mardi 18 mars 2008

Flux RSS : la jurisprudence en marche...

Flux RSS : la jurisprudence en marche...

Mais où et jusqu'où va-t-elle aller, c'est une autre affaire ! À suivre...

En attendant, je voudrais essayer :
  1. de dégager les conceptions qui s'affrontent
  2. d'expliquer ce que sont les flux RSS
  3. de donner mon avis sur la question
Pour conclure...


1. Les conceptions qui s'affrontent

En gros, je les résumerais par deux citations provenant "des camps opposés".

L'une de Pierre Chappaz :
Nous assistons en ce moment à la multiplication des actions en justice contre les services Internet de diffusion de flux RSS. Certaines "stars", peu au fait de la technologie, et conseillés par des avocats sans doute plus habitués à s'attaquer à la presse people, s'en prennent aux aggrégateurs et moteurs de recherche Internet à qui ils reprochent de véhiculer des rumeurs publiées dans le flux RSS de tel ou tel site indexé. C'est un peu comme s'ils attaquaient les kiosques à journaux sous prétexte qu'un écrit leur déplaît dans l'un des titres en rayonnage.
L'autre de Guillaume Narvic :
La loi ne reconnaît en revanche aux blogueurs, éditeurs, journalistes, et à tous les autres qui publient en ligne, aucun droit de publier n’importe quoi et de le laisser en ligne tant que personne ne demande gentiment de le retirer. C’est tout de même pas aux victimes que revient le boulot de faire le ménage après coup ! C’est à l’éditeur de ne pas publier des choses condamnables.

Dans cette affaire, je n’entends personne rappeler qu’il y a quelqu’un qui se plaint d’avoir été victime qu’on a colporté des ragots à son sujet sur internet.

M... à la fin ! Que ceux qui colportent des ragots assument leur responsabilité ! Car c’est bien d’un colportage de ragots qu’il s’agit à l’origine, non ?
[Début]


2. Que sont les flux RSS ?

Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans des explications oiseuses, mais comme je voulais approfondir la question, j'ai été voir chez les anglo-saxons ce qu'ils en pensent. Et j'ai déniché un texte fort intéressant, signé Jonathan Bailey et publié le 13 mars sur le site European Journalism Center, qui m'a gentiment accordé l'autorisation de le traduire. Ça s'intitule tout simplement ... Really, simple syndication :
Really Simple Syndication, ou RSS

Le RSS est à double sens. En mettant votre contenu au format RSS, les internautes peuvent accéder plus facilement à votre travail et être au courant de vos actus et vos derniers articles. De même, les autres contenus en forme de flux RSS vous simplifient la vie pour incorporer ces flux sur vos pages.

Toutefois, le simple fait qu’une chose soit facilement réalisable au plan technique ne signifie pas pour autant qu'elle soit éthique, voire légale.

Car si le geste de prendre les contenus RSS de quelqu'un pour les coller dans votre site sans son autorisation peut vous sembler futile, cela n’en soulève pas moins des questions juridiques, voire des clameurs de protestation du côté du public.

Heureusement, il y a des manières à la fois éthiques et légales d'intégrer un flux RSS sur son site, et si cela est fait correctement, les fils RSS peuvent s’avérer un outil précieux pour aider au développement de votre site et fournir à vos lecteurs des informations précieuses. Il suffit d’être attentif à ne pas franchir la ligne jaune.

Pourquoi le RSS peut-il être dangereux ?

La syndication est problématique car s'il est facile de republier du contenu, la plupart de ceux qui mettent à disposition un flux RSS le font sans intention de voir leur contenu republié sur d'autres sites. Les fils RSS étant essentiellement destinés à être utilisés par les internautes de façon privée, qu’ils consulteront dans un lecteur RSS tel que Newsgator.

Ces lecteurs sont conçus pour permettre aux utilisateurs d'afficher de manière organisée du contenu en quantité, d’où collecter du matériel provenant d'un grand nombre de sites.

Cependant, la plupart des lecteurs ne prévoient pas de mettre tout ce contenu à la disposition des autres internautes sur le Web. À l’opposé, en règle générale les contenus d’un flux RSS ne sont disponibles qu’aux abonnés à ce flux.

