lundi 8 septembre 2008

LCEN : entendons-nous sur les mots !

LCEN : entendons-nous sur les mots !

Commentaire de Guillaume :
Ce qui me fait le plus froid dans le dos dans cet extrait du rapport de la commission, c'est l'extrême confusion entre hébergeur et éditeur. Je pense que le législateur y gagnerait s'il daignait utiliser (ou à défaut, créer) un vocabulaire qui reflète les réalités d'Internet.

Et la reprise de termes aussi vides de sens (ou plutôt de véritables auberges espagnoles numériques) comme Web 2.0, me laisse vraiment pantois.
Citation que je mets en relation avec celles-ci, d'une teneur diamétralement opposée, signées Fantômette, avocate de son état (si j'ai bien compris, car après avoir lu la centaine de commentaires du billet en question, je ne suis plus sûr de rien:-). Ici :
... Je pense pour ma part que le code civil donne moins de définitions qu’il ne fixe de principes, et naturellement, nous sommes partis pour ergoter sur le sens du mot définition, dans une plaisante mise en abyme qui va nous contraindre à définir le terme « définition ».

Votre acception implicite du terme me semble tout de même assez large.

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. » L’article 1134 ne propose pas une définition, il détermine un principe, celui de la force obligatoire du contrat.

Derrière l’idée de définition se cache l’idée d’une circonscription, de la fixation de limites. On définit une notion en en traçant les frontières, qui la séparent de ce qui n’est pas elle. Définir borne l’espace défini. Derrière l’idée de principe, je distingue du mouvement, une temporalité, une causalité, bref, en un mot, une direction.

Ceci dit, vous avez raison, on trouve des définitions dans le code civil. Plus que je ne le pensais, d’ailleurs, j’ai été y rejeter un petit coup d’œil (dont acte). L’article 1101 pose une définition : «Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose».

Les termes définis sont ensuite réutilisés pour formuler des principes (article 1134), que je qualifierai à la fois de fondamentaux (dans le sens où ils sont un point de départ) et de directeurs (ils donnent une impulsion, un sens, ils déterminent un raisonnement qui est déjà sur sa lancée).

Les principes permettent ensuite de définir un régime de responsabilité dérivant de leur violation : 1146 et s.

La LCEN définit des termes qu’elle veut utiliser. D’accord pour admettre que cela n’est pas illégitime (...).

Pour la clarté du propos, si je puis me montrer optimiste, voici le bout d’article 6 en question :
«Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible.
L'alinéa précédent ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l'autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa.»
Tout d’abord, nous ne comprenons pas bien si le législateur définit un acteur ou une activité. Le début de sa phrase («les personnes qui…») fait penser qu’il définit un acteur, de même que le titre du chapitre II : «les prestataires techniques». En réalité, il définit plutôt une activité.

Je pinaille un peu, mais en fait, certains commentaires critiques de la jurisprudence Fuzz/lespipoles, m’ont fait penser que cette rédaction maladroite contribuait à l’incompréhension. M. X ou la société Y n’a pas vocation à rester hébergeur sous prétexte qu’il se définit globalement comme tel depuis toujours. Sur un seul et même site, un seul et même prestataire peut éditer un contenu et en héberger un autre. Il peut donc parfaitement cumuler les deux régimes de responsabilité.

Ensuite, le législateur poursuit, sans désemparer ni même mettre un point, et passe à la partie «fixons un régime restreint de responsabilité pour l’hébergeur». Je me demande si, pour faire le parallèle avec les articles cités ci-dessus relatifs au droit des contrats, il ne nous manque pas une étape, celle qui fixerait un principe directeur et nous aiderait peut-être à trancher entre «l’approche contenu/victime» et «l’approche système», pour reprendre votre idée.

(...)

Alors, à cet égard, quid du prestataire de service sur internet dont l’activité consiste à agréger des flux RSS ? Ces flux, il les choisit selon une thématique donnée, il les classe, il les met en valeur, il les nomme et y facilite la navigation, en un mot, il les présente. Volontairement. Il participe de leur publicité. Volontairement.

