Ce titre pourrait être sous-titré : « De la liberté d'interpréter en traduction », voire « De l'absolue nécessité de jouer avec les mots en traduction ».
Une traduction, c'est comme un poème, un puzzle où chaque mot est un morceau qui s'insère à sa place, et qui plus est où chaque mot n'a qu'une place. Dans l'idéal...
Dans la pratique, on force souvent sur un mot pour le faire entrer dans la phrase, même si ça manque de naturel. Je reprends mon titre en exemple, tiré d'un article anglais de B.L. Ochman intitulé :
Analysons ce titre et différentes possibilités de le traduire. Découpons-le pour commencer :
« How To Write Killer Blog Posts And More Compelling Comments » véhicule essentiellement les concepts suivants :
L'idée force qui m'a accroché dans ce titre, c'est « Killer Blog », et je me suis d'abord attaché à rendre cette idée en français, dont on a un parfait équivalent avec « le blog qui tue » : 321000 résultats sur Google sans guillemets, 1360 avec guillemets et 4140 pour "blog qui tue".
Donc mon premier défi était de faire rentrer tous les concepts portés par l'original en conservant mon "blog qui tue" en français, puisque la notion est largement reconnue, acceptée et utilisée. Pas autant que "killer blog", certes, mais quand même...
Le verbe, maintenant. Write, "écrire", auquel j'ai préféré "rédiger", qui traduit admirablement "How to write", puisque "rédiger" signifie, selon le dictionnaire, « écrire d'une certaine manière », et encore « écrire sous sa forme définitive ».
Triple avantage :
- en un mot on traduit l'adverbe « comment » (how to),
- on donne l'idée de complétude implicite dans le titre anglais (pourrait-on écrire un "killer blog" or "comment" qui ne fût pas d'un sens achevé ?)
- last but not least, à la réflexion, on vire le comment qui fait double emploi, phonétiquement, avec commenter (commentaire) : pourrait-on sérieusement proposer par écrit "comment commenter" ?
Dans ma première version du titre traduit, j'ai laissé le comment car il introduisait la question : à tort ou à raison, il m'avait semblé qu'écrire « Rédiger un blog qui tue, des messages qui impactent, des commentaires qui captivent ? » en confiant au seul signe de ponctuation le soin de marquer l'interrogation était moins explicite.
Variante : j'aurais pu choisir aussi "poster", qui devient à la mode avec cette acception (voir ici et là), mais je le trouvais trop restrictif dans le cas présent.
Bon. Ensuite il y a le "and", qui lie les deux parties de la proposition en indiquant qu'on a les "posts" d'un côté et les "comments" de l'autre, les deux étant légèrement différents puisque, en principe (je dis bien en principe, car on peut toujours poster sur un blog hôte), on écrit "son" blog et on commente le blog de "l'autre".
Théoriquement, disons qu'avec l'écriture du message original (le "post" lui-même) on est dans le monologue, alors qu'avec le commentaire on est dans le dialogue (on répond généralement aux commentaires des autres).
Enfin on a le "compelling", très in dans le langage marketing anglo-saxon, puisque c'est lui qui est censé vous faire passer à l'acte, vous forcer la main et l'entendement, l'incitateur qui subjugue, irrésistible...
Maintenant qu'on a les principaux éléments de sens qui forment l'original, voyons comment rendre ça en français.
Primordial, en me focalisant sur le "blog qui tue", c'est tout mon titre que je conditionne, surtout par la présence du pronom relatif, qui. D'où mon choix de répéter trois fois la même structure : article + nom + pronom relatif + verbe :
- un blog qui tue
- des messages qui impactent
- des commentaires qui captivent
La répétition est souvent utilisée en langage publicitaire, ou, pour mieux dire, la redondance, justement parce qu'elle permet d'insister, de marteler, d'asséner (compel)...
Voilà, je vous fais grâce du choix des verbes et d'autres menus détails, pour en arriver à ma première solution :
Comment rédiger un blog qui tue, des messages qui impactent, des commentaires qui captivent ?
Si vous avez eu la patience de suivre mon explication jusqu'ici, vous aurez peut-être la curiosité de cliquer sur le lien pour lire tout l'article.
Juste une parenthèse : ce lien conduit à un autre blog, intitulé Adscriptor (Ads & Marketing Translator), que j'ai ouvert expressément pour écrire et parler des traductions, et dont le champ d'action sera plus limité que celui de Site Log.
Question : quelle est l'impression que vous laisse le titre ? Personnellement, elle se résume en un mot : lourd !
Formellement correct, sans perte de sens, mais lourd. Pas marketing pour un sou. Or ce serait quand même le but recherché. Mais comme je le précise en début de message : « Le titre n'est pas de moi » (ce qui ne veut sûrement pas dire qu'il n'est pas bon en anglais), et nous sommes dans un atelier de traduction, un laboratoire pourrait-on dire, fait pour expérimenter, chercher des solutions, tâtonner.
Dans ma tête j'ai donc repris le titre, initialement par des voies détournées, mais surtout parce qu'il me laissait un arrière-goût d'inachevé, je l'ai malaxé, j'ai changé les mots, etc., je vais pas vous en raconter la genèse, juste l'aboutissement :
Verbes, actions, significations.
Ça c'est mon titre ! Ciao,
Jean-Marie Le Ray
P.S. Toute cette digression pour un titre, franchement, on pourrait penser que j'exagère. Que nenni ! Mon but est seulement (d'essayer) d'expliquer la réflexion, longue et articulée, qui se cache derrière le choix des mots. Il n'y a jamais de choix innocent, ni pour le traducteur ni pour la traduction, et s'il en faut tant (temps !) pour trouver 5 mots, imaginez 100 pages !
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2 commentaires:
Y a-t-il une raison pourquoi vous avez opter pour l'ajout d'un point d'interrogation? Le "How To" anglophone me semble employé comme "Optimize Your Blog In 10 Easy Steps" et non comme une interrogation, car le texte est écrit sous forme prescriptive et non comme une suggestion ("Faites cela" au lieu de "Il serait préférable de faire cela").
Bonjour Simon,
Bonne question ! La traduction est toujours une affaire de détails...
A dire le vrai, plus de deux ans après avoir rédigé ce texte, je ne me souviens pas avec une certitude à 100% de mes motivations originales.
Toutefois, la réponse qui me vient le plus spontanément est que généralement, en français, "Comment" introduit une interrogation.
Ceci dit, la chose dont je me souviens avec certitude, c'est que je n'étais pas satisfait du titre traduit en français, raison à l'origine de ce second billet dans lequel j'ai trouvé le titre qui me satisfaisait pleinement, et aujourd'hui encore : "Bloguer, commenter : rédiger, impacter, captiver !"
Jean-Marie
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