vendredi 2 mai 2008

Le Web dans les nuages

Le Web dans les nuages

Pendant que les français, sûrs de leur bon droit, brident les énergies du Web à coup de procès et envisagent d'interdire purement et simplement aux "pirates" l'accès à Internet (qui devrait pourtant faire partie des droits inaliénables de tout citoyen, monsieur le petit père castrateur), les américains inventent l'avenir : le Web dans les nuages, ou Cloud computing.

Pendant que les français oublient que les inventeurs du Web, Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, renoncèrent il y a 15 ans (1993) à percevoir des royalties sur leur "invention", offerte au domaine public (sans quoi le Web tel qu'on le connaît aujourd'hui n'existerait pas), les américains joignent leurs efforts pour conquérir ce qu'ils considèrent être le futur modèle dominant de l'ingénierie matérielle et logicielle du 21e siècle, le cloud computing, ou l'informatique distribuée via des grilles de calcul (grid computing) à l'échelle de la planète.

Déjà en 2007, Google et IBM renforçaient leur partenariat dans ce domaine, et une fusion Microsoft-Yahoo augmenterait considérablement ce qu'Hervé Le Crosnier appelle le vectorialisme, qui définit ainsi le cloud computing :
disposer d'une force de frappe informatique (réseau + serveurs + mémoire + logiciels "as a service") pour offrir des services aux particuliers (dépôts photo, logiciels de productivité,...) et les capter dans l'univers d'un des vecteurs. Attention, on n'est plus dans l'époque des "mainframes", le nombre d'usagers ne se limite pas à des "grappes de terminaux", mais se compte en millions...
Oublions un instant les éternels fiancés Microsoft (toujours extrêment actif dans les data centers) et Yahoo! (social, viral et convivial, très impliqué dans Hadoop...), mais rappelons que si Google disposait d'un parc autour du million de serveurs à l'été 2007, ses investissements dans de gigantesques centres de données ont fait un bond énorme au premier trimestre 2008, alors même qu'IBM vient s'installer en Europe !

Et les deux compères (qui ont un autre point commun de taille : leur rivalité avec Microsoft) n'hésitent plus à envisager la réalisation conjointe d'un "réseau mondial de serveurs" :
IBM and Google plan to exploit their common technological world view and considerable talent to build a worldwide network, or cloud, of servers from which consumers and businesses will tap everything from online soccer schedules to advanced engineering applications.
Nous sommes loin du parc de 400 serveurs, éventuellement extensible à 4000, annoncé l'année dernière...

Tout cela présage donc une nouvelle révolution dans de nombreux domaines : SaaS, HaaS, stockage en ligne des données (et vu les volumes attendus...), télécommunications, Internet des choses, etc.

Juste pour donner un exemple de la puissance du grid computing, voici quelques infos sur la grille de calcul du CERN (voir plus haut) implémentée dans le cadre du projet WLCG (Worldwide LHC Computing Grid, cf. ici pour le Grand Collisionneur de Hadrons), nécessaire pour traiter un volume de 15 Pétaoctets de nouvelles données chaque année : Le catalogue entier des Rolling Stones transféré d'Angleterre au Japon en moins de 2 secondes ! Top chrono...


* * *

Et pendant ce temps, les français continuent de penser qu'on n'a pas encore fait mieux que le droit romain pour réglementer Internet, ce putain d'espace de non-droit.

Pensez, Mesdames et Messieurs, pensez. Après tout n'est-ce pas Descartes qui affirme : "Je pense donc je suis". Si ça peut vous donner l'illusion d'être ! Mais n'oubliez pas que pendant que vous pensez, d'autres agissent...

Permettez-moi de vous dédier ce fabliau (en espérant qu'il sera libre de droits...) :
Les français et les américains

Les français, ayant pensé
Toute leur vie,
Se trouvèrent fort dépourvus
Quand la Web économie fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Ils allèrent crier à l'aide
Chez les américains leurs voisins,
Les priant de leur prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la prochaine reprise.
"Nous vous paierons, leur dirent-il,
Avant l'août, foi d'animaux,
Intérêt et principal."
Les américains ne sont pas prêteurs :
C'est là leur moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dirent-ils à ces emprunteurs.
- Nuit et jour à tout venant
Nous pensions, ne vous déplaise.
- Vous pensiez ? nous en sommes fort aises.
Eh bien! dansez maintenant.
Fermeture d'esprit : 0 - Pragmatisme : 1

C'est pas marrant, je sais, mais ça soulage.


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7 commentaires:

J2J2 a dit…

Ce n'est effectivement pas marrant.
Mais tellement réel malheureusement!
Mon espoir, que chaque internaute français, et surtout chaque décideur français lise cet excellent billet.
Merci Jean-Marie pour ton pessimisme qui fait du bien dans beaucoup trop d'optimisme ambiant sur le net.

Ropib a dit…

Si, moi j'ai trouvé ça un peu marrant.

Par contre il n'y a pas de procès que en France, c'est faux. Simplement certains gros acteurs sont un peu protéger par leurs gros capitaux. En France les financiers vendent leurs actions quand une entreprise annonce qu'elle va investir et en achètent quand le PDG serre la main du président. C'est ça qui me fait tiquer surtout.