Or certains sites font ce qu’on appelle du râtissage, en s’accaparant les contenus RSS pour les republier ; ils sont souvent désignés comme des sites à spam ou des splogs (spam blogs).

Il n’y a pour l’instant ni législation ni jurisprudence sur la question. Même si l’on estime généralement que cette republication est une violation des droits d'auteur. Des milliers de slogs sont fermés chaque année pour ce motif. Les webmasters, et en particulier les journalistes, tolèrent rarement ce genre de râtissage, qui permet de crée une copie quasi-parfaite du contenu original. Ce qui peut également pénaliser le site original autant en termes d'audience que de positionnement dans les résultats des moteurs de recherche.

En outre, les utilisateurs préfèrent largement voir le contenu sur son site d'origine et soutenir l'auteur original.

En bref, republier un flux RSS sans autorisation est non seulement un moyen d’aller au devant d’ennuis juridiques, mais également d’irriter les lecteurs.

Les Unes régulièrement mises à jour

Donc, pour utiliser le RSS de manière efficace et sécurisée, il est important d’observer que la puissance de la technologie RSS réside moins dans le contenu ainsi redistribué que dans son pouvoir d’alimenter constamment le lecteur en nouveautés.
En gardant cette problématique à l’esprit, la façon la plus sûre d'inclure des contenus RSS sur votre site est de les embarquer dans un widget n’affichant que les Unes.

Ces widgets sont de petites “boîtes” généralement situées dans la partie latérale de navigation de la page, ne reprenant que les titres provenant des sites ciblés.
Cette liste est régulièrement mise à jour en cours de journée, au fur et à mesure que le site cible fournit de nouveaux contenus.

Donc, en n’utilisant que les titres, qui ne sont pas protégés par le droit d'auteur dans la plupart des pays, ces widgets évitent bon nombre de problèmes légaux – liés aux droits d'auteur – que soulève en revanche la republication totale ou partielle de contenu dans les flux RSS. De plus, en ne fournissant qu’un lien vers le site originel, les lecteurs sont redirigés en toute transparence vers la source de l’article.

D’une manière générale, les webmasters sont plutôt contents que leurs flux RSS soient ainsi utilisés.

Cela crée des liens actifs vers leur site et encourage les utilisateurs à cliquer pour aller voir l'intégralité du contenu.

Parmi les principaux organes de presse, certains acteurs majeures, dont Reuters et Associated Press, préconisent activement cette forme d'utilisation, tandis que d'autres, comme le New York Times, fournissent même le code HTML pour faciliter le processus.

Cela ne veut pas dire que tous les sites approuvent ou encouragent ce type d'utilisation de la syndication de contenu. Mais il s'agit d'une pratique largement acceptée sur le Web, ayant l’aval de nombreux acteurs concernés. Certains sites individuels peuvent encore s'opposer à cette utilisation des flux d’abonnement, aussi est-il toujours préférable d'obtenir une autorisation préalable.

Et même si bon nombre de problèmes juridiques sont déjà résolus, un conflit avec d’autres journalistes ou des organes de presse ne débouchera jamais sur rien de bon.

Contrôler le contenu

Un autre problème lié à la publication des Unes provenant de flux RSS, c'est que le contenu affiché sur votre page passe entièrement sous le contrôle du site « partenaire ».

Ce qui pourrait conduire votre site à promouvoir sans le savoir du matériel répréhensible ou douteux. Voilà pourquoi beaucoup souhaitent mieux contrôler le contenu qu'ils syndiquent, soit en sélectionnant manuellement les articles soit en puisant à des sources multiples.

Pour faire le tri des Unes à mettre en avant dans votre widget, il vous faudra d'abord utiliser un lecteur de flux tel que Google Reader, qui vous permet de sélectionner ce que vous aller publier dans le flux. Vous pouvez ainsi vous abonner à toutes les sources que vous voulez, pour ne sélectionner ensuite que celles que vous souhaitez partager.

