jeudi 17 septembre 2009

Marcello Dell'Utri, éminence noire de Berlusconi



[MàJ - 29 septembre 2009] Récentes déclarations de Dell'Utri sur Mussolini : un "philantrope", sa seule erreur, sa seule malchance, ç'a été de perdre la guerre...

* * *

Je vous ai précédemment raconté l'histoire du Papello et du pacte entre l'état italien et la mafia, où je mentionnais ceci :
Suite au témoignage de Michele Riccio devant les juges Nino Di Matteo et Antonio Ingroia, qui a dévoilé que Marcello Dell'Utri était le personnage politique que lui avait indiqué Ilardo comme étant le "référent" de la mafia (circonstance qu'il n'avait jamais précisé dans ses rapports parce qu'il n'avait aucune confiance en ses supérieurs, dont Mario Mori), Dell'Utri est à présent officiellement inculpé dans le cadre de cette affaire. Rappelons que l'actuel sénateur Dell'Utri est déjà condamné à 9 ans de prison pour concours extérieur à une association mafieuse, et en attente de son jugement d'appel, dont les juges décideront, le 17 septembre, s'ils versent aussi au dossier les nouveaux éléments apportés par Massimo Ciancimino.
Le 17 septembre, c'est aujourd'hui, et les juges viennent effectivement de décider de ne pas verser de nouvel élément au dossier (une belle occasion manquée, une de plus...), dont cette lettre, saisie en 2005 à Palerme (mais officiellement remise au tribunal le 16 juillet 2009, 4 ans plus tard !), où l'on peut lire :
...posizione politica intendo portare il mio contributo (che non sarà di poco) perché questo triste evento non ne abbia a verificarsi. Sono convinto che questo evento onorevole Berlusconi vorrà mettere a disposizione una delle sue reti televisive.

Un morceau de phrase à la syntaxe décousue, où le scripteur dit qu'il aurait apporté son appui, important sans aucun doute, pour que le triste événement n'ait pas lieu (menaces de rapt ou de mort sur le fils aîné de Berlusconi), à condition que celui-ci laisse à la mafia le contrôle d'une de ses chaînes télévisées.

Entre parenthèses, observons que la mention "Onorevole" signifie que Berlusconi était déjà entré en politique, puisque le titre "Honorable" est réservé aux parlementaires (dont pour beaucoup, la moralité est inversement proportionnelle à l'honorabilité qu'on leur prête un peu trop facilement - et coupablement)...

La lettre originale, qui était entière, aurait été écrite par un lieutenant de Riina et aurait passé de main en main selon Ciancimino Junior : de Totò Riina à Bernardo Provenzano, de Provenzano à Vito Ciancimino, de Ciancimino père à Marcello Dell’Utri, de Dell’Utri à Berlusconi.

Donc pas de nouvelles révélations, retenues trop contradictoires, pour les juges qui instruisent actuellement le procès d'appel contre Dell’Utri, condamné à plus de 9 ans de prison pour concours mafieux en première instance, à l'issue d'un jugement qui a duré plus de 7 ans, et c'est pas fini... (près de 1800 pages, témoignant de plus de 900 épisodes où Dell'Utri est pris en train de magouiller avec des mafieux...) :

sentenza dellutri sentenza dellutri cicciofrigo sentenza dellutri

Ce même Marcello Dell'Utri, à l'origine de Forza Italia dans le cadre du très secret "projet Botticelli", fort des conseils éclairés de Vittorio Mangano, un chef mafieux défini un héros par les compères Berlusconi & Dell'Utri (alors même qu'ils s'acharnent à délégitimer tous les gens courageux qui combattent VRAIMENT la mafia), encore sénateur à l'heure où j'écris et membre du conseil municipal de Turin, vient d'ailleurs de demander l'ouverture d'une commission parlementaire pour enquêter sur les massacres perpétrés par la mafia en 1992-1993 !!!

Un peu comme si Mesrine avait demandé en son temps une commission parlementaire sur le grand banditisme...

