jeudi 10 mai 2007

GYM : une analyse

GYM : une analyse

Les indicateurs économiques
Le cool factor

Pour moi, la énième rumeur de rachat de Yahoo! par Microsoft est à mettre au compte des signaux sur lesquels il convient de s'arrêter et de réfléchir.

Dont acte.

Les trois acteurs en présence sont toujours les mêmes :
  1. Google
  2. Yahoo!
  3. Microsoft
Avec G d'un côté, et YM de l'autre.

Le premier caracole en tête, les deux autres suivent, tant bien que mal. Une troisième place qui n'est certes pas dans la nature de Microsoft. Et même si Terry Semel voudrait nous faire croire que les journaux ne racontent que des conneries, perso je préfère penser que le fait qu'un tel argument revienne cycliquement sur le tapis est bien le signe qu'il n'y a pas de fumée sans feu.

Et qu'il témoigne surtout de l'indécision, voire de l'égarement, de deux sociétés cherchant par tous les moyens à combler un retard qui ne cesse de croître. J'imagine que toutes deux sont conscientes qu'elles doivent trouver une forme d'accord ou de collaboration (Semel did make a call for his company and Microsoft to work together on Internet advertising standards) pour contrer Google, tout en sachant qu'une fusion entre deux cultures d'entreprises aussi différentes pourrait déboucher sur un échec retentissant. Sauf à créer une nouvelle entité en détachant MSN de la maison-mère, ce qui serait une bonne façon de faire du neuf avec du vieux et d'éviter une fuite des talents...

Car en réalité, la somme de deux échecs ne fait pas une réussite. Maintenant, dire de Yahoo! et Microsoft qu'elles ont échoué, vous allez me rétorquer que je divague, et pourtant les chiffres parlent d'eux-mêmes.

Ce que Steve Ballmer résume par une formule lapidaire :
Microsoft has the most visitors. Yahoo actually has people spending the most total time with them. And Google makes the most money.

Microsoft a le plus de visiteurs. C'est sur Yahoo que les internautes passent le plus de temps. Et c'est Google qui fait le plus d'argent (ou qui ramasse la mise, si vous préférez).
Donc si G s'en sort le mieux alors qu'il est devancé par YM (ne pas confondre avec ym...) en termes de fréquentation, les raisons de son succès doivent être cherchées ailleurs. Dans les ratios par exemple.

Or à nouvelle donne, nouveaux ratios : les indicateurs économiques servant à évaluer l'efficacité de GYM doivent être à la mesure ... de leur démesure. [Début]

* * *

Les indicateurs économiques

C'est d'ailleurs en lisant une analyse de Victor J. Cook Jr., intitulée Microsoft's $8 Billion Problem, que j'ai eu l'idée de ce billet.

En voici les principaux passages traduits avec son aimable autorisation.
Dans le marketing des entreprises, il y a deux marchés distincts, le marché pour les clients d’une part, le marché pour les capitaux de l’autre, et nous savons qu'ils interagissent. Les hausses de revenus générées par les ventes, qui sont la promesse d’une trésorerie plus abondante, se répercutent sur la capitalisation. Et une meilleure capitalisation impacte le chiffre d’affaires, en fournissant davantage de liquidités à l’entreprise pour financer sa croissance par le biais des acquisitions.

Le tableau ci-dessous, qui se base sur les données 2006, montre que GYM a généré un C.A. global de 61,3 milliards $ pour une capitalisation agrégée de 469,5 milliards $, soit un ratio Cap./C.A. moyen de 7,66. En termes simples, cela signifie que durant l’année dernière les trois sociétés ont globalement créé 7,66 $ de capitalisation pour chaque dollar de chiffre d’affaires.

Or mon étude sur le ratio Cap./C.A. [value/revenue (v/r) ratio] de toutes les entreprises cotées de 1950 à 2005 aboutit à un ratio moyen de 1,1, ce qui veut dire que sur le long terme C.A. et capitalisation s’équivalaient à peu près. Quant à l'écart type du ratio, il a constamment progressé, passant de 1,2 durant les années 50 à +70 sur la période 2000-2005, caractérisée par une volatilité majeure. En prenant un échantillon de 50 472 sociétés sur la décennie 1991-1999, la valeur moyenne du ratio était de 7,92. Par conséquent, la performance de GYM observée ci-dessus (7,66 pour l’année 2006) est plutôt modeste.