À partir de là, le widget de votre site n’affiche que les éléments choisis, de même que pour n'importe quel autre flux RSS.

Le résultat est que vous contrôlez les articles et billets affichés sur votre site, en veillant à ce qu’ils soient pertinents et pas hors sujet par rapport à votre ligne éditoriale.

Pour combiner les flux provenant de sources multiples, vous devez utiliser un outil comme RSS Mix ou Feedroll, capable de fusionner en un seul des flux multiples.
Ensuite, n'importe quel parseur RSS vous permet de lire les flux mixés et votre site inclura automatiquement les titres de toutes les sources que vous aurez choisies.

Et bien que ces deux options soulèvent encore moins de questions éthiques ou légales que d'autres formes de syndication, gardez à l’esprit qu’il est toujours préférable de demander ou d'obtenir l'autorisation avant d'utiliser le contenu d'un autre site. Heureusement, ce faisant, rares sont les cas où vous risquerez une contestation, s’il y en a.

Conclusion

La syndication de contenu, lorsqu’elle est faite comme il se soit, peut s’avérer un excellent moyen de présenter du contenu relatif à votre site sans devoir l'écrire. C’est aussi un service rendu au lecteur, en lui permettant d'en savoir plus sur votre site, et un soutien apporté aux organes d'information en faisant la promotion de leur travail en direction d’un nouveau public.

En clair, tout le monde en bénéficie.

Et bien que vous n'aimeriez sûrement pas qu’un flux RSS concurrent apparaisse sur votre site, il reste certainement des marges de manœuvre pour coopérer avec les journalistes, en particulier pour les publications de niche dans des domaines pointus  : les flux RSS offrent un excellent moyen de capitaliser sur ce type de contenu.

Donc si vous ou votre entreprise ne mettez pas encore cet outil à disposition, il est l’heure d'en envisager l'utilisation. De même, si vous n'êtes pas encore abonné à des services de syndication, c'est le moment idéal de rechercher des partenaires avec qui collaborer dans ce domaine.
Jonathan Bailey, que je remercie, a 27 ans et vit en Nouvelle-Orléans. Webmaster du site Plagiarism Today, il est diplômé avec mention en journalisme et mass médias de l'Université de Caroline du Sud. Il est également concepteur-rédacteur, spécialisé dans la pub, le graphisme et « tout ce qui lui sert à payer ses factures ». Il s'intéresse de près au plagiat, qu’il traque et combat depuis qu’une proportion importante de sa création littéraire a été plagiée. Adscriptor aussi a déjà abordé la question du plagiat... [Début]


3. Mon avis sur la question

Ce billet fait naturellement suite aux affaires qui se succèdent depuis quelques semaines, et dont tout le monde a déjà eu l'écho ici ou .

Réflexion relancée par l'affaire Fuzz d'Eric Dupin, dont le jugement en référé est attendu demain.

Avant tout, il y a une infinité de billets et de commentaires à lire sur la question, qui fait couler beaucoup d'encre, et ce n'est pas fini. Je me limiterai à vous signaler ceux d'Emmanuel Parody et de Guillaume Narvic. Mais déjà, si vous suivez les liens de ce billet et les liens de ceux vers lesquels il pointe, ça va vous faire de la lecture...

Dans ces affaires de flux RSS, je vois quatre aspects formels :
  1. le titre du billet/article repris dans le flux 
  2. le contenu présenté dans le flux, extrait ou totalité 
  3. la nature de ce contenu 
  4. comment et par qui est relayé ce contenu.
1. Le titre du billet/article repris dans le flux

Il me semble que l'article de Jonathan est suffisamment clair sur ce point : « En n’utilisant que les titres, qui ne sont pas protégés par le droit d'auteur dans la plupart des pays, ces widgets évitent bon nombre de problèmes légaux – liés aux droits d'auteur – que soulève en revanche la republication totale ou partielle de contenu dans les flux RSS.
(...)
Cela ne veut pas dire que tous les sites approuvent ou encouragent ce type d'utilisation de la syndication de contenu... aussi est-il toujours préférable d'obtenir une autorisation préalable.
 »

2. Le contenu présenté dans le flux, extrait ou totalité

Republier un contenu in extenso est clairement assimilable à une violation du droit d'auteur. Mais quid des snippets, ces extraits d'une ou deux lignes qui ont fait la fortune des pages de résultats selon Google ?

