Suite : Emmanuel Macron et la dialectique éristique
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En novembre 2016, quelques mois après avoir lancé à Amiens, sa ville natale, un mouvement à ses initiales, En Marche !, Emmanuel Macron publie « Révolution », sous-titré « C'est notre combat pour la France », dans lequel il déclare - dès l'introduction - sa candidature à l’élection présidentielle (trois phrases, trois fois Je...) :
Car je n’ai pas d’autre désir que d’être utile à mon pays. C’est pourquoi j’ai décidé de me porter candidat à l’élection du président de la République française. Je mesure l’exigence de la charge...
Son livre, censé poser les fondements d’une nouvelle société, est une longue énumération de recettes et de grands principes, tellement généraux que, le plus souvent, il est difficile de ne pas être d'accord. Il se décline en 16 chapitres :
- Ce que je suis
- Ce que je crois
- Ce que nous sommes
- La grande transformation
- La France que nous voulons
- Investir dans notre avenir
- Produire en France et sauver la planète
- Éduquer tous nos enfants
- Pouvoir vivre de son travail
- Faire plus pour ceux qui ont moins
- Réconcilier les France
- Vouloir la France
- Protéger les Français
- Maîtriser notre destin
- Refonder l’Europe
- Rendre le pouvoir à ceux qui font
Je ne me résous pas à être enfermé dans des clivages d’un autre temps. On a voulu caricaturer ma volonté de dépasser l’opposition entre la gauche et la droite : à gauche en dénonçant une trahison libérale, à droite en me dépeignant comme un faux nez de la gauche. (…) Je récuse ces deux approches…
- Car les Français, eux, ont une volonté, souvent négligée par leurs gouvernants. C’est cette volonté que je veux servir. Car je n’ai pas d’autre désir que d’être utile à mon pays.
- C’est à mon pays seul que va mon allégeance, non à un parti, à une fonction ou à un homme. Je n’ai accepté les fonctions que j’ai eues que parce qu’elles me permettaient de servir mon pays.
- Ma conception de l’action publique (...) est celle de l’engagement partagé, fondé sur le service. Rien d’autre ne compte à mes yeux...
- Le travail du politique, tout spécialement de l’État, ne consiste pas à dire à la nation quoi faire ou à la soumettre. Il consiste à la servir.
Je suis né ... dans une famille de médecins hospitaliers. (...) L’histoire de ma famille est celle d’une ascension républicaine dans la province française... Mes parents, et aujourd’hui mon frère et ma sœur, sont ainsi devenus médecins. Je suis le seul à n’avoir pas emprunté ce chemin.
Faire plus pour ceux qui ont moins et, ce faisant, protéger les plus faibles, c’est aussi mieux prévenir la maladie. Car là aussi se jouent de profondes injustices. Nous nous targuons souvent d’avoir le meilleur système de soins au monde. La réalité, pourtant, est plus nuancée. Si nous avons des chercheurs, des hôpitaux, des professionnels de santé parmi les meilleurs au monde, la santé en France n’est pas aussi performante qu’on le croit et se révèle, surtout, profondément inégalitaire. Nous ignorons souvent que la France enregistre des résultats médiocres pour toutes les pathologies qui requièrent de la prévention – cancers, cirrhoses… et que les premières victimes de ces maladies proviennent des milieux défavorisés. (...) Face à cela, je ne pense pas que la solution consiste à opposer l’hôpital à ce qu’on appelle la médecine de ville. Au contraire, partout où cela est possible, il convient de favoriser leur complémentarité et leurs partenariats.
Ensuite, je maintiendrai un haut niveau de solidarité pour les dépenses de santé. Nous devons avancer de façon intelligente. Pas en procédant à de petits ajustements annuels pour rester dans les clous ! Il faut penser la réforme non pas par année, comme nous y incite la manière dont est actuellement financé notre système de soins, mais sur plusieurs années. C’est le seul moyen d’engager des réformes de fond et de transformer notre système sur le long terme ! C’est à cette condition que nous pourrons entreprendre la nécessaire refondation de l’hôpital public. Depuis plusieurs années, il traverse une crise de moyens, de productivité et de sens à laquelle nous ne pouvons rester sourds. Nous devons décloisonner les pratiques et les organisations. La transformation de notre système de santé ne peut pas être gérée uniquement par l’État central. Une nouvelle fois, je suis convaincu qu’il faut donner plus d’autonomie aux acteurs locaux de santé, et notamment aux acteurs régionaux. Ce sont eux qui connaissent le mieux les besoins d’un territoire, les singularités d’une population. (...) Le changement ne sera pas dicté d’en haut. Il sera porté par le bas.
[J]e ne peux pas aujourd’hui réfléchir à l’école républicaine sans me souvenir de cette famille dont les valeurs étaient si profondément accordées à l’enseignement de ses maîtres, ni de ces enseignants dont c’était l’honneur de suppléer à toutes les carences pour emmener leurs élèves vers le meilleur. De cette tension, de cette volonté, de cet amour, peu de pays sont capables et nous devons à chaque génération veiller à ce que cette flamme ne s’éteigne pas. (...)