(…)

LA RÈGLE DE GERSTNER


La première chose à savoir pour mieux comprendre quel est le moteur de ces résultats, c'est quelle est l'efficacité marketing de chacune des trois entreprises. Dans son livre, Who Says Elephants Can't Dance?, Lou Gerstner (l’artisan de la relance d’IBM) nous donne un principe de base sur l'efficacité marketing d'une entreprise. Une règle simple et révélatrice à la fois : combien ça vous coûte de générer un dollar de C.A. par rapport à vos concurrents ? Ce qu'on appelle la règle du coût par dollar (CPD) de Lou Gerstner…

Quant aux coûts marketing de l’entreprise (EME - Enterprise Marketing Expenses), ce sont tous les coûts supportés en termes de ressources humaines et de programmes destinés à influencer le comportement des clients, des investisseurs, et leur façon de penser, d’agir et de sentir vis-à-vis d’une entreprise.


En 2006, Microsoft a dépensé 6,584 milliards $ en R&D, plus 13,576 milliards $ en frais de vente, frais généraux et frais d'administration (SG&A), qui incluent traditionnellement les coûts vente & marketing. Pour un total EME de 20,160 milliards $. Donc en divisant cette somme par le C.A. 2006, cela nous donne un CPD de 0,455 : il en a coûté à Microsoft 45,5 cents pour générer 1 dollar de C.A.

Or en appliquant le même calcul à Google (1,229 milliard $ R&D + 1,601 milliard $ SG&A / C.A.), le même rapport était de 26,7 cents / 1 pour la société de Moutain View, soit près de moitié moins !

Autrement dit, pour chaque dollar de C.A. généré, Microsoft a dépensé 18,8 cents de plus que Google. Rapporté au C.A. global 2006, cela signifie que Microsoft aurait pu économiser 8,3 milliards $ en ayant le même ratio de performance que Google.
D'où l'analyse de Victor J. Cook Jr., qui chiffre le problème de Microsoft à 8 milliards de dollars. CQFD !

Dans un autre ordre d'idée, je me suis amusé à calculer la productivité par employé chez GYM, en divisant le C.A. par les effectifs (source : WSJ).


Résultat, là encore, Google fait 50% mieux que Microsoft (868 852 $ contre 579 085 $ par personne). Donc, je veux bien qu'à l'occasion on puisse faire dire aux chiffres tout et son contraire, mais parfois leur froideur donne une image assez fidèle de la réalité.

Or dans les trois cas ci-dessus, YM se situe dans la moyenne, alors que G s'en détache nettement. Et bien que Yahoo! et Microsoft aient d'excellentes performances (quelle n'est pas l'entreprise qui aimerait se vanter d'avoir des résultats pareils ?), Google est largement devant avec un différentiel énorme lorsque l'on parle d'hypercompétition... [Début]

* * *

Le cool factor

Pour autant les statistiques n'expliquent pas tout, y compris l'engouement et la préférence des internautes pour Google, qui sont plutôt à mettre sur le compte de ce que les anglo-saxons appellent le "cool factor", que je traduirais par "capital sympathie", une notion totalement étrangère à Microsoft et qui ne peut certes pas s'acheter, même avec quatre fois plus de liquidités que son concurrent !

Le capital sympathie de Google

Outre ses fameux intemporels, je dirais que le principal attrait de Google est l'ouverture, à quoi Microsoft oppose une conception propriétaire farouche qui fait de nous des clients captifs. Or avoir des clients captifs, c'est bon pour les monopoles, mais dès que ceux-ci tombent, les clients s'en vont. Et la legacy des produits Windows, Office & Co, même si elle se fait encore sentir, et comment, a de plus en plus tendance à se dissiper.

Observons deux signes qui ne trompent pas, l'un chez Google, l'autre chez Microsoft.