Pourquoi ne pas les assimiler simplement à de "courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration", chose qu'autorise le code de la propriété intellectuelle, aux termes de l'article L. 122-5, (2° et 3°a) ?

Ce qui ferait que la publication d'un flux ne reprenant que le titre et une courte citation d'un billet/article serait tout à fait légale.

Encore mieux après demande et obtention d'une autorisation préalable, certes.

3. La nature du contenu

Narvic est particulièrement remonté contre le colportage de ragots et se range du côté de la loi, « qui ne reconnaît en revanche aux blogueurs, éditeurs, journalistes, et à tous les autres qui publient en ligne, aucun droit de publier n’importe quoi et de le laisser en ligne tant que personne ne demande gentiment de le retirer. C’est tout de même pas aux victimes que revient le boulot de faire le ménage après coup ! C’est à l’éditeur de ne pas publier des choses condamnables. »

OK. Toute la question étant alors de savoir si un agrégateur tel que Wikio ou Fuzz est un éditeur. Or que je sache, l'éditeur est celui qui est censé "éditer" un contenu, intervenir dessus et prendre par conséquent la responsabilité de son intervention au moment-même où il intervient.

4. Comment et par qui est relayé ce contenu ?

Ce qui précède ne me semble être ni le cas de Wikio, qui référence chaque mois "4 millions de résumés d'articles", ni celui de Fuzz, à qui seule la présence d'un lien semble être contestée.

Or les Conditions générales d'utilisation de service du site (qui ne sont pas en ligne aujourd'hui mais que j'avais sauvegardées) paraissaient très claires à ce sujet :
Article 2 : Champs d'application

En s'inscrivant sur le site FUZZ.FR et en utilisant les services offerts, Le Membre déclare utiliser les services de FUZZ.FR en accord avec le droit applicable et les présentes conditions générales.

Article 4 : Description du service

FUZZ.FR met à la disposition gracieuse des Membres le site FUZZ.FR, spécialisé dans l'agrégation de liens internet d'informations générales,...

Article 6 : Obligations / Responsabilité de l'Utilisateur / Utilisation du Service

En particulier il est interdit sur les pages de FUZZ.FR :

- d'utiliser des œuvres qui sont protégées par des droits d'auteur sans autorisation expresse de l'auteur ou de la personne qui en possède le droit d'exploitation...
- de diffamer, d'insulter ou de menacer autrui;
- d'insérer des bannières publicitaires autres que celles affichées par FUZZ.FR;
- de diffuser des pages dont le contenu est illégal;
- de diffuser des pages dont le contenu ou la forme est pornographique;
- d'inciter à commettre des crimes et délits ou à y participer;
- d'atteindre au droit à l'image ou à la personne de qui que ce soit;
- de faire la promotion de services à but lucratif;
- d'insérer des liens hypertexte pointant vers des sites en vue d'en faire ouvertement et délibérément leur publicité...
[Début]


Pour conclure...

Vu tout ce qui précède, je ne peux que répéter ici mon commentaire d'utilisateur lambda qui raisonne uniquement à l’intuition :
Comment peut-on appliquer le soi-disant “droit de la presse” à Internet ?

C’est-à-dire : pourquoi appliquer sans aménagements un droit qui doit remonter à deux siècles (je dis ça au pif, mais disons qu’il est plus tout jeune) à Internet et au Web, qui n’ont absolument plus rien à voir avec la presse telle qu’elle a existé ?
Tous ces procès me paraissent d’un autre âge, dépassés, tout ce que tu veux, à l’instar de ce qui se passe pour l’industrie musicale qui voudrait bien pouvoir faire comme avant…

Je sais que très probablement les choses ne sont pas si simples que ça, tout n’est pas noir ni blanc, mais en l’espèce, pourquoi ne pas prévoir un mécanisme en vertu duquel la personne s’estimant lésée adresse un avis préalable, pour n’engager une procédure qu’en cas de refus de retirer la source du problème.

