dimanche 6 avril 2025

La fin de la démocratie dans le monde

Et puis je pense à la vie dans son ensemble, grinçante et décevante mais, comme la démocratie, préférable à toute autre forme d'(existence) !

La démocratie est toujours trahie, mais toujours applaudie.

Fédéric Dard, alias San-Antonio

*

La citation exacte est ... préférable à toute autre forme d'inexistence !, mais Dard ne m'en voudra pas de le paraphraser. Je me suis déjà exprimé plusieurs fois sur ce blog à propos de démocratie, notamment dans deux billets importants :

Dans le premier billet, je dressais le constat suivant :

Pourquoi défendre la démocratie ? Personnellement, c'est juste une question de principe. Je pense en effet que la démocratie est la forme politique plus évoluée qui aurait pu permettre aux peuples de s'affranchir des différents totalitarismes, du communisme au capitalisme en passant par le nazisme ou le "socialisme de marché", etc.
Or ce que je vois se produire aujourd'hui dans deux "démocraties" telles que la France et l'Italie me pousse à être très pessimiste quant à la capacité des peuples de s'affranchir de ces totalitarismes en exerçant leur responsabilité, et leur discernement. Ou tout simplement leur esprit critique.

Or 16 ans plus tard, non seulement les choses n'ont pas progressé, mais elles ont définitivement empiré, et s'aggravent chaque jour un peu plus, dans le monde entier, sous les coups de boutoir systématiques et conjugués de l'extrême-droite, de milliardaires sans scrupules qui noyautent tous les médias (presse, télé, radio et, désormais, Internet...) pour manipuler l'opinion égoïste et ignorante, et des politiques indécents qui nous gouvernent. J'ai clairement l'impression de revenir un siècle en arrière et d'assister impuissant à la montée du nazisme et des totalitarismes un peu partout, notamment en Europe et aux États-Unis ! On sait pourtant comment ça s'est terminé... 

Mais apparemment, les hommes, et les femmes (égalité oblige), se refusent à tirer les enseignements de l'histoire. Il y aurait pourtant matière à réfléchir !

Dans le deuxième billet, je commentais :

Dommage que nos gouvernements - y compris "démocratiques" - ne me semblent pas tellement œuvrer dans le sens d'une responsabilisation et d'une conscientisation des citoyens, mais plutôt dans le sens opposé de leur déresponsabilisation et de leur abrutissement. Ainsi il leur est plus facile de gouverner et de faire leurs intérêts et ceux de leurs tribus plutôt que ceux de la collectivité et du bien public...

Donc voilà, en 2025, je crois peut-être encore en la démocratie, mais je ne crois plus en la capacité des peuples de s'organiser "démocratiquement" pour exercer leur « inaliénable vocation (...) à prendre en charge leur destin, tant individuel que collectif. »

Cela aurait-il un sens de rechercher les responsabilités de cette situation ? Clairement, non. Il n'empêche qu'on peut - et qu'on doit - se demander pourquoi nous en arrivons là, plus proches chaque jour d'un point de non-retour.

Dans sa préface aux Misérables, Hugo nous prévenait pourtant :

Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; (...) tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.

Victor Hugo, Hauteville-House, 1er janvier 1862

163 ans plus tard, est-ce que cela a servi à quelque chose ? Non ! Les guerres, les massacres et le racisme permanents entre les peuples, est-ce que nous en avons appris quelque chose ? Non ! Je dirais même plus, c'est comme si chaque génération voulait faire pire que les précédentes : pire dans l'horreur, pire dans la haine, pire dans l'esclavage, etc.