1. Dans GMail (dont je recommande vivement l'utilisation à quiconque), lorsque je reçois un document Word, Google me propose soit de le télécharger, soit de le voir en HTML, soit de l'ouvrir dans Google Docs, et c'est gratuit.


2. En revanche si un collègue m'envoie un fichier .docx, .xlsx ou .pptx. (nouvelles extensions d'Office 2007) je ne peux pas les ouvrir avec mon actuelle version de Word, Excel ou Powerpoint. Il faut juste que je passe à la caisse. Et pourtant j'ai déjà payé. Consternant ! À ce compte-là, je préfère de loin adopter OpenOffice qui m'offre gratuitement des fonctionnalités identiques, et se paie même le luxe de mieux gérer les gros fichiers que Word, j'ai eu l'occasion de le constater à maintes reprises.

Ceci étant, bien que ma seule hâte soit d'écarter définitivement les produits Microsoft de mon ordinateur, je ne le fais pas - encore - pour une autre raison. En effet, ce ne sont pas les applications bureautiques qui me freinent, c'est le système d'exploitation. Aujourd'hui Windows XP, et demain très probablement Vista. Pourquoi ? Parce que je ne suis pas suffisamment geek pour passer à Linux et aux logiciels libres, dont l'utilisation demande - encore - une expertise informatique que je n'ai pas. Et malheureusement je ne connais pas d'autre alternative à ces deux OS.

Donc pour finir, si j'avais un conseil à donner aux compères Brin, Page & Schmidt, ce serait de nous sortir vite fait un système d'exploitation signé Google, qui nous changerait par sa qualité, sa simplicité, sa rapidité, sa gratuité, son universalité, son originalité et son interactivité. Selon moi, ce serait vraiment la killer app pour se débarrasser définitivement de Microsoft.

Car aujourd'hui ce n'est pas tellement d'une connexion dont ont besoin les internautes qui se branchent via leur ordi, ce serait plutôt d'un système d'exploitation léger qui les libérerait de l'usine à gaz Microsoft. C'est selon moi le plus gros obstacle à la percée du webtop, car la firme de Redmond nous tient captifs bien plus par son OS que par ses applications de bureau, de jeu ou tout ce que vous voudrez.

Et dans la transition du desktop au webtop et, demain, au mobtop, le premier acteur qui sortira un système d'exploitation ayant une prise en main intuitive et conviviale décrochera un avantage phénoménal sur les autres.

Enfin, c'est mon avis. Un bel atout à jouer pour Yahoo! Qu'en pensez-vous ? [Début]


Liens connexes :
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6 commentaires:

Anonyme a dit…

Cite:
"Et malheureusement je ne connais pas d'autre alternative à ces deux OS."

"un système d'exploitation léger qui les libérerait de l'usine à gaz Microsoft"

Moi j'en connais un: Ubuntu.

Jean-Marie Le Ray a dit…

Ubuntu, je veux bien, mais faudrait en dire davantage aux ignorants comme moi.
Concrètement, je vire Windows XP et j'installe Ubuntu. Et après, toutes mes applis, les programmes les plus communs, etc., je peux les faire tourner de façon facile et intuitive ou je dois passer des heures et des heures à bidouiller, à planter le système pour tout recommencer, etc.
Combien y a-t-il d'utilisateurs d'Ubuntu, y a-t-il une communauté de développeurs assez importante, le système est-il localisé, etc.
Je veux bien faire des recherches pour m'informer, mais si on me donne des pistes pour commencer, ça peut aider :-)
J-M

Jean-Marie Le Ray a dit…

Réponse :

(je ne sais pas ce qui se passe, j'ai voulu publier mais Blogger me dit que le commentaire est déjà modéré et pourtant il n'apparaît pas. Mystère !)

