1949.
  2. Concernant son premier courrier, il faudrait voir les dates de l'envoi précédent.
  3. Il est question de "traduction électrique", ce qui corrobore parfaitement le message de Pucci au CNR (électro-traducteur)...
*

Deux dépêches de l'Associated Press publiées en 1949 : c'est de là que tout part ! La chronologie est importante :
  • La première remonte aux alentours du 31 mai (j'en ai retrouvé trace de la publication dans plusieurs journaux, pas seulement américains, durant les premiers jours de juin 1949, c'est celle qui annonce la construction à l'Université de Californie à Los Angeles d'un "cerveau électrique" par le Bureau of Standards, qui sera capable de traduire une langue étrangère... Vingt mathématiciens et techniciens travaillant sous la direction du Dr Harry Huskey ont perfectionné la machine qui, dans sa forme finale, sera à peine plus grande qu'un meuble de cuisine...
  • La seconde, qui date du 26 août, est à l'origine de toute cette histoire... 
Or dans sa lettre au CNR, Pucci ajoute à la phrase à peine citée : « Une vingtaine de jours plus tard, j’ai lu dans le journal l'annonce signalée plus haut. »

Cela voudrait donc dire que vers le 10 mai 1949, il envoie son premier courrier à la présidence US pour demander un financement de son invention. Le 31 mai, il lit cette annonce dans un Giornale italien (sans autre précision) :
« Les surprenantes inventions » : Los Angeles 31/05/1949 
M. Harry Huskey, chercheur auprès de l’Institut pour les calculs analytiques, a annoncé l’invention d'un cerveau électrique capable de traduire des langues étrangères. Sur le fonctionnement de l’appareil, initialement utilisé dans le cadre des recherches mathématiques, le scientifique a déclaré : Pour réussir à traduire les langues, celles-ci doivent être saisies à la machine. Le service des recherches navales a déjà débloqué une somme d'argent considérable pour construire le cerveau. M. Huskey est certain du bon fonctionnement de sa merveilleuse machine, qui produira une traduction littérale, mot à mot, et il incombera ensuite à l'utilisateur d’interpréter le sens de la traduction. Le cerveau électrique sera testé au plus tard d’ici un an.

Le 13 juin, il envoie sa deuxième lettre recommandée à Truman. Le 26 août 1949 sort la dépêche de l'Associated Press annonçant l'invention de Federico Pucci, 20 ans après sa première présentation publique (décembre 1929 !).

2029 marquera le centenaire de la création par Pucci de ce qu'il y a lieu de considérer comme la première méthode de traduction automatique à base de règles de l'histoire !

J'espère bien que, d'ici là, quelqu'un finira par se rendre compte de la primauté de Pucci dans la traduction automatique, lui qui continue d'être totalement ignoré autant après son décès que de son vivant !


P.S. Voici quelques traces retrouvées de la première dépêche :

Nassau Daily Review - Star (1er juin 1949)




Même dépêche reprise intégralement au mois d'octobre 1949 par The Office Worker :


J'ai tenu à reprendre cette version parce qu'elle a été intégrée dans une rubrique "Matière à réflexion", qui conclut ainsi :
Cette annonce donne matière à réflexion aux travailleurs de notre métier au Canada et aux États-Unis qui doivent prendre conscience du fait qu'ils vivent dans un monde mécanisé et hautement organisé dans lequel leurs chances de survivre et de progresser dépendent de plus en plus de...

La dépêche annonçait en effet la possibilité que la machine finisse par remplacer les employés moins qualifiés... 75 ans plus tard, je dirais que nous y sommes, non ?

lundi 5 août 2024

Justice et vérité pour Giulio Regeni

En 2016, un jeune étudiant italien, un citoyen européen qui travaillait pour l'université britannique de Cambridge, a été trucidé au Caire par de hauts gradés de l'appareil de sécurité égyptien. J'avais publié à l'époque ce billet : Giulio Regeni, martyr de la démocratie, qui commençait ainsi :
Sept côtes cassées, une fracture du coude, une autre de l’omoplate, des traces de décharges électriques sur les organes génitaux, des brûlures de cigarette autour des yeux et en d’autres endroits, des coupures infligées avec un rasoir ou une lame tranchante sur le corps, le dos et aux épaules, des signes de matraquage sous la plante des pieds, des lésions traumatiques partout, abrasions, ecchymoses, contusions sur le nez et le visage, écorchures et traces de coups de poing et de pied, les ongles arrachés aux doigts d’une main et d’un pied, les oreilles coupées, des dents brisées… ce ne sont là que les informations éparses que j’ai pu rassembler sur la monstrueuse agonie et le pauvre corps supplicié de Giulio.
Ils l'ont torturé consciencieusement, méticuleusement, avec cruauté, sans épargner un seul centimètre carré de son corps. Tellement les tortionnaires se sont acharnés sur lui, sa propre mère n'a pas reconnu son visage, si ce n'est par le bout de son nez !