Il y a donc bien un fait propre au prestataire, qui ne me semble pas très éloigné du fait que l’on peut reprocher au gardien d’une chose, sur le traditionnel fondement de la théorie du risque créé. Tout risque créé par une chose oblige son gardien à réparer un éventuel dommage provoqué par cette chose.

Pour simplifier : vous prenez un risque et en faites courir un à autrui, c'est votre droit. Mais faites attention. Faites VRAIMENT attention. Si du fait de votre activité, un dommage survient, il ne vous suffira pas de venir pleurer "c'est pas ma faute". Vous assumerez les conséquences.

Et la référence par la jurisprudence de Nanterre aux profits commerciaux retirés de cette activité serait une sorte d’application du principe « Ubi emolumentum, ibi et onus esse debet », où est le profit, là est la charge.

A côté de cela, dans le prolongement de ce principe, limiter le contentieux et le montant des condamnations est parfaitement envisageable.

Pour commencer, une limitation de la responsabilité au risque tel qu’il aura raisonnablement pu être évalué au préalable, voilà qui serait sensé et peut-être de nature à éviter certaines procédures abusives. Ainsi, l’intégrateur de flux d’un site people prend raisonnablement le risque de voir figurer sur son site des informations de nature à violer la vie privée des people qu’il souhaite parasiter, c’est évident. Lui demander d’assumer le risque qu’il prend librement, et dont il entend tirer profit, ne me semble pas immoral. L’intégrateur de flux d’un site de tricot qui verrait une information relative au mariage imminent d’une actrice ratée et d’un chanteur minable, pour ravageur que soit le scoop, ne pouvait être raisonnablement être prévu.
Vous avez compris ? Bon, OK. Respirez, Fantômette poursuit. :
L'erreur, qui me semble avoir été commise par le législateur avec la LCEN, et que les contempteurs de cette loi et de la jurisprudence qui en découle préconisent en réalité d'agraver, consiste à vouloir trop décrire l'internet dans la loi.

On commence par dire éditeur, hébergeur, et bientôt, on se retrouve avec des intervenants qui ne sont pas franchement l'un, pas franchement l'autre. Faut-il créer de nouvelles catégories ? C'est prendre le risque de courir longtemps derrière la pratique, sans jamais la rattraper, ou jamais bien longtemps.

On a vécu tout de même assez longtemps sur nos vieux fondements de responsabilité civile, alors que leurs domaines d'application ont considérablement variés dans le temps. La différence était que ces fondements là ne fixaient que des principes directeurs de responsabilité, et ne cherchaient pas à décrire la réalité des domaines d'activité dans lesquels ils prévoyaient d'intervenir.

La question de la maîtrise : maîtrise, défaut de maîtrise, renoncer délibérément à la maîtrise, perdre la maîtrise, maîtrise a priori, maîtrise a posteriori... me semble potentiellement constructive. Intuitivement, j'aurai tendance à y voir ici en germe l'élaboration d'un principe directeur.

Et cette question paraît compatible avec l'idée sous-jacente à la distinction légale éditeur-hébergeur qui plus est. De sorte que cette question devrait au moins nous offrir une grille de lecture de la jurisprudence, avec un peu de chance.
Elle s'accorde toutefois « sur la complexité à saisir l'internet par le Droit. »

Optimiste, Fantômette ! La pôvrette (ça rime :-) ! Remarquez, faut la comprendre, car en matière de clarté, elle maîtrise parfaitement le sens du mot clair ! Tout comme Eolas voulant prouver en itérant les arguties oiseuses qu'en aucun cas lacunaire ne signifie "qui manque de clarté" !!!

Mais de qui se moquent-ils, ces baveux ! Sont-ils les copies conformes des politiques vus par Coluche : vous leur posez une question, une fois qu'ils ont fini d'y répondre, vous avez déjà oublié le sens de la question que vous leur aviez posée !