Il n'y a qu'à voir ce que fait Israël en ce moment, pourtant l'un des peuples les plus martyrisés de l'histoire humaine, en train de transformer Gaza et la Cisjordanie en un gigantesque camp de concentration à ciel ouvert, un camp d'extermination selon Antonio Guterres, en tuant par milliers de personnes désarmées tout ce qui bouge, mais surtout les enfants, les personnels soignants, les journalistes, etc. etc., dans le silence insupportable du monde politique "démocratique". Même leurs propres otages ne comptent rien aux yeux de Netanyahou et de l'extrême-droite israélienne, qui ne se servent du 7 octobre 2023 que comme d'un prétexte pour effacer méthodiquement deux millions de personnes et les aspirations légitimes du peuple palestinien - et de l'Autorité palestinienne - de revendiquer ces territoires afin d'y établir l'État de Palestine.

Chose dont ne veulent surtout pas les extrémistes des deux bords, qui se sont toujours très bien entendus sur le dos du peuple, dont le seul tort est d'être né sur ces terres ! Il n'est plus question de combattre le terrorisme, de justice, de droit ou de je ne sais quelle autre valeur, mais juste de déplacer tous ces gens pour en faire la "Riviera du Moyen-Orient", selon l'idée de l'autre malade...

« Même notre Shoah, ils nous l'envient », arrive à déclarer Yvan Attal, en crachant sur la mémoire de quelque six millions de victimes - ses propres compatriotes - qui doivent se retourner dans leur tombe !

Il y a dans ces mots une haine maladive, incontrôlable, extrémiste, une haine que l'on retrouve partout dans la société, dans toutes les strates, contre l'étranger, l'immigré, le différent, etc. 

Vers la fin du mois de mars, un épisode m'a particulièrement frappé en Italie : Roberto Giordanelli, un photographe d'Alexandrie, lisait tranquillement son journal dans un bar de la ville, lorsqu'il a entendu des jeunes chanter 'Bella ciao', hymne à la résistance et à l'antifascisme italiens (que des "créatifs" français débiles ont cru bon d'adapter en une vulgaire publicité...), auxquels il s'est joint en chantant lui aussi. C'est alors qu'il a pris plusieurs coups violents, assénés par un énergumène se revendiquant du fascisme et l'accusant d'être "un communiste de merde".

Tout est devenu extrêmement binaire, les noirs contre les blancs, les pauvres contre les riches, si tu es antifasciste tu es une gauchiasse, a priori, comme ça, sans aucun raisonnement, si tu n'es pas contre l'immigration, tu n'es pas un patriote, etc. etc. « Dieu, famille, patrie » est la "nouvelle" devise, de pétainiste mémoire...

Un siècle en arrière, vous dis-je ! Sous des poussées convergentes, identitaires et protectionnistes, qui vont TOTALEMENT à rebours de l'histoire, accentuées 24/7/365 sur tous les supports possibles imaginables, pour bien que ça rentre - de gré ou de force - dans nos têtes d'incapables (au sens juridique et pas seulement) infantilisés. [Début]

*

Dans mon premier billet je m'insurgeais contre « la facilité et la passivité avec lesquelles ces deux peuples (l'Italie et la France) se font manipuler à leur insu de leur plein gré ! »

Or à présent cela s'étend à tous les pays, car lorsque l'on voit comment les peuples "libres" votent "démocratiquement" des leaders plus dérangés les uns que les autres (les israéliens Netanyahou, les turcs Erdoğan, les américains Trump, les argentins Milei, les brésiliens Bolsonaro, les hongrois Orbán, etc.), cela signifie que les gens n'ont plus aucune capacité de discernement, qu'ils sont le terreau fertile où se développe sans obstacles la propagande que politiques, communicants et médias vendus et corrompus administrent quotidiennement à leurs esprits apeurés. 

Tout cela est rendu possible à deux niveaux, collectif et individuel, qui font le pendant avec l'incapacité des hommes d'exercer leur « inaliénable vocation (...) à prendre en charge leur destin, tant individuel que collectif. » [Début]

*

Le collectif prépare le terrain, 1) en insufflant partout la peur, dans les esprits et dans l'opinion, et 2) en détruisant l'esprit et la culture d'un pays par l'élaboration et l'emploi d'une novlangue qui dépouille les mots de leur sens originel profond, traditionnel : une fois transformés, soit dans leur forme soit dans leur fond, voire les deux, ce ne sont plus que des messages stériles, sans odeur et sans goût, sans substance et sans valeur, sans plus aucun rapport entre les réalités qu'il seraient censés décrire et le néant qu'ils expriment.