Je suppose que si les personnes concernées avaient dit à lespipoles ou à Eric Dupin d’enlever ces liens, ils l’auraient fait volontiers à l’instant même.

Donc tout ça, de la part des plaignants, ça se résume très probablement à saisir l’occasion - sans vergogne ni scrupules - de se faire un max de blé sur le dos de deux blogueurs, ou, pour reprendre les mots d’Eric, à écraser une puce avec un marteau.
La réponse d'Emmanuel est très pertinente, certes, mais je persiste à penser que le "droit de la presse" en l'état n'est adapté ni à Internet ni aux spécificités techniques introduites par le Web, et encore moins au Web 2.0, dont le lien hypertexte et la circulation de l'information sont la lymphe vitale.

Espérons donc que la jurisprudence destinée à se mettre en place ira dans le bon sens, sous peine de régresser au lieu de progresser. Ce qui ne serait pas la première fois en droit...

Dès demain, nous aurons un signe de la sensibilité des juges en matière de Droit Internet ! [Début]


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5 commentaires:

Anonyme a dit…

Beaucoup de choses intéressantes, Jean-Marie ("comme d'habitûûûdeu"), mais deux objections :
- l'article traduit reflète une conception anglo-saxonne du droit d'auteur, qui ne s'applique pas forcément aux cas français des dernières semaines
- il est fort peu question, tout au long de ce billet, de l'intention de la personne qui génère le flux. A certaines conditions, il paraît possible de considérer qu'elle accorde une licence pour la réutilisation - ce qui alors modifie la donne juridique !

Anonyme a dit…

Jean-Marie, je renoue avec ma stratégie du coucou, en venant poster de longs commentaires chez toi, plutôt que d'en faire un billet chez moi ;-)

Internet change en effet beaucoup de choses dans la circulation de l'information aujourd'hui, mais ça ne veut pas dire pour autant que ça change tout. Avant de monter de toutes pièces un nouveau régime juridique, qui devra attendre des années avant de se stabiliser à force de nouveaux procès et de jurisprudence, on peut regarder si une adaptation du régime qui existe déjà n'est pas suffisante, et peut se faire à moindre frais pour tout le monde.

C'est la direction dans laquelle on s'est engagé pour le moment en France, et elle me semble toujours valable, même si elle est compliquée et que la plupart des gens n'en ont pas réellement compris la logique. Elle est parfois aussi un peu hypocrite, ou "discutable, comme dit Emmanuel Parrody dans le très bon commentaire, que tu cites en fin de texte.

Hébergeur/éditeur :

Il y a d'abord la distinction fondamentale entre l'éditeur (pleinement responsable des contenus) et l'hébergeur (dont la responsabilité éditoriale est atténuée), qui me parait saine. Mais alors, il ne faut pas que tout le monde cherche à se protéger derrière ce statut d'hébergeur, car plus personne ne serait responsable...

Je lis partout qu'il faudrait que l'on soit obligé de demander d'abord à l'éditeur, le blogueur, etc., que le contenu qui pose problème soit retiré, avant d'aller en justice. Cette position ne va pas du tout.

Cette possibilité a été reconnue à l'hébergeur, mais c'est uniquement pour atténuer sa responsabilité à lui, pas pour affaiblir la notion même de responsabilité : l'hébergeur n'a pas à s'occuper des contenus, sauf si on lui a tiré la sonnette d'alarme ; pour le reste, tout les éditeurs sont responsable dès l'instant où quelque chose est publié.

Protéger les victimes

Les plaintes comme celle de cet acteur, ne visent pas seulement à retirer le contenu litigieux, elles demandent aussi réparation pour le mal qui a déjà été fait depuis que ce contenu est public. C'est à double détente : empêcher que les dégâts continuent ET réparer les dégâts qui ont déjà été faits.

Les dégâts occasionnés par la publication de quelque chose d'illégale ne commencent pas uniquement à partir du moment où quelqu'un a tiré la sonnette. Ils commencent dès l'instant de la mise en ligne.

