Suite de Welcome in the World Century, publié le 3 juillet 2007, il y a très exactement 4 ans aujourd'hui !
Cette première partie, titrée Utopie ou réalité terminologique ?, qui se voulait une « (r)éflexion quasi-
II. La terminologie, ou la quadrature du triangle sémantique : pour la création d’une fiche terminologique « Web 2.0 »
Tout d'abord, quelques précisions sur cette « quadrature du triangle sémantique » (en référence à l'impossible « quadrature du triangle » qui est le lot quotidien des traducteurs...), censée traduire l’absurde utopie terminologique selon laquelle les termes seraient univoques : 1 terme = 1 concept/1 notion, avec 1 définition !
Où la notion (le concept), serait une « unité de pensée constituée par abstraction à partir des propriétés communes à un ensemble d'objets. », et où "Concept / notion, objet, terme" sont les trois sommets du triangle sémiotique :
Une représentation simplifiant le modèle quadripartite d'Eugen Wüster :
dont Renata Stela Valente nous dit :
Wüster avait des raisons pour vouloir faire de la terminologie une théorie des concepts : il voulait que le terme ait le comportement d’un symbole, comme un symbole chimique NaCl, ou une icône (une disquette) qui représente directement un concept, fonctionnant ainsi dans l’extra-linguistique. La langue n’est qu’un véhicule d’expression du concept que le terme représente. De toute évidence, Wüster concevait une terminologie prescriptive où il n’y aurait pas de variations lexicales d’une même notion.Dans cette "utopie terminologique", chaque terme contiendrait donc son propre tout, et réciproquement !
Le parallèle me vient naturellement avec l'utopie enclycopédique de Diderot et D'Alembert, tentative de rassembler en un seul contenant « les connaissances éparses sur la surface de la terre », pour reprendre les mots de Diderot lui-même. Un ouvrage qui aura demandé plus de 25 ans de travail.
Plus proche de nous, la Grande Encyclopédie (près de 49 millions de mots écrits entre 1885 et 1902, à laquelle je consacrerai bientôt un billet...) (à comparer avec 5 milliards de mots échangés sur Twitter ... par jour !), aura été la dernière tentative de ce genre, et ses auteurs plus conscients de « la tâche à la fois difficile et modeste à laquelle les collaborateurs de la Grande Encyclopédie ont consacré plusieurs années de leur vie, sans avoir l’illusion de penser qu’ils font une oeuvre définitive.
(...)
Penser faire une encyclopédie qui ne doive jamais disparaître serait une espérance chimérique.
Dans un quart de siècle, la science humaine aura marché. Des faits anciennement connus se seront modifiés ou seront mieux appréciés, des faits nouveaux se seront révélés, des théories anciennes seront mortes, des théories nouvelles seront nées. Les mêmes mots peuvent à vingt ou trente ans d’intervalle n’avoir plus la même valeur. Et à ce changement dans la nature des choses, il faudra bien que corresponde un changement dans la manière de les exposer ; - c’est-à-dire qu’à un ensemble de faits nouveaux, d’idées nouvelles, il faut une encyclopédie nouvelle.
Que l’on ne s’émeuve pas, d’ailleurs, de cette vie éphémère d’une encyclopédie. L’oeuvre n’en aura pas moins eu son jour et son utilité.
Les encyclopédies ne tombent pas comme les feuilles, et leurs printemps durent de longues années. Il faut au grand public un espace de temps assez étendu pour apprécier les lacunes d’une telle oeuvre et éprouver le besoin d’en voir faire une nouvelle édition. Entre deux encyclopédies successives marquant chacune une étape de l’humanité, il y a une période intermédiaire ; celle qui est née peut continuer à vivre, celle qui doit venir n’est pas encore à terme.
Puissions-nous marquer cette constatation du travail humain, ce tableau de notre temps, de traits qui en fassent vivre le souvenir, comme vit encore de nos jours le souvenir de l’oeuvre de Diderot et de d’Alembert ! »
Il en va des termes comme des encyclopédies : jamais achevés, en mouvement perpétuel autant que la connaissance qu'ils sont censés décrire (dénoter, définir, etc.), toujours en marche. Chaque langue est vivante, en évolution continue : le jour où elle se fige, elle meurt !
Donc vouloir figer les termes dans un corset de sens, les enserrer dans un modèle de « fiche terminologique » rigoureux et inamovible, n'en a plus ... de sens, à supposer que cela en ait jamais eu...
Par conséquent, en donnant pour acquise la ligne de démarcation entre AVANT et APRÈS Internet, je voudrais tracer l'esquisse d’une fiche terminologique « Web 2.0 » en faisant référence à la pratique du métier de traducteur, que j'illusterai d'une métaphore :
If a Word leads to the World!
La différence entre "fiche terminologique 1.0" et "fiche terminologique 2.0" étant essentiellement spatiale :
- la première tient dans l'espace plan du papier, forcé de se faire palimpseste où se succèdent les polysémies temporelles créées par "la science humaine en marche" ;
- la seconde a pour univers l'espace virtuel, palimptexte qui contextualise à l'infini chaque terme : on part d'un mot et on arrive au monde...
Avec un simple sigle : LTE. Dont Google indexe pas moins de 101 millions de résultats !