1. La peur

La fabrique de la peur, ou des peurs, devrais-je dire, irrationnelles et soigneusement entretenues par les pouvoirs en place, peur de tout, contre l'insécurité, contre les immigrés, les différents, les étrangers, contre les "boucs émissaires", expressément choisis pour endosser des responsabilités ou expier des fautes dont ils sont généralement innocents (en France, les gilets jaunes en sont un parfait exemple), bien pratiques pour conditionner l'opinion et la manipuler à souhait. Faits divers démesurément amplifiés lorsqu'un immigré commet un délit, et honteusement passés sous silence quand le même délit est commis par un petit blanc bien de chez nous, plus encore s'il s'agit d'un fils (ou d'une fille) de bonne famille...

L'important c'est de marteler le même message H24 (Goebbels enseigne...), les immigrés sont des graines de criminels, des terroristes en puissance, des islamistes incapables de s'intégrer, tout juste bons à être expulsés sous le coup d'un OQTF. Et tout ceci, uniquement à des fins électorales !

*

Il y a eu en Italie une expérience formidable, entre 2004 et 2018, du 4 fois maire de Riace (mondialement connue pour ses guerriers de bronze), Domenico Lucano, dit Mimmo, qui a accueilli plus de 6000 migrants (contre 2000 habitants) pour redonner vie à sa commune calabraise sur la côte ionienne et en faire un « village global ».

Dans son numéro du 1er avril 2016, le magazine Fortune classe Mimmo Lucano au 40e rang des 50 leaders les plus importants de la planète :


La description est la suivante : « Pendant des décennies, l'émigration a dépeuplé Riace, un village de 2 000 habitants situé sur la côte calabraise. Lorsqu'un bateau de réfugiés kurdes débarque sur ses côtes en 1998, Mimmo Lucano, alors instituteur, y voit une opportunité à saisir. Il leur offre les appartements abandonnés de Riace, ainsi qu'une formation professionnelle. Dix-huit ans plus tard, le maire est salué pour avoir sauvé la ville, dont la population comprend désormais des migrants d'une vingtaine de pays, et pour avoir relancé son économie (Riace a accueilli plus de 6 000 demandeurs d'asile au total). Bien que sa position en faveur des réfugiés l'ait opposé à la mafia et à l'État, le modèle de Lucano est étudié et adopté alors que la crise des réfugiés en Europe atteint son paroxysme. »

C'est ainsi qu'il a donné vie au "modèle Riace", analysé un peu partout dans le monde, qui fait de l'accueil des migrants un moteur coopératif de relance économique et sociétale


Seulement voilà, le système ne voulait ni de lui ni des migrants, et encore moins - surtout pas ! - d'une expérience qui marche. Son calvaire juridique a donc commencé en 2017, et 4 ans plus tard il a été condamné en première instance à 13 ans et deux mois d'emprisonnement pour plus d'une dizaine de délits, y compris pour s'être procuré un enrichissement personnel et avoir favorisé l'immigration clandestine...

Une machination anéantie en octobre 2023 par la Cour d'appel de Reggio Calabre, qui n'a retenu que le délit d'usage de faux en écritures publiques (au titre d'un seul chef d'accusation, contre 19 au départ, et d'une seule résolution, sur 57 délibérés du maire), assorti d'une condamnation à 18 mois avec suspension de la peine, confirmée définitivement par la Cour suprême italienne en février 2025 (mais sans enrichissement personnel ni encouragement de l'immigration clandestine).

