dimanche 3 août 2008

DNS : transition, pas transition, that is the question !

DNS : transition, pas transition, that is the question !

[MàJ - 17h30'] Entre la NTIA et l'ICANN, le torchon brûle...

* * *

Dès le "livre blanc" sur le DNS de 1998, la NTIA prend en compte la transition de la gestion du DNS aux mains du secteur privé, à tel point que la dernière section du document s'intitule :
THE TRANSITION

Based on the processes described above, the U.S. Government believes that certain actions should be taken to accomplish the objectives set forth above. Some of these steps must be taken by the government itself, while others will need to be taken by the private sector. (...) A relationship between the U.S. Government and the new corporation must be developed to transition DNS management to the private sector and to transfer management functions.
C'était il y a 10 ans.

Une transition apparemment jamais remise en cause jusqu'à présent, puisque la NTIA lançait une consultation sur le sujet il y a deux ans, à la veille du renouvellement du protocole d'entente (Memorandum of Understanding - MoU) entre l'ICANN et le Department of Commerce (DoC) des États-Unis :
The United States Department of Commerce’s National Telecommunications and Information Administration (NTIA) seeks comment on the continuation of the transition of the technical coordination and management of the Internet domain name and addressing system (Internet DNS) to the private sector.
Ce dont se félicitait Nominet il y a encore 6 mois :
It is clear that an eventual transition to private sector management was envisaged at that time (1998). From more recent public statements made by Department of Commerce senior officers, this appears unchanged.
Une position apparemment intacte jusqu'au revirement de situation de la semaine dernière ! Dont la violence et la soudaineté prennent tout le monde à contre-pied, me semble-t-il, aussi bien l'ICANN que les instances internationales (telles que la Communauté européenne, par exemple).

Alors pourquoi ce changement brusque ? Et pourquoi remettre en question de façon si brutale et unilatérale 10 ans de chemin parcouru dans le sens d'une transition souhaitée et souhaitable ? Je suppose qu'il est encore trop tôt pour que les premières réactions soient rendues publiques (même si ça doit s'agiter dans les couloirs), mais j'ai bien l'intention de suivre tout ça très attentivement.

En attendant je ne peux que m'interroger sur la légitimité du DoC de prendre unilatéralement, et avec tant d'arrogance, ce genre de décision.

Permettez-moi d'abord de répéter - et traduire, cette fois -, le dernier paragraphe de la lettre NTIA :
Le DoC croit fermement qu'il est important de préciser que nous n'avons engagé de discussions avec aucune des parties prenantes pour modifier les rôles respectifs du DoC, de l'ICANN ou de VeriSign au niveau de la gestion de la zone racine, pas plus que nous n'avons l'intention d'entreprendre de telles discussions. Conformément aux déclarations publiques faites par le gouvernement des États-Unis dès 2000, renforcées par le document de 2005 intitulé U.S. Principles on the Internet's Domain Name and Addressing System, le DoC, tout en restant ouvert à la mise en place de mesures opérationnelles efficaces pour répondre aux exigences légitimes des gouvernements en matière de politiques publiques et de problèmes de souveraineté liés à la gestion de leurs extensions pays, ne prévoit pas de transférer à l'ICANN la gestion et l'autorité sur la zone racine de l'Internet, tel que suggéré dans les documents du PSC.
C'est clair et net ! Non seulement nous n'avons engagé aucune discussion avec qui que ce soit, mais nous n'avons pas même l'intention de le faire...

Or dans la mesure où cette transition de la gestion du DNS aux mains de l'ICANN était prévue depuis 10 ans et même inscrite dans les fondements de sa mission (In the Statement of Policy, the DOC stated its intent to enter an agreement with a not-for-profit entity to establish a process to transition current U.S. Government management of the DNS to such an entity...), on ne peut que se demander quelles sont aujourd'hui la nature et la raison d'être de l'ICANN !

Le président de l'ICANN doit se le demander également, puisque Peter Dengate Thrush a eu beau rappeler dès janvier les termes mêmes du "livre blanc" :
The U.S. Government is committed to a transition that will allow the private sector to take leadership for DNS management…The U.S. Government would prefer that this transition be complete before the year 2000. To the extent that the new corporation is established and operationally stable, September 30, 2000 is intended to be, and remains, an "outside" date.
et qu'il y a eu pas moins de 13 rapports d'étapes en 9 ans sur les responsabilités contractées par l'ICANN et sur sa capacité à y faire face, il conclut par deux questions clés :
1. Is Transition still the goal?
2. What is the next step to transition?

(La transition est-elle encore le but, et quelle sera la prochaine étape ?)
en interpelant directement le gouvernement US :

- depuis 10 ans, nous avons rempli les missions que vous nous aviez confiées ;
- au terme de cette période et au terme du Joint Project Agreement de 2006 (ou accord conjoint de projet), sur le postulat de cette réussite, la gestion du DNS devait être transférée à l'ICANN :
The U.S. Department of Commerce (Department) has an agreement (the Joint Project Agreement) with the Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) for the purpose of the joint development of the mechanisms, methods, and procedures necessary to effect the transition of Internet domain name and addressing system (DNS) to the private sector.
Le JPA était un instrument nécessaire, mais maintenant, faute de conclusion, il risque laisser croire que c'est le gouvernement US qui gère et supervise le DNS au jour le jour :
But now, the JPA contributes to a misperception that the DNS is managed and overseen on a daily basis by the U.S. government.
Donc, en fait, la fin de non-recevoir opposée par la NTIA dans sa lettre répond sèchement aux deux questions posées par Peter Dengate Thrush, mais pas forcément dans le sens auquel on aurait pu s'attendre après 10 ans de cheminement.