Est-ce trop prétendre que d'oser demander une loi qui définirait clairement ce dont elle parle ? Et ce sur quoi les trois pouvoirs (mais pas uniquement, les autres suivent...) vont se baser pour que s'instaure la dialectique du Droit (avec un D majuscule, et j'emmerde les pisse-froid à qui ma lettre capitale déplaît) ? La dialectique citoyenne ?

On croît rêver ! Nul n'est censé ignorer la loi ! C'est pas moi qui le dis, c'est écrit partout aux frontons de vos tribunaux, ou ailleurs, les pinailleurs corrigeront. Donc expliquez-moi comment il serait possible de ne pas ignorer la loi sans D'ABORD se mettre d'accord sur les mots dont est faite cette même loi ? Sauf à reconnaître dans un murmure étouffé, que tout cela est délibéré pour maintenir le bon peuple dans son état de bienheureuse ignorance, mais chut !, faut pas le dire.

Non, disons plutôt qu'en voyant comment Eolas et sa clique mettent un point d'honneur à vouloir me démontrer par A + B que manquer de clarté n'a rien à voir avec lacunaire, qui n'a lui-même rien à voir avec incomplet, etc. etc. (les explications capillotractées du Maître sont ici), on se dit que question clarté, c'est pas gagné d'avance !!!

Bien. Ce court préambule étant posé :-), voyons ENFIN les différentes "définitions" que nul n'est censé ignorer connaître, hormis les législateurs, les juges ET les avocats.

La seule "définition" que donne la LCEN, lacunaire, ou incomplète, ou qui manque de clarté (au choix, rayer la mention inutile), est celle de l'hébergeur.

De l'éditeur, elle le mentionne quelquefois, mais reste totalement lacunaire, ou incomplète, ou qui manque de clarté (au choix, rayer la mention inutile), sur ce qu'est censé être - ou faire - un éditeur !

Article 6

III. - 1. Les personnes dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne mettent à disposition du public, dans un standard ouvert...


Donc, si je m'en tiens à cette non-définition de l'éditeur, c'est la personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne...

J'édite, donc je suis éditeur. C'est clair, n'est-ce pas ?

Ou si vous préférez, je suis éditeur, donc j'édite. Même Descartes y perdrait son latin. Ça me rappelle un peu l'histoire de la poule et l'œuf...

Il faut donc lire le rapport pour avoir davantage de précisions, mais si peu :
Aux termes de l’article 6, est éditeur la personne qui « édite un service de communication en ligne », à titre professionnel ou non, c’est-à-dire la personne qui crée ou rassemble un contenu qu’elle met en ligne.
La personne qui crée ou rassemble un contenu qu’elle met en ligne : précision utile, et de toute évidence nécessaire, voire imposée, suite à la condamnation de plusieurs blogs et agrégateurs dans différentes affaires "people".

Des agrégateurs dont il est dit que ce sont « des logiciels nouveaux », qui « offrent une lisibilité nouvelle aux éléments mis en ligne. Pourquoi ? D’une part, ils offrent un classement par rubrique sous lesquelles les internautes vont mettre leurs contributions. De l’autre, ils comportent un dispositif de visibilité de ces contributions. Plus une contribution est consultée, plus elle apparaît tôt dans le classement. Les contributions les plus regardées du moment se trouvent ainsi très accessibles, dès la page d’accueil du site ou de la rubrique. »

Le rapport précise également la "tentation de définir des cas où l’hébergeur devient éditeur", et celle "d’accroître les responsabilités des hébergeurs", en introduisant ensuite une distinction, censée élargir la définition actuelle de l'hébergeur pour mieux en cerner les responsabilités : les sites collaboratifs et les sites de ventes aux enchères.

C'est tout. Ce n'est certes pas encore suffisant pour cerner les réalités du Web 2.0, mais c'est déjà un premier pas. En attendant mieux. Car la distinction fondamentale se base toujours sur le binôme hébergeurs-éditeurs, mais sans jamais clairement "définir" ce que sont - ou ce que font - les éditeurs. Probablement pour laisser le champ libre aux interprétations. On a vu ce que ça donne.