Entre-temps la Ligue de Salvini a conquis la mairie, mis fin aux projets et fermé les écoles et les laboratoires d'artisan, en balayant près de 20 ans d'une intégration réussie. Quant à la première peine de 13 ans et deux mois, une honte absolue, c'est quand même près du double de ce qu'a pris Dell'Utri pour avoir collaboré avec la mafia après toute une vie de saloperies pires les unes que les autres...

Conclusion : huit ans plus tard, Mimmo Lucano risque encore la déchéance politique de son mandat de maire, ce qui donne bien une idée de l'ordre des priorités de la "démocratie" italienne ! [Début]

*

2. La novlangue

La novlangue, le novlangue selon son auteurGeorge Orwell dans 1984 (écrit en 1948), est un langage dont le but vise à anéantir la pensée, détruire l'individu devenu anonyme, asservir le peuple. 

La novlangue aujourd'hui, c'est la langue de la renaissance démocratique, à l'instar du plan de renaissance démocratique voulu par Licio Gelli (loge P2 : Propaganda Due), qui consistait à subvertir la démocratie en vidant de leur contenu toutes les institutions démocratiques pour ne laisser qu'une coquille vide au regard des "citoyens" et de la "communauté internationale". Il est d'ailleurs presque totalement mis en place dans l'Italie d'aujourd'hui, et les dernières "réformes" de la justice selon Gelli sont en cours.

Idem pour la novlangue de la renaissance démocratique, donc, qui consiste à subvertir la langue en vidant de leur contenu toutes les paroles et les expressions pour ne laisser qu'une coquille vide au regard des "citoyens" et de l'opinion publique d'un pays. Elle emploie le plus souvent les mots habituels de la langue nationale, dont elle détourne la signification de manière à la fois subtile et vicieuse, pour finir par les faire mentir en disant tout et le contraire de n'importe quoi, mais jamais la vérité...

Depuis toujours, les dictateurs de tous poils sont maîtres dans l'art de créer une novlangue, la langue n'étant plus qu'une victime collatérale des tyrannies, or à présent la nouveauté est que même les soi-disant démocraties s'y sont mis. On pensait qu'elles pouvaient être un rempart contre le pouvoir trompeur des mots, mais à force de faire tomber les contre-pouvoirs les uns après les autres, je ne vois plus guère de différences entre les discours de Poutine et de Trump, de Xi et de Macron, et ainsi de suite.   

*

Puisque l'on parle de l'infâme Poutine, son "opération militaire spéciale" est un parfait exemple de novlangue. Ce n'est plus une guerre d'invasion mais une entreprise de libération pour "dénazifier" l'Ukraine !!! C'est ainsi que le 24 février 2022, les ukrainiens dans la joie ont vu arriver leurs libérateurs...

Je ne peux m'empêcher de penser au livre du philologue allemand Victor Klemperer, « LTI, Lingua Tertii Imperii, la langue du IIIe Reich » (écrit en 1946), devenu la référence de toute réflexion sur le langage totalitaire... 

Dans sa note à l'édition française de 1996, la traductrice, Élisabeth Guillot, nous dit ceci:

L’Allemagne a failli mourir du nazisme ; l’effort qu’on fait pour la guérir de cette maladie mortelle se nomme aujourd’hui « dénazification » (Entnazifizierung). 

Je ne souhaite pas, et je ne crois pas non plus, que ce mot abominable vive longtemps. Il disparaîtra pour ne plus exister que dans les livres d’histoire dès lors que sa mission présente aura été accomplie. 

Fort malheureusement, en 2025, le regain de popularité de la dénazification est appelé à un avenir radieux, et à plus de cinquante ans de distance, la lecture de LTI montre combien le monde contemporain a du mal à se guérir de cette langue contaminée ; et aucune langue n'est à l'abri de nouvelles manipulations. L'histoire est loin d'être terminée... [Début]

*

Au plan individuel, les deux principales raisons qui sous-tendent toutes les autres sont, selon moi : 1) l'ignorance, et 2) l'égoïsme.