Voilà pourquoi, je crois qu'il faut absolument maintenir la responsabilité de l'éditeur dès que "la chose " est publiée. Sinon, ce sont les victimes qui se retrouvent désarmées, et plus personne ne parviendra à se défendre quand il estime avoir été lésé... Il faudra aller faire la chasse en permanence, et les contenus qui ont été supprimés ici, réapparaîtrons là-bas, et tout sera à recommencer sans cesse...

Je rappelle ce point essentiel dans le débat, car je lis nombre de blogueurs qui affirment que la liberté d'expression est menacée dans cette affaire. Il faut peut-être leur rappeler qu'en tant que blogueurs ils sont éditeurs de leur site et responsable de tout ce qu'ils publient ! Ça n'a rien de nouveau, même s'ils ne s'en rendaient pas compte auparavant ;-)

Agrégateur RSS/hébergeur/éditeur

Le cas est différent avec Fuzz, comme avec Wikio, Google/GoogleNews, qui sont des agrégateurs en ligne et pas des blogueurs. Ces agrégateurs demandent à bénéficier du statut de l'hébergeur, et donc du régime de responsabilité atténuée, et de la protection prévue tant qu'ils n'ont pas été alertés d'un problème.

On voit bien que c'est un cas très différent du blogueur, et qu'il n'est peut-être pas convenable de mobiliser les blogueurs sur cette affaire, alors qu'ils ne sont pas concernés...

L'article de Jonathan Bailey est intéressant, car il est nuancé et pragmatique. Il a le mérite de rappeler (Emmanuel Parrody le fait aussi) que l'on est confronté ici à un usage nouveau des flux RSS, qui n'était pas prévu à l'origine.

Le flux RSS a été conçu d'abord à usage personnel et privé du lecteur qui s'abonne. Dans ce cas, toute la problématique de la responsabilité de publication ne s'applique pas, puisque rien n'est rendu public par le RSS. La publication a eu lieu en amont, et c'est en amont qu'il faut aller chercher la responsabilité.

Mais depuis que les flux RSS sont utilisés désormais comme outil de publication, il faut revoir la question...

Pour info, ce débat n'est pas si neuf, il se rapproche en plusieurs points de celui qui a opposé les journaux entre eux, au sujet du droit de "la revue de presse" (le droit de reprendre sur un journal ce qui a été publié sur un autre auparavant). Un bon résumé juridique ici : http://www.adbs.fr/uploads/journees/564_fr.php .

Et sur le "panorama de presse" (reprendre le contenu d'un journal sur un autre support qui n'est pas un journal, intranet d'entreprise par exemple). Plus d'info ici : http://www.droit-ntic.com/news/afficher.php?id=112 .

On rappelle aussi que la presse belge s'est opposée à GoogleNews, sur la reprise de ses infos en ligne, sans autorisation et sans contrepartie, et qu'elle a gagné : cf. Libération :http://www.liberation.fr/actualite/medias/205481.FR.php .

Des contenus sélectionnés, donc édités !

Le jugement récent, sur l'affaire lespipoles.com (cf. Emmanuel Parody, sur Ecosphère : http://ecosphere.wordpress.com/2008/03/06/rss-jugement-lespipoles-condamnation/ ), clarifie en partie le débat....

Dans la cas de lespipoles.com, le juge a dit clairement que la reprise des flux RSS se faisait sur ce site comme un agencement de flux, sélectionnés en raison de leur thème. Donc c'est un acte éditorial, les pipoles.com a été considéré comme un éditeur, et jugé responsable.

Jusqu'où va l'apport "éditorial" d'un site d'agrégation en ligne ? Quelle est la frontière ? Il va falloir attendre les jugements, les uns après les autres, pour que cette frontière se dessine au cas par cas... Mais pour le moment , la logique des juges me semble imparable...

Dans le cas de wikio, par exemple ? Le classement des billets selon des critères de pertinences multiples (nombre de liens pointant vers eux, vote des lecteurs, etc. ET intervention humaine de documentalistes) ne relève-t-il pas d'un acte éditorial lui aussi ? Il parait difficile d'assimiler ça à un simple hébergement...