À mon avis ils auraient grand profit à lire ce passage de la réponse de la Ligue ODEBI à la consultation publique sur le bilan de la LCEN et ses perspectives :
Éditeurs

La LCEN a défini et imposé un statut de directeur de la publication, par analogie avec un statut existant pour les anciens médias.
L’idée sous-jacente, la notion de responsabilité en cascade, est “qu’il faut bien que quelqu’un paye”…
Peu importe le critère que l’on utilise pour définir l’activité éditoriale: le concept même est totalement inadapté aux lieux d’échanges communautaires, quels qu’ils soient, et aux techniques actuelles, tel que la syndication. La règle doit être simple: un lien est neutre et nul ne peut être être responsable du contenu situé derrière ce lien, si ce n’est l’auteur de ce contenu. Le juge ne doit s’adresser qu’à l’auteur de ce contenu, et à personne d’autre.
Que ce soit sur un forum, un blog, ou tout lieu participatif ouvert, il n’est pas acceptable que l’on désigne un directeur de la publication/bouc émissaire devant payer pour les actes d’autrui.
On notera la difficulté, et pour cause, de la police à désigner un tel bouc émissaire dans l’affaire Indymedia Lille/direction zonale nord CRS, qui est une première dans l’histoire: c’est quand même la première fois qu’une compagnie de CRS attaque un site web…[10]

Par ailleurs, si nul n’est censé ignorer la loi, force est de constater qu’une grande maîtrise des textes et de la jurisprudence est nécessaire pour exercer une activité de contrôle éditorial: ce fait est confirmé par le projet de codification du droit de la communication présenté par le conseil d’état en novembre 2006 [11], une des justifications du projet étant la nécessité de rendre la loi accessible à tous, ce qui n’est pas le cas à ce jour, et est néanmoins un objectif constitutionnel.
De fait, seuls les acteurs disposant de moyens humains et financiers importants peuvent donc exercer un contrôle éditorial sans trop de risques. Tous les autres acteurs: associations, citoyens, n’ont pas les moyens d’assurer cette responsabilité pour des lieux participatifs et ouverts. Une telle inégalité imposée par un texte inadapté n’est pas démocratiquement acceptable.
La notion de responsabilité en cascade empruntée aux anciens médias n’étant pas compatible avec les nouveaux lieux d’échange et d’expression, l’obligation de nommer un directeur de la publication doit être supprimée.

Q3: Les règles de responsabilité “limitées” sont injustifiées: seul le juge indépendant et impartial peut juger et censurer un contenu.
Impliquer d’avantage la responsabilité des hébergeurs est totalement inacceptable. Imposer par exemple une obligation de surveillance des contenus d’une part reviendrait à changer les hébergeurs en milices privées, et d’autre part est totalement irréaliste matériellement et techniquement au regard du volume et de la rapidité de publication.
Un droit de regard d’un intermédiaire technique sur la liberté d’expression des citoyens est inconcevable dans une démocratie.
Un hébergeur n’a pas à juger de la qualité d’un contenu, et n’a aucun rôle à exercer à ce sujet.
J'entends déjà les tenants de tous bords de l'orthodoxie doctrinaire pousser des cris d'orfraie...

Mais qu'à cela ne tienne. Si vous souhaitez exercer vos talents, commencez par nous donner une définition de que sont aujourd'hui :

1. les hébergeurs
2. les éditeurs
3. les agrégateurs
4. les sites de ventes aux enchères

Pas de définition ? Uniquement des principes directeurs ? Aucune objection, votre Honneur ! Mais alors qu'ils soient suffisamment clairs pour que leur interprétation ne débouche pas sur, les rapporteurs dixit : des jugements qui « proposent parfois des solutions discordantes les uns par rapport aux autres. »

Ce qui serait vraiment la moindre des choses pour la Justice, convenez-en.


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