1. L'ignorance

L'ignorance est une alliée puissante des politicien(ne)s de tous bords, qui manient cette arme silencieuse pour mieux nous tromper et faire croire aux esprits simples, pour ne pas dire aux simples d'esprit, prêts à tout gober, que des gens tels que Aliot, Tanguy, Odoul, Jordy le bellâtre, Jacobelli, Lavalette, la famille Le Pen ou autres du même acabit seraient intéressés à nos problèmes, voire en mesure de les résoudre !

Je cite le RN mais il en va de même pour Philippe, Retailleau, Darmanin, Bayrou, Ciotti, Zemmour, etc. Sans compter le petit Manu qui s'est allègrement torché le fion avec les cahiers de doléances et les bulletins de vote des français.

Non, à droite, le seul qui m'inspire aujourd'hui une quelconque confiance est de Villepin, dont l'envergure à la fois nationale et internationale serait un atout, mais reste à savoir s'il aura la capacité suffisante pour mobiliser assez d'électeurs et être suivi.

De l'autre côté, les votants se sont clairement manifestés pour une union des forces de gauche, mais le NFP n'a tenu que le temps d'un vote. Il faudrait une personnalité capable de rassembler tous ces courants, or ni Mélenchon, ni Roussel, Glucksmann, Faure ou l'autre Marine ne sont - et ne seront jamais - des gens de consensus. Le seul honnête homme (?) capable de jouer ce rôle, selon moi, est Ruffin, mais jamais les autres, dévorés par leurs propres ambitions, n'accepteront de s'effacer pour un tiers (en lisant les commentaires à ce tweet, je me dis que ça sera compliqué...). Désolé pour celles et ceux qui espèrent et croient encore en une gauche de gouvernement, personnellement je n'en vois aucune. 

Comme vous l'observerez, je suis plutôt pessimiste pour l'avenir de la France, aux mains d'une bande d'arrivistes tous partis confondus, avec l'assentiment complice de celles et ceux qui votent, comme de celles et ceux qui s'abstiennent. L'énergie des gilets jaunes a été réprimée dans le sang et les violences policières "légitimes" - sous le silence assourdissant du peuple "souverain" dans son ensemble - commises par des forces de l'ordre indignes, à commencer par leurs supérieurs hiérarchiques et les politiques aux commandes, qui ont abusé du droit sous toutes ses formes : des milliers de gardes à vue et d'amendes injustifiées, de vagues délits d'outrage, de vexations à n'en plus finir. Comme on dit en italien, le poisson commence toujours à puer par la tête. Le courage doit être puni, il ne doit surtout pas servir d'exemple.

En outre les élites vivent de l’ignorance du peuple, c'est évidemment la raison pour laquelle elles s'attaquent sans cesse à l'instruction, l'éducation, l'enseignement, la raison pour laquelle les médias dominants minent la culture et orientent les pensées, désinforment à tout-va, triturent les mots et les sens, les véritables journalistes n'existent pratiquement plus, ils ont été remplacés par des influenceurs grassement nourris qui se gardent bien de cracher dans la soupe, par des collabos propagandistes virevoltant comme des girouettes pour suivre le sens du vent ponctuellement indiqué par leur patron, des crieurs de l'info, des singes hurleurs de faits divers arbitrairement choisis pour accuser et discréditer des populations cibles minutieusement pointées du doigt.  

Pour conclure, en considérant l'ignorance une source permanente de maux et de souffrances, Victor Hugo prônait l'éducation et la connaissance comme moyens de libération et de progrès. Fervent défenseur de l'instruction publique, il a souvent plaidé pour une éducation gratuite et accessible à tous, notamment pour les enfants issus de milieux défavorisés, en estimant que c'était une ressource essentielle pour lutter contre les inégalités sociales. Donc, enlever aux citoyens l'éducation et la connaissance revient à les priver de leurs moyens de libération et de progrès...