À ce stade de mon raisonnement, je suis obligé d'ouvrir une parenthèse sur la partie immergée de l'iceberg Silvio Berlusconi, puisque par deux fois, lui et Dell'Utri ont été mis en examen comme commanditaires externes de ces massacres, en plus des circonstances aggravantes de mafia et terrorisme, par les Parquets de Florence et de Caltanissetta :
  1. Le 14 novembre 1998, le juge d'instruction de Florence, Giuseppe Soresina, observait que Berlusconi et Dell'Utri « avaient entretenu des relations pas seulement épisodiques avec les entités criminelles à qui les massacres étaient imputables ». À savoir le clan des Corléonais de Riina et Provenzano, chefs indiscutables de Cosa Nostra pendant plus de vingt ans.

    Et le Tribunal de préciser : « Il y a une convergence objective entre les intérêts politiques de Cosa Nostra et quelques-unes des orientations programmatiques de la nouvelle formation politique [Forza Italia] : sur l'article 41-bis, sur la législation des collaborateurs de justice et sur le "garantisme" dans les procès, trop négligé dans la législation du début des années 90 ».

    Et de conclure, dans sa demande d'archivage due à l'impossibilité d'avoir pu recueillir davantage d'éléments dans le délai de deux ans que la loi impose pour les enquêtes préliminaires, que non seulement l'hypothèse initiale (de l'implication de Berlusconi et Dell'Utri dans les massacres) avait conservé toute sa validité, mais qu'elle avait en outre « augmenté sa plausibilité » !

  2. Quant au juge d'instruction de Caltanissetta, Giovanni Battista Tona, il écrivait dans l'acte d'archivage, en 2002 : « Les documents versés au dossier ont amplement démontré l'existence de nombreuses possibilités de contact entre les mafieux et des représentants ou des sociétés contrôlées d'une manière ou d'une autre par Berlusconi et Dell'Utri. Une circonstance qui légitime l'hypothèse selon laquelle, compte tenu du prestige des deux comparants, la mafia pouvait les avoir identifiés comme de nouveaux interlocuteurs ».

    Toutefois, l'actuelle « friabilité des indices dont nous disposons impose l'archivage », car, bien qu'ils soient nombreux, ils résultent incertains et fragmentaires, et par conséquent inaptes à légitimer l'action pénale ou à exiger des approfondissements ultérieurs... (gli spunti indiziari a sostegno dell’ipotesi accusatoria, per quanto numerosi, risultano incerti e frammentari, pertanto inidonei a legittimare l’esercizio dell’azione penale e insuscettibili di ulteriore approfondimento.).

Ajoutons à cela qu'en 2001, la cour d'Appel de la cour d'Assises de Caltanissetta a consacré un chapitre entier à la question, le chapitre 14, intitulé : « Contacts entre Salvatore Riina, Marcello Dell'Utri et Silvio Berlusconi », dans lequel il résulte "prouvé" que la mafia avait noué avec eux « des rapports d'affaires fructueux, tout au moins en termes économiques ».

Tellement fructueux qu'en 1992, « le projet politique de Cosa Nostra au plan institutionnel a tenté de parvenir à de nouveaux équilibres et de nouvelles alliances avec de nouveaux référents du monde politique et économique », ce qui a conduit la mafia à « amener l'État à négocier pour permettre des changements politiques capables, grâce à de nouveaux contacts, d'assurer à Cosa Nostra des complicités semblables à celles dont elle avait pu bénéficier dans le passé ».

Par conséquent, ces gens-là doivent être pris très, TRÈS au sérieux ! Car comme Dell'Utri l'avait annoncé dès le mois d'août, il a formellement demandé l'ouverture d'une commission parlementaire, immédiatement appuyé par des membres de son camp (mais pas trop...), dans la tentative évidente de mettre son nez dans les enquêtes ultra-secrètes qui le concernent au premier chef, puisque la commission aurait forcément accès au travail des juges...

Car un nouveau repenti (Spatuzza) désigne nommément Dell'Utri, et ça les rend forcément nerveux (pour ne pas dire qu'ils ont carrément peur, très peur...) : même les dossiers archivés peuvent être rouverts à n'importe quel moment en présence de nouveaux éléments...

Moins d'une semaine avant, Berlusconi avait déclaré sur ces nouvelles instructions : « C'est de la folie pure. Je sais qu'il y a de nouveaux ferments, dans les parquets de Palerme et de Milan, qui ont repris les enquêtes sur les événements de 1992, 1993 et 1994. Ça me fait mal de voir que ces personnes, payées avec l'argent des contribuables, conspirent contre nous qui travaillons pour le bien du pays »...


Donc juste pour voir la manière dont ce couple infernal œuvre pour le bien du pays, il convient de s'arrêter un instant sur le jugement de première instance qui a condamné Dell'Utri à plus de 9 ans de prison, avec interdiction à vie d'exercer une charge publique...

Ça vaut le détour !

Dans sa dernière intervention hebdomadaire du lundi, Marco Travaglio consacre une section intitulée Nous avons les preuves qu'il commence en disant, quand bien même les nouvelles enquêtes feraient surgir de nouveaux éléments : « Je doute que les juges puissent découvrir quelque chose de plus grave que ce qui est déjà écrit dans le jugement de première instance ! ».

Un jugement qui parcourt quand même plus de trois décennies de contacts entre la mafia, Dell'Utri (au point d'avoir valu à Dell'Utri le titre d'ambassadeur de la mafia) et Berlusconi (comme durant la rencontre qui eut lieu à Milan à la fin des années 70, que les juges ont considéré "prouvée", réunissant autour d'une même table Stefano Bontate, Mimmo Teresi, Silvio Berlusconi et Marcello Dell'Utri, entre autres).

À noter qu'à l'époque, Bontate (ou Bontade) était pratiquement le chef des chefs de la mafia, fortement impliqué dans la maçonnerie secrète, un personnage terrible qui n'a franchement rien à envier à Liggio, Riina ou Provenzano.

Inutile de lire l'intégralité du jugement original, il suffit de consulter les pages 2 à 6 du document ci-dessus (je vous les traduirai probablement un jour, mais je pense que ça peut suffire pour aujourd'hui :-), où sont énumérés les chefs d'accusation de A) à D) dont Dell'Utri et Cinà ont été reconnus coupables.


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P.S. J'oubliais : Dell'Utri a déjà été définitivement condamné pour extorsion, transformée en appel en "menace grave", d'où l'inévitable prescription...

Le brave homme, à l'époque président de Publitalia '80, la régie publicitaire de l'empire Berlusconi, avait exigé d'un sénateur, Vincenzo Garraffa, qui présidait une association sportive, 800 millions de lires (environ 400 000 euros) pour la sponsorisation d'une marque de bière, soit 50% de la valeur du contrat. Au noir, bien sûr. Face au refus de Garraffa, Dell'Utri l'avait menacé : « Je te conseille de revoir ta position. Nous avons les hommes et les moyens pour te forcer à changer d'avis ». Après quoi il lui avait envoyé la visite d'un chef de la mafia, Vincenzo Virga, lieutenant de Provenzano.

Preuve supplémentaire, si besoin était, des excellentes et durables relations entre Marcello et Cosa Nostra...

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2 commentaires:

Donjipez a dit…

Passionnant et instructif. Comment avec un tel passif Berlusconi peut continuer à tromper le peuple italien et le manipuler ? Ah oui j'oubliais : il contrôle tout...

starks a dit…

Il est temps que l Italie ait un chef digne de ce nom!elle le mérite amplement, c est un pays magnifique!
Et oui Silvio, même toi tu vas tâter du revers de la médaille!!!
Comment un gesticuleur pareil , comment un roublard de cette envergure peut il être à la tête d' un pays?!
Pour moi c est un guignol!!!