Il ne faut pas oublier que l'un des mérites de la loi sur la presse est d'obliger l'éditeur (celui qui diffuse les contenus qu'il a choisis) à rester solidaire avec l'auteur, le rédacteur... Ces deux-là sont liés (et ça protège le petit : l'auteur, face au gros: l'éditeur).

Ne se retrouve-t-on pas avec les agrégateurs face à des éditeurs, qui sélectionnent du contenu et le diffusent (et tirent au passage le bénéfice économique de l'audience qu'ils sont parvenus à drainer), mais refusent la responsabilité qui va avec, et la rejettent sur le petit auteur isolé en fin de chaîne ?

L'hébergeur, lui, ne cherche pas à créer du trafic vers les contenus qu'il héberge. Ce n'est pas son job, qui relève du simple stockage. L'agrégateur, lui, récupère ces contenus sur le net, les rassemble chez lui, selon sa formule secrète, et les rediffuse avec l'intention de fabriquer de l'audience.

Par la qualité de l'édition des contenus qui est faite (choix des bons mots-clés, choix de la bonne catégorie de rattachement, qualité "sémantique" de son moteur de recherche...), l'agrégateur va contribuer à accroître la diffusion d'un contenu. Il ne se borne pas à héberger ce contenu, il le re-publie, il le ré-édite, dans un autre cadre qui va changer l'ampleur de sa diffusion.

Dans la mesure où aujourd'hui, il semble de plus en plus évident que le passage par les agrégateurs sera de plus en plus incontournable à l'avenir, pour la diffusion des contenus en ligne, et que l'efficacité de ces agrégateurs est bien liée à la qualité de la "ré-édition" qu'ils appliquent à ces contenus avant de les re-publier, donc ils jouent bien un rôle d'éditeur (dans la même relation avec les auteurs que dans le domaine du livre...).

Puisqu'il faut bien que des garde-fous soient mis, je crois qu'il revient aux agrégateurs-éditeurs de le faire. Car c'est eux qui ont les moyens de le faire : ils ont les ordinateurs et la technologie logicielle, et ce sont eux qui tirent le revenu de la publication grâce à la publicité...

Jean-Marie Le Ray a dit…

@ Narvic,

Je suis sur le point de sortir, je n'ai donc pas le temps de réagir maintenant. Je dois plutôt prendre celui de réfléchir :-)
Ceci dit, ma première impression c'est que ton message aurait davantage sa place comme billet à part entière sur ton blog que comme commentaire sur le mien :-)
Ne serait-ce que pour lui donner la visibilité qu'il mérite.
@ +
Jean-Marie

Anonyme a dit…

@ Jean-Marie, tu avais raison. ;-)

Du coup j'ai pris le temps d'en faire deux longs billets sur mon blog, l'un sur la responsabilité des blogueurs, l'autre sur celle des agrégateurs de flux RSS, car la confusion règne, à mon avis, sur ces deux sujets actuellement sur bien des blogs. Même si les choses sont liées, les enjeux sont pourtant très différents.

Sinon, Jean-Marie, je ne suis pas sûr du tout que mes "billets longs" soient tellement plus lus sur mon blog que les tiens sur le tien, mais c'est la qualité de l'audience que nous espérons, pas la quantité, non ? ;-)

Jean-Marie Le Ray a dit…

Cédric,

Désolé, je viens juste de valider le commentaire, qui a failli passer à l'as !
D'habitude je reçois les notifications sur mon mail, pas cette fois !
Je l'ai déniché plus tard directement dans l'interface d'administration du blog.
Je suis d'accord sur la "conception anglo-saxonne", mais ma recherche a été motivée par mon désir de voir ce qu'on disait du sujet "ailleurs" qu'en France, vu que je ne suis pas absolument convaincu par tout ce que je lis ici et là.
J'attendais en outre le jugement pour faire un autre point sur la situation, donc il faudra encore attendre une semaine !
Mais l'argument est loin d'être clos. :-)
Jean-Marie