Sans parler du traitement que réservent depuis des lustres l'école privée et l'église aux enfants issus de milieux défavorisés, et pas seulement (Bayrou a-t-il jamais entendu parler de Bétharram ?), n'est-ce pas là ce que souhaitent vraiment les politiques ? [Début]

*

2. L'égoïsme

« Sans un minimum d'égoïsme la vie ne serait plus vivable », disait Frédéric Dard, toujours lui. Certes, mais encore faut-il savoir faire la part des choses. 

Joël Dicker, en se rappelant que ses grands-parents juifs "cassaient des cailloux" dans des camps de réfugiés en Suisse, fustige l’égoïsme de l’Occident à l’égard des migrants. Égoïsme/indifférence, individuelles ou collectives, un binôme mortel en conflit avec les valeurs fondamentales de l'idéal démocratique : égalité, solidarité, bien commun, justice sociale.

Une démocratie doit être ouverte par définition. Lorsqu'elle commence à se refermer sur elle-même, à rejeter l'étranger, le différent, à empêcher l'entrée de nouveaux arrivants, à tracer de nouvelles frontières, à dresser des murs, elle glisse doucement mais sûrement vers la démocrature (autrement dit, une dictature déguisée en démocratie), elle meurt avec les mensonges (citation de Staffan Ingemar Lindberg).

L'égoïsme individuel est un danger pour l'intérêt général, il reflète souvent une absence de conscience sociale et une éducation déficitaire aux valeurs du bien commun et de la responsabilité collective. Aucune empathie, une déclinaison de l'effet NIMBY, ce qui se passe ailleurs, que ce soit à quelques mètres ou à des milliers de kilomètres, ne me concerne pas, ce n'est pas mon problème, un état d'esprit qui évoque irrésistiblement le Quand ils sont venus me chercher du pasteur Martin Niemöller :

Quand ils sont venus chercher les socialistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas socialiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif. Puis, ils sont venus me chercher. Et il ne restait personne pour protester.

En fait, lorsque vous composez un cocktail mélangeant différentes doses de peurs, d'une novlangue destructrice (quand on mutile les mots, on finit par mutiler les corps...), d'ignorance et d'égoïsme, indépendamment des proportions de chaque ingrédient, au final il n'est pas surprenant d'obtenir individuellement des gens qui ont perdu le cap et collectivement une société qui a perdu la raison... [Début]

*

Dans mon deuxième billet, je citais cette phrase de Jacques Attali :

Comment alors s’étonner que les peuples se retournent contre les démocraties qui les ont négligés ?

Il faut dire que tous les partis politiques qui se sont alternés au pouvoir depuis la deuxième guerre mondiale y ont mis grandement du leur ! Droite, gauche, centre, modérés ou extrêmes, tous se sont acharnés au fil des ans à détricoter les acquis sociaux conquis de haute lutte par les peuples, dans un esprit de service universel, pour en détruire la portée en les segmentant afin de pouvoir en donner plus facilement les morceaux au privé : « privatiser les bénéfices et socialiser les pertes » a toujours été leur devise, toutes couleurs politiques confondues.

En s'en mettant plein les poches au passage, en piquant bien sûr dans la caisse à qui mieux-mieux, l'exemple de Marine Le Pen est le plus parlant qui soit... Il ne faudrait pas croire pour autant qu'elle est la seule concernée : la gauche a volé autant que la droite, le centre autant que les ailes, etc. Comme disait Andreotti, expert en la matière s'il en est, « le pouvoir n'use que ceux qui ne l'exercent pas... ». Lorsque Marine Le Pen affirmait que son parti était le seul qui ne volait pas, c'est simplement qu'il n'avait pas encore été aux affaires. On a vu la suite...