Depuis 2016 je porte sans interruption un bracelet avec le hashtag "Vérité pour Giulio Regeni" (#veritàpergiulioregeni), bien que je craigne qu'aucune justice ni aucune vérité officielle ne voie jamais le jour...


Or j'ai lu ces derniers temps deux infos qui sont venues corroborer mon pessimisme.

1. Le gouvernement Meloni a mis à jour la liste des pays d'origine sûrs dans un document interministériel publié le 7 mai au Journal Officiel de la République italienne et signé par les ministres Antonio Tajani (Affaires étrangères), Matteo Piantedosi (Affaires intérieures) et Carlo Nordio (Justice), qui inclut l'Égypte !

Tajani, interrogé sur la justification de ce choix au moment-même où le procès des tortionnaires de Giulio Regeni est en cours en Italie, a fait semblant de s'énerver en disant que jamais ils (lui et son gouvernement) n'avaient laissé tombé l'affaire Regeni, en démentant concrètement par les faits ce qu'il prétend affirmer par les mots ! Les parfaits héritiers de Berlusconi...

2. Le tristement célèbre centre de détention de la Sécurité égyptienne du Caire où Giulio et des milliers d'autres prisonniers ont été torturés er assassinés va laisser la place à un hôtel de luxe de la chaîne Marriott International.

Dans ce bâtiment, Giulio était détenu dans la pièce 13, selon le témoin Y, qui l'a vu en présence de deux officiers et deux agents, à moitié nu, des signes de torture sur tout le corps, enchaîné et délirant en italien. Allez savoir si le futur hôtel aura aussi une chambre 13...

*

À Fiumicino, il y a une petite route qui longe l'embouchure du Tibre et l'enceinte grillagée de l'aéroport international de Rome, où une pancarte indique le monument à Pier Paolo Pasolini. Le lieu, qui semble à l'abandon, conserve toute sa poésie, quand bien même l'événement qu'il commémore est loin d'être poétique : Pasolini a été trucidé non loin de cet endroit par une bande de voyous, commandités par des politiques et des mafieux encore plus voyous qu'eux.


Mais pourquoi est-ce que je vous parle de Pasolini, me direz-vous, alors qu'il devrait être question ici de justice et de vérité pour Giulio Regeni ? Simplement parce que le "Je sais" de Pasolini, emblème de la dénonciation des abus de pouvoir et de la corruption, symbole de la lutte contre l'opacité et la manipulation par les autorités d'un pays, s'applique parfaitement au cas Regeni.

Le 14 novembre 1974, Pasolini publie dans le Corriere della Sera un article intitulé « Cos'è questo golpe? Io so », qu'on pourrait traduire par "Je sais qu'il s'agit d'un coup d'état", où Pasolini débute 12 fois ses premières phrases par : "Je sais..." :

Je sais.
Je sais quels sont les noms des responsables...
Je sais quels sont les noms de ceux qui tirent les fils...
Je sais mais je n'ai pas les preuves, ni même les indices.
Je sais parce que je suis un intellectuel, un écrivain, etc.
Comme des millions d'italiens, Pasolini savait que la stratégie de la tension existait bel et bien, mais il n'avait pas les preuves et craignait qu'une raison d'état "supérieure" aurait fini par ensevelir la vérité, d'où son cri pour tenter de mobiliser les forces saines de la nation...

Malheureusement, 50 ans plus tard, il n' y a encore aucune vérité sur les années de plomb (on assiste au contraire à différentes tentatives révisionnistes de la part du gouvernement Meloni pour induire l'idée que l'implication fasciste dans la stratégie de la tension est un faux "théorème" issu de juges politisés...), les attentats mafieux terroristes, l'implication de l'état à tous les niveaux, et de la répression d'état au terrorisme d'état, la limite est bien floue...

Il en va de même pour l'Égypte, et il en ira probablement de même pour la demande de justice et de vérité pour Giulio Regeni ! Nous avons beau connaître les visages et savoir les noms de ses tortionnaires :


  • TARIQ Sabir (général)
  • ATHAR KAMEL Mohamed Ibrahim (colonel)
  • USHAM Helmi (colonel)
  • MAGDI IBRAHIM Abdelal Sharif (major)
qui sont une véritable honte pour l'humanité, j'ai peur qu'au nom de la "raison d'état" ici-bas leur abominable crime reste à jamais impuni.

Pour aujourd'hui ce sera ma conclusion, triste et pessimiste, en espérant que l'avenir me donne tort.