« D'abord, tu n'es pas obligé de virer Windows XP, tu peux avoir les 2 OS en dual root: tu choisis au démarrage soit XP soit Ubuntu.
Ensuite, Ubuntu s'adresse avant tout aux débutants (comme moi) qui découvrent Linux. Il n'y a aucune difficulté particulière d'installation, et d'utilisation. Tu peux facilement trouver de l'aide sur le net, par exemple sur Ubuntu. J'ai hésité au début, et finalement, je ne le regrette pas, et j'envisage même de me débarrasser complètement de Windows! »

Très intéressant, merci du conseil. Je vais bientôt mettre à jour mon ordi et je crois que je tenterai l'aventure.
J-M

Anonyme a dit…

Ce qui bloque les gens sur microsoft comme système d'exploitation c'est aussi que 1. la plupart des applications du commerce sont fournies avec des logiciels qui ne tournent que sur Windows (appareil photo, PDA, logiciels de transfert de donnée sur un téléphone) 2. les jeux sont sur PC

si un acteur tel que google par exemple, s'appropriait une distribution de linux, il y aurait beaucoup plus de logiciels grand public tournant sur linux, et linux sortirait complètement du monde des geeks.

et microsoft aurait très mal... d'ailleurs quelques articles sont sortis l'an dernier sur une distribution linux que préparerait google (goobuntu !)

et DELL va commencer à vendre des PC équipés linux (ubuntu aussi, je crois)

Anonyme a dit…

Sinon il existe MacOS, système simple et supportant de nombreux logiciels (et de plus en plus de jeux).

Mais là dépendance n'est plus logicielle mais matérielle :D

Rq : On peut faire tourner MacOS X sur PC, mais l'installation est parfois un peu complexe.

En ce qui me concerne, j'ai du mal à quitter Windows, du fait d'une grande habitude de mes programmes, passer sur un autre OS, me ferait perdre beaucoup de temps pdt la phase d'adaptation.

Par ailleurs, merci Jean-Marie pour cette bonne analyse de Yahoo/Google/MS, je vais en parler :D

Anonyme a dit…

Bonsoir Jean-Marie,
en voilà un long post comme on les aime ! Et paf, du coup un long commentaire.

. A propos de l'OS, il y a toujours Mac OS qui fait de la résistance. Certes elle prend l'eau puisque désormais l'OS de Microsoft est installable sur les machines Mac, mais dans l'idée, cela reste tout de même une vraie alternative d'OS.

. Je vois deux sujets dans ton post : d'un coté la compétition "money" entre les GYM, et un éventuel OS Google.

Pour le premier point : je compare moi aussi régulièrement ces trois acteurs du web, mais au fond, hormis leur place sur le podium des services les plus utilisés au monde, ils n'ont plus grand chose à voir. Ce qui est bizarre c'est qu'ils font tous plus ou moins la même chose mais avec des objectifs finaux très différents.
Depuis l'arrivé de Tery Semel Yahoo se positionne en tant que média.
MSN se place en tant que fournisseur de services.
Et Google en tant que place de marché publicitaire.

Résultat : on retrouve tes chiffres : Yahoo toutes thématiques confondues (entertainement, finance, etc) est leader en temps passé, MSN en fréquentation via Live Messenger (ex MSN) et Live Mail (ex hotmail) et Google en chiffre d'affaire généré, aussi bien en brut que filtré via des critères.

Ceci dit, l'impression que me donne Yahoo n'est plus d'aller chercher Google sur son terrain, mais plutôt d'aller chercher les nouveaux usages des internautes. C'est ce qui a déclenché ses rachats de services web 2.0 depuis plusieurs années (del.icio.us, flickr, konfabulator, etc).

Du coup, après avoir tenté de rattraper son retard en relancant Yahoo Panama et autres services "google like", Yahoo passe par la porte de derrière et profite de son joli matelas financier pour prendre son temps en se plaçant sur des services. A ce sujet, je t'invite à lire mon (excellent :o) billet sur les stratégies de rachats Yahoo versus Google (http://www.chouingmedia.com/blog/20070305/strategies_de_rachats__yahoo_vs_google).

Je t'invite aussi à prendre contact avec Leafar (http://ulik.typepad.com/leafar) qui a analysé de façon intéressante le nouveau-futur-éventuel positionnement de yahoo autour de l'identité numérique.

Par contre, pour répondre à ta question, pas sûr que Yahoo se lance dans un WebOS. Mais sur le mobile Yahoo One pourrait peut etre évoluer vers un OS plus complet.