Marche arrière, toute ! Sur quels motifs ? Avec quelle légitimité ? Déjà que dans cette histoire la légitimité de l'ICANN et du gouvernement américain est fortement contestée depuis le début, c'est pas la réponse de la NTIA qui va aider à clarifier les choses !

Dès 1999, lors d'une audition devant le Comité en charge du Commerce de la Maison Blanche, Jonathan Zittrain concluait ainsi son discours :
L'ICANN a hérité d'une situation extraordinairement difficile, où tout le monde en attend beaucoup alors qu'elle n'a qu'une infime marge de manœuvre sur les prises de décision.

ICANN has inherited an extraordinarily difficult situation, with high expectations all around, and with almost no discretionary room to move.
Et de mentionner trois alternatives possibles en cas d'échec de l'ICANN :
  1. Une nouvelle entité "fille de l'ICANN" chargée d'améliorer les points où l'organisation aurait failli - option jugée peu probable ;
  2. Une entité intergouvernementale, compte tenu de la nécessité pour le gouvernement US de ne plus faire bande à part (It is hard to imagine the U.S. government alone trying to continue domain name system management responsibilities for the very reasons stated in the White Paper) ;
  3. Laisser faire le marché (a battle would be fought by existing market players for control of the current root) - option tout à fait irréaliste aujourd'hui...
Donc, sur ces trois options, seule la seconde pourrait éventuellement être parcourue, puisque les deux autres n'ont plus absolument aucun sens.

Mais soit que l'on reconnaisse la réussite de l'ICANN et que le Doc lui transfère la gestion du DNS, soit que l'on reconnaisse son échec et qu'on opte pour la création d'une entité de gestion intergouvernementale (et inter-gouvernements), la conclusion est la même : le gouvernement des États-Unis ne peut plus faire cavalier seul !

Ou comment justifieraient-ils qu'après avoir dit et répété à maintes reprises la même chose pendant 10 ans, ils changent brusquement d'avis et décident unilatéralement d'étendre leur emprise sur Internet à la face du monde ?

Bof, apparemment, ils ne daignent même pas justifier leur revirement, la lettre NTIA en témoigne, qui dit juste entre les lignes : c'est comme ça, et pas autrement ! Même si...

Comme dit Martin, les bras m'en tombent. :-)

Pourtant s'ils ne comprennent pas seuls qu'ils ne pourront longtemps soutenir une telle position, intenable (y compris légalement), il faudra quand même bien que quelqu'un le leur dise et leur explique avec vigueur. Nous verrons. Notamment les réactions de l'Union européenne.

En tout cas, le dossier sera chaud pour le prochain Président des États-Unis...


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P.S. Rien ne va plus entre la NTIA et l'ICANN : suite au désastre RegisterFly, la réponse de la NTIA est franchement hostile vis-à-vis de l'ICANN, en se terminant sur cette phrase :
This will cause disruptions to DNS and those systems that depend upon the DNS’s continued uninterrupted operation associated with those domains.
Ceci explique cela ? Quoi qu'il en soit, cette lettre apporte des éléments de réponse à la remise à plat probable des relations NTIA - ICANN... [Début]

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3 commentaires:

Martin Lessard a dit…

Au risque de faire de moi un homme-tronc en poussant trop loin la métaphore, ce coup-ci j'en ai les jambes coupées!

Anonyme a dit…

Vous semblez très sûr de vous, lorsque vous dites «le gouvernement des États-Unis ne peut plus faire cavalier seul». Y a-t-il une raison juridique, financière ou technique qui le lui impose ? En tout cas, une raison autre que "sinon, ils seraient ridicules" ?

Parce que si les autorités étasuniennes jugent aujourd'hui, contrairement à il y a un mois, que leur sécurité nationale leur impose de reprendre le contrôle du DNS, et que techniquement (ou juridiquement), rien ne permet de les bloquer, je ne vois pas très bien ce qui les empêcherait de faire une chose pareille... Surtout pas de perdre la face !

Jean-Marie Le Ray a dit…

Hollydays,

Ça n'est malheureusement pas si simple qu'il n'y paraît.

La question n'est pas d'être sûr de soi ou pas, mais plutôt de répondre objectivement à celle-ci : Internet serait-il encore américain en 2008 ou mondial ?

Que les américains décident de faire cavaliers seuls, ils peuvent fort bien le faire, personne ne peut les en empêcher, pas même le risque de perdre la face, c'est clair.

Mais il y a d'autres risques, beaucoup plus réels : je vous invite à lire ce billet, et surtout sa conclusion : "In the case of root zone management, this insidiously brings legitimacy to alternate root projects."

En effet, le système racine actuel est loin d'être le seul possible (voir ici), et si les américains persistent dans cette voie contre vents et marées, tôt ou tard d'autres "racines" pourraient être mises en place, à commencer par les chinois...

JML