Juste 3 lettres, 101 millions de résultats !!! Juste inconcevable ! Avec une multiplication des sources :
Pour n'en citer que quelques-unes : glossaires, dictionnaires, images, vidéos, blogs, actus, temps réel, etc.
Un flux ininterrompu de sources, une profusion impossible à limiter, qui plus est multipliée par la quantité de langues et de traductions éventuelles... Autrement dit le rêve fou de l'univocité terminologique (1 terme = 1 définition) est définitivement dépassé, de même que la lexicologie (1 terme = n définitions) doit laisser désormais la place à la polysémie universelle : 1 mot = 1 monde !
Où la "fiche terminologique 2.0" devient palimptexte terminologique modelable à volonté et à l'infini...
* * *
En parallèle à ma réflexion sur cette babélisation du sens et des valeurs, où chacun/e donne désormais son propre sens et ses propres valeurs aux mots de la tribu, je ne peux qu'évoquer ce billet d'avril 2007 sur le sens et la valeur des mots : Des mots qu'on utilise tous les jours et dont je me dis qu'on ne sait plus très bien le sens dont ils
sontdevraient être porteurs et les valeurs qu'ils sont censés véhiculer.
Une grande confusion règne autour des mots, et les publicitaires et politiques de tous bords - hommes et femmes - ont une immense responsabilité dans cet état de chose. Car pour le traducteur-poète (ou poète-traducteur...) que je suis, tant par vocation personnelle que professionnelle, qui réfléchit au sens des mots à longueur de journée, cela me crève le cœur de voir qu'il sont employés sans égard, fourvoyés dans une approximation scientifiquement entretenue, de sorte qu'on puisse aisément leur faire dire blanc ou noir en fonction du contexte, des opportunités, des intérêts du moment. Cela permet de mieux déstructurer la culture et l'esprit des populations, tout en les désinformant par une propagande habile, qu'elle soit marchande ou politique, je le répète.
Or il en va des mots comme de la nature. On n'en abuse pas sans générer de grandes catastrophes, et lorsque vous vous y attendez le moins ils se retournent contre vous. Dans son travail intitulé LTI - Lingua Tertii Imperri (La langue du IIIe Reich), Victor Klemperer, qui mène une réflexion approfondie et sans concession sur les mécanismes du langage totalitaire, cite en exergue ces mots de Franz Rosenzweig : « La langue est plus que le sang. »
Dès le premier recueil que j'ai écrit (il y a une vingtaine d'années), non publié, comme tous mes ouvrages poétiques, qui s'intitule « L'Écorché vif » :
réminiscences de ma vie aventureuse et vagabonde, je tentais de redonner un sens - le leur ou le mien - aux mots, à ceux que l'on parle, que l'on écrit, à ceux que l'on reçoit, aux mots, en somme, à travers lesquels on s'efforce de communiquer, les fameux "mots de la tribu"
en poursuivant délibérément le rêve de la perfectionComme le petit Prince de sa rose, je me sentais de nouveau responsable pour chaque mot, pour l'usage propre de chaque mot..., responsable pour
l'utopie réalisée d'un texte qu'il n'y aura plus à reprendre - jamais !
enchâsser chaque parole dans son acception profonde - on n'y saurait en changer une seule sans briser l'équilibre subtil du recueil -, tantôt première tantôt plus actuellevulgariser la poésie, enfin
(combattre l'inadéquation du parler en redécouvrant la ligne de partage entre les antiques beautés de la "vieillerie langagière" et les nouveaux trésors de la langue moderne, davantage ouverte et "démocratique")
inventer une signification plus proche par quelques néologismes, contextuels ou non (plasmer)
masculiniser des substantifs injustement féminins depuis des millénaires (prostitué ou parturient...)
utiliser les vocables les plus humbles en leur rendant le discernement qu'ils ont désappris, leur native splendeur fanée d'avoir été trop longtemps prononcés, galvaudés
faire de la langue poétique
une langue charnelle
une langue humaine !
* * *
Dans ce laboratoire de désinformation, de censure et de manipulation permanente du langage qu'est devenue l'Italie berlusconienne, véritable cloaque, il est trop facile de constater que les mots ont perdu toute valeur commune, tout sens commun, nous en avons des exemples éclatants tous les jours, hier encore, Angelino Alfano, actuel ministre de la "Justice" intronisé Secrétaire du parti de Berlusconi, a déclaré sans honte et sans crainte de se couvrir de ridicule qu'il voulait faire du PDL (Peuple des Libertés...) le "parti des gens honnêtes" !Après "Parti de l'Amour", voici donc le parti de Berlusconi, indubitablement le chef de gouvernement le plus menteur, indécent, corrompu, subversif et délinquant du monde démocratique, réintitulé "Parti de l'honnêteté" !!! Le comble dans un pays où le crime a été patiemment institutionnalisé - parlementarisé même - par nos gouvernants depuis la fin de la IIe Guerre mondiale, toutes couleurs confondues, et où les mafias prospèrent en toute "légalité"...
Oui, le pouvoir des mots a bien le pouvoir de changer le monde (hélas !), comme le montre cette vidéo découverte hier via @randfish :
The Power of Words
qui se conclut ainsi : « Change your words. Change your world. »
En bien ou en mal...
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