lundi 17 octobre 2011

Et maintenant, que fera Berlusconi ?

Dix mois exactement après le précédent vote du 14 décembre 2010, le 14 octobre 2011 Berlusconi a de nouveau remporté le vote de confiance avec 316 voix pour, soit très précisément le quorum nécessaire, contrairement à ce que raconte la Tribune.

Sur les réactions côté français, je vois surtout consternation et incompréhension. Normal, vu de l'étranger, la situation italienne est totalement incompréhensible. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il finira l'actuelle législature, dont le terme naturel serait au printemps 2013. Plus personne n'y croit ici en dépit des déclarations, à commencer par Berlusconi et Bossi, le couple infernal qui tient l'Italie sous le joug.

Je vais donc me lancer dans un petit exercice de prospective, en essayant de dessiner le tableau de ce qui pourrait se passer dans les semaines et les mois à venir.

Le premier point, central, pour lequel Berlusconi s'accroche au pouvoir avec le désespoir d'un pthirus pubis en fin de carrière, et sans lequel toute perspective de compréhension est faussé si on ne le prend pas en compte, c'est qu'il a besoin de se faire voter encore quelques lois ad personam pour lui éviter la taule.

La première, c'est la fameuse loi-bâillon qu'il repropose régulièrement pour censurer la presse et toute la partie de l'information qu'il n'a pas encore réussi à contrôler à ce jour. Attendez-vous à ce qu'on en reparle très bientôt...

Aujourd'hui même, Repubblica publie une écoute où Berlusconi dit à Lavitola (un jour faudra que j'écrive un billet sur ce personnage...), textuellement :
Je laisse tout tomber ou alors, allons-y avec la révolution, mais la vraie révolution : faisons descendre des millions de personnes dans la rue, démolissons le Tribunal de Milan, assiégeons Repubblica, ou des trucs dans ce genre, je ne vois pas d'autre alternative...

(Io lascio oppure facciamo la rivoluzione, ma la rivoluzione vera... Portiamo in piazza milioni di persone, facciamo fuori il palazzo di giustizia di Milano, assediamo Repubblica: cose di questo genere, non c'è un'alternativa...)
Si vous voulez l'entendre de sa voix... Ce même Lavitola qui est sous le coup d'un mandat d'arrêt, à qui Berlusconi en personne conseille (autre conversation finie sur écoute, en dépit du fait que Berlusconi téléphonait avec un mobile ayant une carte SIM intitulée à un colombien...) de rester à l'étranger et de ne pas rentrer en Italie bien que, publiquement, personne ne fût encore au courant !

Donc vous comprenez qu'il n'a aucune envie que ses déclarations sortent au grand jour, d'autant que le pauvre homme est devenu totalement incontrôlable. Dès qu'il ouvre la bouche il profère des horreurs, pornos ou subversives, c'est selon, et quand il parle publiquement il ne dit jamais rien de vrai !

La deuxième loi dans l'ordre des priorités, ou vice-versa, est ce qu'ils appellent ici la "prescription brève" et qui devrait servir à lui éviter d'être condamné dans l'affaire Mills (condamnation inévitable autrement) et dans d'autres en cours ou à venir. Après le procès express, décidément Silvio le Bref porte bien son nom...

Or d'après les estimations que j'ai pu lire ici et là, avec cette loi plus d'un million de procès prendraient fin brusquement sans aucun espoir de justice pour des centaines de milliers de victimes...

Mais il y a également d'autres procès dont personne ne parle jamais et qui pourraient l'inquiéter. Il s'agit des procès pour l'assassinat de Paolo Borsellino, qui a marqué le début de la saison sanglante ayant vu en parallèle l'éclosion d'un parti né de nulle part, et dont de nombreux repentis (pas loin d'une trentaine !) dénoncent depuis des années l'implication de Dell'Utri et Berlusconi dans les négociations du pacte état-mafia (le fameux Papello), certains les accusant explicitement d'être les commanditaires des attentats, dont celui du Stade Olympique de Rome.

Mais cette fois, c'est officiel, le Procureur général du Parquet de Caltanissetta, Roberto Scarpinato, a officiellement demandé la réouverture des deux premiers procès Borsellino, en déclarant qu'il était évident que d'autres "sujets", extérieurs à la mafia, sont impliqués dans l'assassinat du juge, et ont organisé ensuite un dépistage massif pour éloigner les enquêteurs de la vérité :

C'è una faticosa ricostruzione della verità all'interno di una strage, nella quale, purtroppo, le acque sono confuse a causa di depistaggi che non sono stati concepiti all'interno della mafia, ma all'esterno. Vi sono seri elementi che fanno ritenere che sia nella fase di ideazione della strage che quella esecutiva siano stati coinvolti soggetti esterni all'organizzazione mafiosa. Noi abbiamo trasmesso una copia della richiesta alla commissione parlamentare antimafia, anche su richiesta del presidente.

(Nous avons tenté de reconstruire laborieusement la vérité interne à l'attentat, autour duquel, malheureusement, les eaux sont troubles à cause de dépistages conçus non pas par la mafia, mais en dehors. De sérieux éléments suggèrent que des sujets externes à l'organisation mafieuse sont impliqués aussi bien dans la phase préparatoire que dans la phase exécutive du massacre. Nous avons transmis une copie de la requête de réouverture du procès à la Commission parlementaire antimafia, à la demande de son président.)

Tout le reste, comme les plans d'austérité et de relance pour "sauver" l'Italie selon les indications de la BCE, notamment, c'est bien le cadet de ses soucis, car il sait trop bien qu'il ne pourra jamais terminer la législature dans ces conditions. Mais comme la SEULE possibilité pour réussir à se sortir de la situation inextricable dans laquelle il se trouve est de se maintenir au pouvoir - unique condition dans laquelle il peut espérer voir son impunité garantie -, alors il prépare déjà les prochaines élections, qui, selon toutes probabilités, devraient se tenir au printemps 2012.

Selon l'Espresso, il aurait déjà commencé en grand secret à réserver les espaces publicitaires pour la campagne électorale, et caresserait l'idée de déployer deux listes distinctes, l'une liée à son nom et à son image (!), et l'autre, à son nouveau parti politique de droite.

Donc, d'après plusieurs infos que j'ai pu recouper, cette refonte se ferait autour de deux options possibles, avec Italia per sempre (l'Italie pour toujours) comme liste personnelle, et Siamo Italia (jeu de mots - fort bien trouvé, d'ailleurs - entre "Nous sommes l'Italie" et "Si, j'aime l'Italie) pour les nouveaux nom et logo du futur parti.

Soyons sûrs que sa puissance financière et son contrôle des télés feront le reste, d'où sa volonté absolue de bâillonner dès maintenant (ou pour le moins de tenter) presse, télé et Web confondus. Condition sine qua non pour réussir dans son intention. La lutte sera dure...

Pour conclure en résumant, voici le programme que planifie probablement Berlusconi dans les mois à venir :

  1. d'abord se blinder au niveau judiciaire en faisant passer en force des lois en sa faveur et pour censurer les voix dissidentes, et
  2. une fois tranquille de ce côté, lancer sa campagne politique destinée à retourner l'opinion publique, une fois de plus, en vue des élections au printemps prochain.

Sauf imprévus d'ici là, et notamment un sursaut de dignité soit des forces qui ne sont pas encore totalement corrompues, soit d'une opinion publique réveillée, soit des deux...

Revivre le cauchemar de 1994 en 2012 serait fatal pour l'Italie, et pour l'Europe, qu'on se le dise !

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