mercredi 26 avril 2006

Le business des noms de domaine : les taste-domaines

Le business des noms de domaine : les taste-domaines

Dans la foulée du précédent billet sur les noms de domaine, je voudrais aborder un problème dont on n'a encore que peu d'échos sur le Web francophone, mais qui pourrait bien faire de plus en plus de vagues dans les semaines et les mois à venir. J'ai nommé le « Domain Tasting », un phénomène que dénonce avec force Bob Parsons, PDG du premier Registrar américain, GoDaddy.com, qu’il appelle « the Add/drop scheme ».

Voyons un peu de quoi il s'agit et quelle terminologie nous pourrions utiliser : pour ma part je choisirais « le modèle j'essaie - je prends/je jette », à savoir que j'enregistre le domaine et je le mets sur une page parking, puis si je vois que le trafic (essentiellement en saisie directe, ou type-in) peut devenir rentable je le prends, sinon je le « jette » et l'ICANN me rembourse obligeamment mes frais d'enregistrement...

Je n'ai trouvé que très peu d'infos en français, sauf deux sources vraiment dignes d'intérêt, qui expliquent assez bien le mécanisme, ici et . La première met l'accent sur la faillite du mode de gouvernance de l'ICANN, la seconde sur l’alarme lancée par le registre du .ORG (en anglais). Si vous en connaissez d'autres, merci de bien vouloir me les signaler.

La combine, assez simple, consiste à profiter du délai de grâce (Add Grace Period) de 5 jours concédé depuis 2003 par l'ICANN à toute personne qui, s'apercevant d'une erreur d'enregistrement, peut alors annuler la procédure et récupérer sa mise. Cela se passe sur le second marché des noms de domaine, une espèce de Bourse où se mêlent les noms arrivés à expiration et ceux dont leurs propriétaires veulent se débarrasser, le plus souvent en les vendant.

Or dans cette Bourse aux domaines, essentiellement fréquentée par courtiers, vendeurs, acheteurs, spéculateurs, agrégateurs, domaineurs et/ou registreurs, le volume des négociations est de plus en plus considérable : selon un document (en anglais) de l'OCDE déclassé le mois dernier (de confidentiel à public), qui reprend les sources d'un rapport publié par VeriSign en juin 2005, sur 12 mois (juin 2004-2005), près de 1 700 000 000 (1 milliard 700 millions !!!) de domaines ont été « ajoutés » (Add) au système de Registre commun (SRS - Shared Registry System) :

Chiffres en hausse, puisque Ipwalk.com situe maintenant la fourchette entre 1 000 000 et 1 400 000 domaines par jour :


On comprend d'ailleurs mieux que les spécialistes du taste-domaines aient hâte de tester ceux qui marchent le mieux au vu des enjeux économiques sous-jacents : 3 des 5 plus gros registreurs ont déclaré fin 2005 qu'ils gagnaient entre 5 et 8 millions de dollars par an grâce à la « monétisation des noms de domaine stationnés » !

Source Joi Ito :
According to Ram Mohan from Afilias, 3 of the big 5 registrars say that they make over $5m-$8m / year from parked domain monetization pages.
Mais écoutons la mise en garde de Bob Parsons, qui prédit une explosion du phénomène si rien n'est fait, et dont les infos sont de première main, parfaitement à jour et encore plus impressionnantes que ce qui précède (traduction autorisée) :
Il est crucial de bien appréhender l'énormité du problème : le 31 mars 2006, 764 672 .COM ont été enregistrés, dont seuls 61 169 ont été retenus après expiration de la période de grâce de 5 jours. Ce qui signifie que 703 503 de ces noms (soit 92%) ont été « jetés » ensuite — et remboursés par l'ICANN (c'est moi qui ajoute et souligne).

La part du lion revient aux registreurs (probablement à hauteur de 99%) qui participent à ce petit jeu.