Ma grand-mère était une enseignante, et je voudrais en l’écrivant débarrasser ce mot de sa poussière administrative, pour lui rendre l’éclat d’une passion vive, vécue avec un dévouement, une patience admirables...
En ce domaine, on ne fait rien de bien sans amour.
Entendre Macron parler d'amour, lui qui a une empathie de barreau de prison, lui qui n'a jamais prononcé un mot sur les centaines de français éborgnés et mutilés sous ses ordres, sur les milliers de français mis abusivement en garde à vue sous ses ordres, ni sur les dizaines de milliers de français dont son orgueil et son aveuglement ont fortement contribué à pourrir la vie - si ce n'est pour leur cracher au visage tout son venin et son déni -, le voilà qui s'épanche comme une écolière mélancolique : « En ce domaine, on ne fait rien de bien sans amour. »
C'est fort ! Mais bon, passons à son diagnostic.
Je considère trois domaines comme prioritaires pour l’investissement public.
Le premier, c’est le « capital humain », comme disent les économistes, c’est-à-dire l’éducation et la formation. Encore une fois, l’investissement dans l’école, dans l’enseignement supérieur et la recherche, mais aussi dans la formation continue, est absolument décisif. Il s’agit là de l’unique moyen de donner à la France, au cours des prochaines décennies, les moyens de ses ambitions. Dans ce domaine, nous accusons un retard qui nous coûte cher. Il nous rend moins productifs, moins innovants et moins compétitifs. Il alimente le chômage de masse et creuse les inégalités. Il est même pernicieux d’un point de vue strictement comptable : car l’argent que nous ne mettons pas dans nos écoles ou dans la formation nous contraint à dépenser plus encore pour réparer les dégâts.
Pour redresser le pays et permettre à chacun de trouver sa place dans la grande transformation à l’œuvre, l’École est le combat premier. (...) Si nous devons organiser une révolution c’est bien celle de l’École. Elle passe par trois combats. (Primaire, secondaire - Orientation, avant et après le bac - Université)
Nous réussirons cette révolution si nous retrouvons le sel de notre engagement républicain. Si nous remettons le métier de professeur au cœur de la République. Mon parcours personnel m’a fait toucher du doigt à quel point transmettre et former est le défi fondateur. Mais quelque chose s’est rompu dans le contrat entre la nation et ses enseignants. C’est une cassure que la droite a laissée grandir. Mais c’est une fracture que la gauche n’a pas su réparer.
Revoici le fameux clivage (C’est une cassure que la droite a laissée grandir. Mais c’est une fracture que la gauche n’a pas su réparer.), mais soyez assurés que ma troisième voie vous remettra sur le droit chemin ! Macron est arrivé :
Si nous ne prenons pas en compte la situation morale des enseignants, nous n’arriverons à rien. (...) Alors oui, la Révolution à l’École est possible, parce que nous la ferons avec eux.
Là encore, je ne suis pas spécialiste de l'éducation, mais la réalité a l'air diamétralement opposée, au vu des désastres délibérément répétés de Blanquer et de Vidal, et mon sentiment est que, dans le sillage de la santé, Macron est en train de "casser" l'universalité des services publics de l'éducation - du primaire au secondaire en passant par l'université, la formation et la recherche -, dans un changement dicté d'en haut qui se fait « sans eux », c'est-à-dire sans les acteurs de terrain impliqués au jour le jour. Le but étant toujours le même : socialiser les pertes et privatiser les bénéfices...
Là encore, les discours/actes de Macron président contredisent violemment les propos(itions) "révolutionnaires" de Macron candidat.
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Je pourrais poursuivre ainsi pour chacun des thèmes abordés par Macron, où son diagnostic se résume à un amas de poncifs éculés, énoncés d'un ton doctoral qui n'admet pas la réplique :
D’autres imaginent que la France peut continuer de descendre en pente douce. Que le jeu de l’alternance politique suffira à nous faire respirer. Après la gauche, la droite. Les mêmes visages et les mêmes hommes, depuis tant d’années. Je suis convaincu que les uns comme les autres ont tort. Ce sont leurs modèles, leurs recettes qui ont simplement échoué. Le pays, lui, dans son ensemble, n’a pas échoué. Il le sait confusément, il le sent. De là naît ce « divorce » entre le peuple et ses gouvernants.
Or les choses se sont-elles améliorées depuis l'élection de Macron ? Lui, le porteur de modèles et de recettes censés réunir le peuple et ses gouvernants ? Non !
Bien au contraire : jamais le pays n'a été dans un tel chaos, les gens ont perdu leurs repères, leurs valeurs, tout n'est plus que confrontation, haine, des camps qui s'affrontent 24/7/365, la présidence Macron est un échec à 360°, un désastre, une catastrophe, un cataclysme...