Et j'ose croire - vœu pieux ! - que la France sera préservée d'avoir jamais aucun président issu de l'extrême droite, même si les françaises et les français pourraient bien être suffisamment con(ne)s et incultes pour en voter un(e). L'histoire enseigne que, lorsqu'il s'agit de suivre des baltringues, ils ne sont pas les derniers... 

Dans son article, Attali posait également une autre question, fort intéressante :

Les démocraties doivent-elles intervenir pour aider un peuple qui se bat contre une dictature ?

Et d'assurer : « La réponse fut alors négative. »

Elle l'est toujours, et le sera à jamais... L'Ukraine et Gaza en sont les preuves les plus éclatantes. Définitives, dirais-je.

Les démocraties auraient probablement pu en avoir les moyens, mais elles n'en ont jamais eu la volonté (ni individuellement ni collectivement). Nous avons déjà évoqué le syndrome NIMBY au niveau individuel, il en va de même au niveau collectif : si ça ne se passe pas chez nous, cela ne nous regarde pas... Chacun chez soi ! 

Seul problème dans ce postulat : des millions de terriens, pour ne pas dire des milliards, n'ont pas de chez-soi. Beaucoup sont nés et vivent (survivent, serait plus exact) dans un no man's land ou dans des contrées en proie à la guerre, aux mafias, à la terreur, aux famines, à la pauvreté extrême, de plus en plus aux catastrophes naturelles, sans abris, sans hygiène, sans eau potable, sans nourriture, sans intimité...

Donc comment s'étonner que des millions de gens veuillent changer leur destin et celui de leurs familles, partir vers des cieux plus cléments pour échapper à des situations de dénuement total ?

Et comment le leur refuser ? Aucun "chacun chez soi" ne suffit plus ni n'est justifié. Être un migrant économique, serait-ce moins pertinent qu'être un réfugié ou demandeur d'asile fuyant les persécutions ? Au début du siècle dernier, les millions d'italiens, d'irlandais ou autres, qui ont tenté d'échapper à la pauvreté pour émigrer un peu partout dans le monde, comptaient-ils plus que celles et ceux qui fuient leur pays un siècle plus tard, exactement pour les mêmes raisons ? Et que dirons-nous, demain, des migrants écologiques, qui vont déferler par millions aussi ?

C'est pourtant largement prévisible. Mais quels sont les pays qui mettent en place des corridors humanitaires et des politiques migratoires, d'accueil et d'intégration dignes de ce nom ? Aucun. Demandez à Retailleau, ce vichyssois de cœur...

*

La marée brune et nauséabonde du nazi-fascisme et de l'autocratie se propage chaque jour davantage dans nos sociétés, elle fait tache d'huile, à une époque où on croyait ce cancer enseveli depuis longtemps dans les oubliettes de l'histoire. Or le voici qui réapparaît en plein jour, il ne se cache plus, métastase sans vergogne, les rats sortent fièrement des égouts, ils transpirent la haine et exhalent leur haleine méphitique, à croire qu'ils ont l'anus derrière les dents, les garde-fous disparaissent les uns après les autres, la société civile semble dépassée de tous les côtés, les quelques voix contre qui s'élèvent finissent noyées dans le brouhaha des réseaux "sociaux", les opinions sensées sont assourdies par la cacophonie ambiante, de plus en plus de gens finissent par perdre complètement la boussole...

Dans une interview au Monde publiée sur l'édition des 22-23 décembre 2024, Staffan Ingemar Lindberg, directeur de l’Institut Varieties of Democracy (qui publie tous les ans un rapport sur l’état de la démocratie dans le monde), concluait ainsi son entretien :

Oui, je pense toujours qu’il est prématuré de parler de la fin de la démocratie. En même temps, la démocratie est dans une situation bien pire aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Mais il y a encore de l’espoir.

Après avoir précisé toutefois : « La situation de la démocratie dans le monde est pire que celle que nous avons connue dans les années 1930 »...

Personnellement, je n'ai pas son optimisme. Bonne lecture... [Début]