Sur la semaine du 27 mars au 2 avril 2006, 5 822 881 .COM été enregistrés, dont 455 918 ont été retenus et 5 366 963 (soit 92,1%) jetés.

Là encore, 99% de ces domaines ont été abandonnés par les registreurs
(qui ont récupéré ensuite leur mise, c'est toujours moi qui souligne).

Et le phénomène ne va qu'en s'amplifiant : au jour d'aujourd'hui, j'estime que plus de 3 500 000 .COM sont ainsi pris/jetés chaque jour. Pour mettre ces chiffres en perspective, il suffit de penser qu'au 2 avril, le total des .COM enregistrés dans le monde était de 48 868 756.

De mars 2005 à mars 2006, l'ampleur du problème a été multipliée par 15 !

En effet, en mars 2005, au total 3 243 967 .COM ont été enregistrés, dont 1 851 778 qui ont été abandonnés durant la période de grâce (la plupart dans le cadre de cette approche « je prends/je jette »).


Donc, en un an à peine, le phénomème a explosé, puisqu'en mars 2006, 29 894 290 .COM ont été enregistrés, un chiffre faramineux, dont 27 660 668 (soit 92,5%) abandonnés ensuite.

L'affaire est devenue si juteuse que chaque jour de plus en plus de sociétés réclament leur part du gâteau. Et ce qui ne concernait hier que les .COM s'étend maintenant aux .NET et .ORG.


En conclusion, si rien n'est fait, le désastre va prendre des proportions gigantesques. Une prise de conscience s'impose...
Voilà. Dans mon précédent billet, il était déjà question des abus des registreurs, cela ne fait que corroborer les faits. Quant à Bob Parsons, qui avait déjà épinglé la grande manigance autour du .EU, en disant que c'était même pire que ce qu'il croyait (ici et ), et continue de dénoncer les accords entre l'ICANN et Verisign, cette fois, on ne pourra pas dire de la source qu'elle n'est pas fiable !

Que celles et ceux qui ne connaissent pas GoDaddy.com consultent le dernier rapport de Verisign (en anglais). Sur les 465 registreurs analysés (grand absent de la liste : Google...), seuls 10 « font » plus de 1 million de domaines, .COM et . NET confondus (dans les proportions suivantes) :



Source : ICANN/VeriSign (information fournie aux termes des accords en vigueur entre VeriSign et l’ICANN, qui s’engage à garder le Rapport confidentiel avant que ne se soit écoulé un délai de 3 mois à compter du mois de publication. Donc, celui-ci concernant la situation au 31 décembre 2005, il n’a été publié que début d’avril.)

Que dire de plus ? Sinon que dans la vie réelle comme dans la vie virtuelle, on nous prend toujours pour des cons ! Là, au moins, il y a continuité...



P.S. [MàJ - 30-04-06] Suite au signalement de Patrick Mevzek en commentaire, voici une capture d'écran plus éloquente que les mots, où l'on voit en rouge le pic des suppressions des domaines avant l'expiration des 5 jours, et l'amplification du phénomène à partir d'octobre 2005 :



[MàJ 2 - 22-05-06] Après le domain tasting, voici le domain kiting.

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3 commentaires:

Anonyme a dit…

A l'appui de votre article, un graphique (en attendant d'en générer davantage) permet de voir clairement l'explosion :
sur http://www.dotandco.net/ressources/icann_registries/pir_org/index.fr
le graphique «Transactions de destruction de noms de domaine» (vers le milieu de la page) montre l'explosion notamment depuis octobre 2005 des destructions dans les 5 jours pour les noms de domaine en .ORG

Jean-Marie Le Ray a dit…

Bonjour Patrick,

Merci pour l'info, je mets le lien actif pour qu'on puisse le visiter.
Cordialement,
J-M

Mapics a dit…

Ces chiffres ne m'étonne pas vue le nombre de nom de domaine qui sont en parking. Je trouve cela déplacé de jouer comme ça mais le plus navrant dans l'affaire reste les régie de pub qui paye ceux qui font du parking.