Dans Obsolescence du contenu, je raconte mon premier contact avec Internet, il y a 30 ans :
Une fois installé Internet, ma première recherche fut "glossary", pour obtenir, en moins d'une seconde, 300 000 (trois cent mille !) résultats. C'était tellement énorme que j'ai dû me déconnecter pour réfléchir...
Il y a dans les paramètres ci-dessus (300 000 résultats en moins d'une seconde) deux des éléments principaux de l'IA : la masse (de données) et la vitesse. Tiens, ça me rappelle une vieille formule : IA = mc², où l'énergie serait remplacée par la singularité de l'IA...
Donc, il en va très exactement de même avec l'arrivée proche de la superintelligence artificielle, j'ai absolument besoin de me donner le temps de la réflexion !
Car s'il y a quelqu'un qui est intimement convaincu que cette superintelligence ne va pas rester encore très longtemps hypothétique, c'est bien Eric Schmidt, CEO de Google pendant une dizaine d'années (avant de devenir président exécutif du conseil d'administration de la société), qui a donné une interview extraordinaire il y a moins d'une semaine !
Selon son calendrier :
- D'ici un an (2026), l'IA remplacera de nombreux programmeurs et mathématiciens parmi les plus diplômés.
(Lui s'intéresse aux programmeurs et aux matheux, puisqu'ils sont, d'après ses mots, à la base de tout notre monde numérique, mais nous avons vu que ça touche TOUS les secteurs...)
- D'ici deux ans (2027), l'auto-amélioration récursive se met en place.
Il s'agit d'une boucle de rétroaction où une intelligence artificielle (IA) est capable de se perfectionner continuellement. Explications ici.
D'après les grands acteurs de l'IA, à l'heure actuelle, 10 à 20 % du code développé dans leurs programmes de recherche est généré directement par l'ordinateur. À terme, les ordinateurs n'auront plus besoin de nous écouter (voire plus besoin de nous tout court, ou dans tous les cas de moins en moins !)...
- D'ici 3 à 5 ans (2028-2030), émergence de l'intelligence artificielle générale (AGI, celle qui mettra dans la poche de chacun de nous l'équivalent du plus intelligent des experts humains pour chaque problème !)
D'après Raphaël Gaillard (L'homme augmenté : Futurs de nos cerveaux - Grasset, 2024), nous utiliserons l’IA comme nous utilisons nos smartphones, partout et tout le temps, comme un appendice de nous-même, voire en l’incorporant. Surtout, selon Schmidt, ce sera l'étape à partir de laquelle les fondations auront été jetées, fixées, et à partir de là rien ni personne n'arrêtera plus l'IA... Toutefois, après cette phase, les choses deviennent encore plus intéressantes !
- Dans 6 ans (2031), la superintelligence artificielle (ASI : théorie selon laquelle les ordinateurs deviennent plus intelligents que l'ensemble de l'humanité) devient réalité...
Selon Schmidt, les gens ne comprennent pas ce qui se passera avec un tel niveau d'intelligence, qui plus est largement gratuite. Notre société n'appréhende pas cette évolution. Il n'existe aucun langage, aucune langue (en anglais language signifie aussi bien langue que langage) pour concevoir ni expliciter ce qu'il en sera avec l'avènement de la superintelligence artificielle.
*
« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément », disait Nicolas Boileau, mais que faire lorsque les mots ou la langue sont incapables de saisir une réalité qui n'existe pas encore et que l'on ne sait pas même imaginer ?
Cette situation me fait penser à Paul Virilio, un des premiers théoriciens de la « vitesse », qui disait nous n'avons pas de philosophie pour penser à une telle accélération du réel !
Or face au bouleversement de l'IA, il y a bien des tentatives d'élaborer une philosophie de l'intelligence artificielle, mais depuis la moitié des années 50 les changements sont d'une telle portée et d'une telle rapidité que le cerveau humain est incapable de suivre cette explosion de l'intelligence, qui nous amènera inéluctablement à redéfinir les concepts mêmes d’intelligence, d’autonomie et d’existence humaine, et nous obligera à repenser notre place dans l’univers : sommes-nous prêts à coexister avec une entité qui nous dépasse ?
En d'autres occasions, Schmidt s'est déjà prononcé pour accompagner une telle transition d’une réflexion éthique profonde. Simple vœu pieux !
*
Ce déploiement tous azimuts de l'IA est également favorisé par la montée en gamme d'une puissance de calcul phénoménale. Citons juste l'exemple de Cerebras Systems et de son Wafer Scale Engine, dont la version 3 intègre 4 trillions de transistors et 900 000 cœurs d'IA, offrant des vitesses d'inférence jusqu'à 70 fois plus rapides que les processeurs traditionnels. Les chiffres sont impressionnants :
Déjà, il y a un an, Cerebras et G42 déployaient Condor Galaxy 3, un supercalculateur d'IA de 8 exaFLOPs avec 58 millions de cœurs optimisés par l'IA ! Je vous laisse calculer...
Et que se passera-t-il lorsque la suprématie quantique (la quatrième révolution civilisationnelle ?) deviendra à son tour réalité ?
Eric Schmidt a raison : c'est inconcevable...
*
À la question « Les machines peuvent-elles penser ? », Alan Turing répondait toujours oui !
Dans son livre intitulé Les innovateurs (octobre 2015), Walter Isaacson nous dit qu'en réfléchissant au développement des calculateurs à programme enregistré, Alan Turing s’intéressa à l’affirmation émise par Ada Lovelace un siècle plus tôt dans sa note finale sur la machine analytique de Babbage, à savoir que les machines ne pouvaient pas vraiment penser.
Dans un article de 1950, il consacra une section à « l’objection de lady Lovelace » :
« Au lieu d’essayer de produire un programme qui simule l’esprit adulte, pourquoi ne pas essayer plutôt d’en produire un qui simule l’esprit de l’enfant ? Si celui-ci était alors soumis à une pédagogie appropriée, on obtiendrait le cerveau adulte. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire