[MàJ - 4 août 2008] DoC-NTIA - ICANN : rien ne va plus !
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Commençons par une citation d'actualité :
L'enjeu majeur d'aujourd'hui pour la gouvernance de l'Internet est de savoir si l'on veut que le réseau des réseaux soit utilisé comme un instrument exceptionnel de partage des connaissances, ou comme une arme géopolitique détenue par une superpuissance qui n'envisage guère d'en partager le contrôle, se réservant le droit de maintenir ou de renvoyer ses adversaires dans l'âge pré-Internet, c'est-à-dire la préhistoire de la Société de l'information.Signé : Loïc Damilaville
Daté : Vendredi 20 septembre 2002 !
Dans deux semaines, le 30 septembre pour être précis, le Department of Commerce (DoC) des États-Unis va très probablement faire jouer le « droit de préemption » qu'il s'était réservé et renouveler le protocole d'entente (Memorandum of Understanding - MoU) pour conserver sa tutelle sur l'ICANN et sa mainmise sur le contrôle d'Internet.
Comme l'explique si bien quelqu'un sachant de quoi il parle, Stephan Ramoin (Gandi) :
Le système qui gère les noms de domaine est clairement identifé :Donc ne pas confondre ce protocole avec l'accord IANA (Internet Assigned Numbers Authority), qui consiste à « préserver les fonctions de coordination centrale de l'internet dans l'intérêt de la communauté », avec en tête, les missions de zonage du monde avec attribution d’adresses IP à des organismes locaux (Apnic, Arin, Lacnic, ou pour l’Europe, Ripe Ncc), pour lequel l'ICANN a été reconduit jusqu'en 2011, le 15 août dernier.
- Le Department of Commerce (DoC) américain est l'organe décideur des choix stratégiques via une de ses émanations, la NTIA,
- La NTIA délègue à L'ICANN (une association) la gestion administrative des noms de domaines,
- L'ICANN choisit les prestataires techniques pour la gestion au jour le jour et l'exploitation des extensions générales (Verisign pour le .com et le .net, PIR pour le .org, Affilias pour le .info etc ...), et les pays font leur choix sur leur extension nationale. Mais toujours sous l'influence américaine, puisque les 13 serveurs racines sont gérés là bas. Ce qui pose des problèmes de gouvernance, mais Loïc (Damilaville) en parle mieux que moi...
Un droit détenu par l’Icann depuis 1998. Depuis sa création, en réalité. Que l'on pourrait virtuellement faire remonter au 1er juillet 1997, lorsque Bill Clinton chargea le Secrétariat d'État au Commerce de privatiser le DNS (Domain Name System) afin d'accroîte la compétition et de faciliter la participation internationale à la gestion du système. Un Livre vert fut publié le 20 février 1998 (cf. background), et l'ICANN créé, suite à ces événements.
Chose étrange, le jour même de la sortie du Livre vert, la Commission européenne publiait une communication intitulée « INTERNATIONAL POLICY ISSUES RELATED TO INTERNET GOVERNANCE - COMMUNICATION TO THE COUNCIL FROM THE COMMISSION » (Problèmes de politique internationale liés à la gouvernance d'Internet - Communication de la Commission au Conseil), dans laquelle l'approche retenue allait sûrement dans le bon sens :
It is essential for the European Union to participate fully in the decisions which will determine the future international governance of the Internet on the basis of the general objectives set out in the recent Commission proposals for increased international co-operation on global communications policy...Certes, en 8 ans, beaucoup de chemin a été parcouru ... à rebours !
Il est essentiel que l'Union européenne participe pleinement aux décisions qui détermineront l'avenir de la gouvernance internationale d'Internet, sur la base des objectifs généraux fixés dans les récentes propositions de la Commission pour intensifier la coopération internationale sur les politiques mondiales des communications...
Avec le DoC qui continue de souffler le chaud et le froid, puisqu'après avoir laissé croire à une trêve ou qu'il lâchait du lest, d'aucuns ont pu penser que le débat sur la gouvernance d'Internet était relancé, pas plus tard qu'en juillet dernier :
Contre toute attente, lors d'une réunion publique organisée mercredi à Washington, le Département US du commerce a indiqué que les États-Unis pourraient céder une partie de leur contrôle 'historique' d'Internet. Rien n'est fait. Il faudra attendre le 30 septembre 2006 pour savoir quels pouvoirs les Etats-Unis entendent "céder" et sous quelles conditions.Or il est clair maintenant qu'il n'en sera rien, et ce ne sont pas les illusoires et velléitaires impulsions de Bruxelles qui pourront y changer quelque chose :
La Commission européenne est bien décidée à ne pas relâcher la pression sur la question de la gouvernance de l'internet. Elle prépare activement le premier Forum consacré au sujet, qui devrait avoir lieu à Athènes du 30 octobre au 2 novembre prochain.Dommage que le partenariat public-privé U.S. DoC-ICANN aura déjà été dûment signé... un mois plus tôt, et pour cinq ans !
Mais vu les progrès accomplis de 1998 à 2006, tant du côté américain (le « faciliter la participation internationale... » du Gouvernement Clinton) que chez nous (« Il est essentiel que l'Union européenne participe pleinement aux décisions qui détermineront l'avenir de la gouvernance internationale d'Internet... »), un petit lustre ne sera pas de trop pour éclairer nos négociateurs, actuellement réduits à formuler des vœux pieux, comme en témoigne cette déclaration de la Commissaire européenne pour la société de l’information et les médias, Viviane Reding :
- Pour l'instant, l'ICANN est sous domination des États-Unis. Le Département américain du commerce a un droit de regard, qui devrait être renouvelé à la fin du mois. Nous avons beaucoup discuté avec eux : idéalement, on préférerait qu'il n'y ait pas de mainmise du tout, mais espérons au moins qu'elle soit la plus légère possible, que ce droit de regard ne comprenne plus de mesures d'intervention...En attendant, dès le 1er octobre, lendemain de la signature de l'accord, vous verrez se déchaîner nos organes de presse et autres intervenants chargés de relayer les infos auprès de l'opinion publique, quand bien même avec quelques jours, voire semaines, de retard.
Un peu comme Stéphane VAN GELDER, à qui je reconnaîs volontiers d'avoir ENFIN réagi, même si la façon dont il traite le sujet ne manque pas de me laisser perplexe : un article gentillet, très "politically correct", mais sans aucun approfondissement, aucune véritable analyse, aucune ouverture vers l'extérieur (pas un seul lien dans son article), et une conclusion à la Doctor Watson qui frise le ridicule :
Contacté par la rédaction de Domaines.info, le président de l'ICANN Paul Twomey n'a pas répondu à nos demandes d'information complémentaires. Officieusement, un membre du conseil nous a cependant indiqué que certaines modifications seraient certainement prochainement apportées aux propositions de contrat.Je ne connais aucun des membres du conseil de l'ICANN, ni officiellement ni officieusement, et pourtant j'en étais arrivé aux mêmes conclusions. Je suis doué, quand même !
Ceci étant, après tout ce qui précède, même la question pourtant brûlante des prix variables et des contrats avec les registres des extensions .COM, .BIZ, .INFO et .ORG passe un instant au second plan. Ce qui n'empêche pas les américains de veiller, et je ne suis pas ironique en disant cela : à l'initiative de Netwok Solutions, ils viennent juste d'adresser un nouveau rapport sur les lacunes de la gestion du DNS par l'ICANN, et elles sont graves et nombreuses ! Ce serait même un modèle sclérosé, selon Louis Pouzin, l'homme qui n'a pas inventé Internet, président du conseil d'administration du Native Language Internet Consortium (NLIC), dont l'objectif est de promouvoir des technologies de gestion multilingue du Réseau...
L'internationalisation, puisqu'on en parle, première priorité inscrite dans la planification stratégique de l'ICANN sur la période 2007-2010, les IDN et le multilinguisme sur le réseau des réseaux, un sujet dont l'ICANN a déjà repoussé l'examen en 2005, probablement - pure intuition de ma part - parce que sa mise en place s'accompagnera obligatoirement d'une perte d'influence de l'ICANN, dès lors que l'anglais deviendra minoritaire sur le Net (voir du côté de l'Asie...). Comme le résume Louis Pouzin :
« Aujourd'hui, très concrètement, l'internet appartient à ceux qui comprennent l'anglais, et dans une moindre mesure, à ceux qui appartiennent à l'ensemble des langues vécues dans l'alphabet latin. Pour 80 % de l'humanité, l'alphabet latin ne produit aucun sens. Si l'on veut inclure à l'échelle mondiale les sociétés dans leur diversité, il faut bien que les infrastructures soient capables de transporter des langues dans leur alphabet propre. Un équipement, des logiciels, des services, des usages qui utilisent en toute transparence l'ensemble des langues disponibles. La langue se base sur une communauté, 80 % des échanges linguistiques se font au sein de mêmes communautés indépendamment de leurs dispositions spatiales. Exclure des usagers de l'internet parce que leur langue n'est pas accessible, c'est les exclure de l'ensemble des échanges communicationnels. »Mais j'aborderai la gestion multilingue d'Internet et les IDN dans de futurs billets...
Pendant ce temps, en Europe et ailleurs, le Forum sur la Gouvernance d'Internet discute, discute... Est-ce un jeu de dupes, d'après vous ? Moi, je crois bien que oui ! L'ICANN et la gouvernance d'Internet : certifiés d'origine contrôlée !
Finalement, c'est toujours la même histoire qui se répète : Internet, 15 jours pour convaincre ou 30 ans à subir...
Liens connexes (les 2 premiers sont en anglais, les autres en français) :
- OECD input to the United Nations Working Group on Internet Governance
- Domain Name Handbook
- L'ICANN en 10 leçons
- Les Organismes de la Gouvernance de l’Internet
- GOUVERNANCE : Les principaux acteurs de l'Internet...
- Quelle gouvernance par l’Internet et pour l’Internet ? (fichier PPT, 8 Mo)
- Gouvernance de l'Internet
- Gouvernance de l’internet : L’ÉTAT DE FAIT ET L’ÉTAT DE DROIT
- GOUVERNANCE D'INTERNET : LE PARTENARIAT PUBLIC - PRIVÉ
- ICANN et la gouvernance d'Internet (par Heins Klein)
Actualités, DoC, ICANN, Gouvernance Internet, noms de domaines, libéralisation des prix, internationalisation
5 commentaires:
La citation de Loic en haut de votre billet est très révélatrice à propos de la culture intiale d'internet, celle des militaires. En toile de fond, dans l'ADN même d'Internet, pour les Américains, c'est une arme stratégique
Précisons que la citation de Louis Pouzin est complètement à côté de
la plaque : l'internationalisation du contenu sur Internet ne
dépend pas de l'ICANN. Elle dépend un peu de l'IETF (pour les normes
sous-jacentes mais, aujourd'hui, la quasi-totalité des protocoles
conviennent à toutes les langues) et surtout des utilisateurs et
producteurs de contenu eux-mêmes. Cela ne dépend pas de l'ICANN de
voir un Wikipédia en breton, en zazaki ou en français !
De même, la norme technique pour IDN existant depuis trois ans, son
déploiement dépend des registres et des auteurs de logiciel, pas de
l'ICANN. La seule chose qu'elle contrôle est la possibilité de mettre
".cn" en chinois, un détail, puisque le reste du nom de domaine peut
parfaitement être en chinois.
L'internationalisation de la gestion de l'Internet, actuellement 100 %
états-unienne, reste un vrai problème mais cela n'a rien à voir avec
le multilinguisme ou avec le contenu des sites Web / messages
échangés.
J'ai l'impression que la marionnette du gouvernement US qu'est l'ICANN
sert un peu facilement de prétexte. C'est plus facile de râler contre
l'absence de contenu francophone que de prendre son clavier et de
contribuer sur Wikipédia.
@ Stéphane Bortzmeyer,
Je respecte votre point de vue, mais je maintiens ce que j'ai dit : lorsque je me réfère à l'internationalisation, je ne parle en aucun cas de l'internationalisation du contenu sur Internet, mais au déploiement des IDN et des fonctionnalités connexes, un sujet à l'ordre du jour de l'ICANN depuis des années et placé au premier rang des priorités pour les trois années à venir.
En revanche, pour la question du contenu, je suis bien d'accord avec vous sur la relative « absence de contenu francophone », ou tout au moins son insuffisance.
JML
Bonjour,
La citation initiale manque un peu de mesure, mais l'article pointe une partie l'état des lieux. Ci-après un éclairage après quelques années d'observation mais aussi de pratique sur ces questions là.
D'abord, la raison que les américains avancent pour justifier de "garder la main" est qu'une instabilité quelconque du DNS aurait une incidence trop importante sur leur économie pour laisser cette affaire gérée par on ne sait qui, on ne sait comment.
Si l'on veut pouvoir répondre à ça, la question est donc d'abord: quelle alternative ?
Je laisserais de coté ici la fonction de regulation du marché des noms de domaine, les prestataires accrédités ICANN sauront certainement mieux en parler que moi.
Trois éléments de reflexions sur le sujet:
- une précision d'abord concernant la gouvernance de l'internet: il faut être raisonnable, le contrôle de l'ICANN n'est certainement pas synonyme de "main mise" sur l'internet. Stéphane Bortzmeyer le dit très bien sur les contenus par exemple (meme si les choses ne sont pas aussi simples, l'ICANN a un role important à jouer sur le déploiement des IDN par exemple). Je crois qu'il faut plus généralement se poser la question industrielle: ou sont les CISCO, les IBM, les GooGle, les Microsoft, les Verisign etc. alternatifs ?
- concernant l'Europe, elle devrait en effet jouer un rôle important. Cela dit, à ce sujet, nous pouvons déjà mesurer son action puisqu'elle a par exemple assuré pendant plusieurs années le secrétariat du GAC (aujourd'hui indien http://gac.icann.org), nous pouvons aussi voir la manière dont elle sait traiter les opportunités concrètes telle que la mise en oeuvre du .eu par exemple;
- plus généralement, et comme signalé dans l'article, la face visible de l'iceberg semble pour l'heure malheureusement être plus à la gesticulation qu'à l'emmergence de propositions alternatives crédibles;
Cordialement,
@ Olivier Guillard,
Merci beaucoup pour vos observations. Du point de vue du grand public, c'est-à-dire de mon point de vue, observarteur lambda qui essaie de se forger une opinion, l'absence d'alternatives crédibles et le silence qui entoure cette absence (que s'est-il passé de 1998 à 2006 pour proposer une alternative à l'ICANN ?) est difficile à comprender - et à accepter -, surtout lorsque l'on voit comment l'ICANN gère certains dossiers, au vu desquels on est en droit de se poser la question d'une contrepouvoir. Car même si l'on ne peut parler de mainmise, sur pas mal de sujets l'ICANN n'en garde pas moins un pouvoir discrétionnaire difficile à nier.
Merci d'alimenter cette discussion. Cordialement,
Jean-Marie Le Ray
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