Et Macron de poursuivre, imperturbable :
Nous ne pouvons pas non plus demander aux Français de faire des efforts sans fin en leur promettant la sortie d’une crise qui n’en est pas une. De cette attitude indéfiniment reprise depuis trente ans par nos dirigeants viennent la lassitude, l’incrédulité et même le dégoût.
Voilà : Macron ne fait qu'augmenter l'intensité de cette lassitude, cette incrédulité, ce dégoût.
Il n'écoute personne, décide seul, s'entoure de gens qui n'ont de valeur à ses yeux que tant qu'ils disent oui-oui à tous ses désirs, passe son temps à déconstruire le langage (tissu de notre vivre ensemble) en modifiant le sens des mots selon le moment, selon ses humeurs, selon ses interlocuteurs (et bien qu'il parle dans son livre du lien qu'il a construit avec la langue française : « Notre langue porte notre histoire. »)...
En fait, il dit n'importe quoi, et fait très régulièrement le contraire de ce qu'il dit :
Je crois profondément dans la démocratie et la vitalité du rapport au peuple. Mais je veux retrouver ce qui fait la richesse de l’échange direct avec les Français, en écoutant leurs colères, en considérant leurs attentes, en parlant à leur intelligence. C’est là le choix que j’ai fait. C’est bien mon ambition que de m’adresser directement à mes concitoyens et de les inviter à s’engager à leur tour.
Un dialogue généreux et républicain, selon lui ! À grand renfort de tonfas, de LBD, de grenades, de violences policières, de milliers de GAV abusives, de centaines de milliers d'amendes pour les motifs les plus saugrenus, j'en passe et des meilleurs !
En conclusion, la « Révolution » de Macron n'est pas un échec, elle n'a jamais existé ! Annoncée et promise, mais avortée avant d'avoir vu le jour. Mort-née. Lorsque Macron nous dit : « Je suis un démocrate français », c'est faux ! Lorsque Macron dit des français : « Il faut leur reparler de leur vie. Donner du sens, une vision. », c'est faux ! Pas une seule fois il ne s'est préoccupé d'assumer ses propos, bien qu'il affirme le contraire : j'assume toujours ce que je dis et ce que je fais. C'est d'autant plus facile qu'il se fout totalement des conséquences de ses mots et de ses actes. Lui se contente de dire, de faire. Que le peuple se démerde avec ça !
J'ai un profond dégoût pour les menteurs. J'ai un profond dégoût pour les bonimenteurs. J'ai un profond dégoût pour Emmanuel Macron.
Réélire Macron en 2022 serait impardonnable : si l'erreur est humaine, persévérer dans son erreur est diabolique, disaient les latins. Nous verrons ce qu'en disent les français l'année prochaine, dans un peu plus de 9 mois : encore un long travail, espérons que ce sera un avortement...
P.S. À l'époque du massacre des #GiletsJaunes par de soi-disant #FdO, j'avais interpellé Macron en lui posant directement dix questions, auxquelles il n'a jamais répondu, c'est clair. Elles méritaient pourtant d'être posées. Je rapporte ici la fin du billet :
« Voilà, dans un souci de clarté, je vous les récapitule sous forme de liste, au moins ça vous laissera tout le temps nécessaire pour préparer vos réponses... si vous avez le courage d'y répondre un jour !P.S.
Je ne suis pas de ceux qui pensent et/ou disent que la France est une dictature. La Chine ou l'Égypte, entre autres, sont des dictatures.
D'ailleurs, si j'avais eu le malheur de naître dans de tels pays, je ne crois pas que j'aurais eu le courage de publier un tel billet en sachant que je risquais perpète ou ma vie et celle de mes proches.
Raif Badawi et d'autres comme lui sont des blogueurs courageux, pas moi.
Les #GiletsJaunes pacifiques qui vont manifester chaque semaine en sachant qu'ils risquent gros à cause de l'incompétence irresponsable de nos actuels gouvernants français sont courageux, pas moi.
Alexandre Langlois est courageux, pas moi.
Christophe Dettinger est courageux, pas moi.
Pour autant, c'est justement parce que je suis convaincu que la France n'est pas une dictature mais qu'elle est bien une démocratie, que je ne souhaite pas, Monsieur le président, vous voir impunément plonger notre pays en démocrature comme dans la triste fable de la grenouille...
Il ne manquerait plus que les anglais aient toujours eu raison de nous appeler frogs !
C'est pour tous ces motifs que je me permets de vous interpeller ainsi :
[ Monsieur le président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps...
(...)
S'il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer ]
Ils ne s'en privent d'ailleurs pas, semaine après semaine !
Boris Vian doit se retourner dans sa tombe. Mais voyez-vous, Monsieur le président, la différence, aujourd'hui, c'est que le déserteur, c'est vous ! Un peu comme les deux faces d'une même médaille... »
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