Le cloud-computing, le mesh-networking, le dispersed-storage... à mon avis la prochaine problématique lourde d'internet c'est qu'elle remet en cause de nombreux principes de gouvernance des populations. C'est un peu normal (dans le sens inévitable) que ça ne se fasse pas dans le calme. Sur ce sujet je n'ai pas remarqué que les américains aient une avance sur quiconque. C'est pas parce qu'ils pensent que ça va s'auto-réguler (et encore: le pensent-ils ?) qu'ils ne vont pas à la rencontre de lourdes problématiques juridiques.

Je pense que le web 3.0 (après le 2.1, 2.2...) sera juridique tiens.

Jean-Marie Le Ray a dit…

Ropib,

Contrairement à ce que pourraient laisser supposer mes propos, je ne suis pas particulièrement philo-américain. Et je n'éprouve pas non plus une admiration sans borne pour leurs modes de vie.

Par contre, après avoir vécu dans 4 pays totalement différents, j'ai appris à prendre ce qu'il y a de bon et à laisser le mauvais de chaque culture.

Et je me dis aussi que pour tout ce qui concerne Internet, les blocages mentaux et culturels sont si profonds en France que ça me dérange. Voir la déclaration de Pierre Bellanger : ici on nous prend pour des sous-merdes. Venant de lui, ça ne donne pas vraiment espoir sur les capacités évolutives du corps social dans son ensemble...

C'est pourquoi je pense qu'une entreprise comme Google n'aurait jamais pu voir le jour dans notre pays, puisque personne n'aurait osé financer un tel non-modèle économique, s'appuyant sur du gratuit à l'époque (la recherche), alors que la pub sponsorisée n'existait pratiquement pas, etc.
Or en 10 ans c'est devenu l'une des premières entreprises au monde.

Sur l'autre plateau de la balance, en France on a Mayetic...

Ça fait quand même une belle différence : d'un côté de l'Atlantique, on donne des ailes à une entreprise dont personne n'aurait voulu ici ; de l'autre côté, on coupe les ailes à une entreprise qui semblait promise à un bel avenir.

Mon exemple est symbolique, certes, mais le symbole fait mal.

Jean-Marie

Ropib a dit…

Je ne faisais pas vraiment une critique de ton article que j'aime beaucoup. Et je connais un peu les faiblesses de la France (et franchement on a l'air endormis, ça fait peur).

Je pense sincèrement que l'économie n'est pas au centre de notre représentation du monde... ça ne veut pas dire que nous n'avons aucune force. C'est la politique qui est d'abord motrice historiquement. Mais si on y regarde de plus prêt il y a eu démission de nos politiques depuis la seconde guerre mondiale (disons la cinquième république), et c'est moche. D'autant plus parce que là nous pourrions être innovants et pertinents.

Il y a une révolution cognitive derrière le web et celà vaut pour toutes les sociétés très structurées. Il me semble que les cultures indiennes pourraient être beaucoup plus flexibles (tout en étant autant structurées hein) avec en plus un contexte social et économique favorable à la réforme. Enfin... on verra bien.

Jean-Marie Le Ray a dit…

Ropib,

Je n'ai pas pris ton commentaire comme une critique, mais j'ai saisi l'occasion pour passer le message à qui voudrait croire que mon billet est dicté par un pro-américanisme primaire, alors que c'est loin d'être le cas...

Sur l'Inde, je ne sais pas si tu as déjà eu l'occasion de lire ce billet ?

Jean-Marie

Anonyme a dit…

Bonjour Jean-Marie,

J'ai peur qu'il n'y ait pas grand rapport entre les querelles juridiques, loin d'être propres à la France, et les data-centers.

Mais il est bon en effet de rappeler l'importance de la puissance informatique que les analystes du Web ont tendance à oublier. Sauf erreur, l'Europe en est aussi consciente.

Jean-Marie Le Ray a dit…

@ JM Salaun,

"J'ai peur qu'il n'y ait pas grand rapport entre les querelles juridiques, loin d'être propres à la France, et les data-centers."

Jean-Michel,

Franchement, je n'en suis pas si sûr. En théorie, il devrait en être ainsi. Dans la pratique, il me semble que cet esprit procédurier à outrance est très propre à la France : je suis de très près "trois Web" : anglo-saxon, italien et francophone, et je ne vois pour l'instant nulle part ailleurs une telle débauche d'affaires si insignifiantes sur le fond, si ce n'est d'insuffler chez les internautes francophones une certaine crainte.

Par ailleurs il ne me semble pas qu'un autre pays que la France ait proposé à ce jour l'interdiction pure et simple de l'accès à Internet, mais bon, pour peu que les autres nations soient éclairées de nos lumières, il n'est pas impossible que d'autres pays suivent le lumineux exemple français.

Donc selon moi ce type de procès et de législation d'abord et surtout répressifs, dont on retrouve les effets bien ancrés dans les esprits résignés et approbateurs du bon peuple, restent bien une spécificité franco-française, et je ne pense pas que le climat qui s'en dégage soit très propice à l'esprit d'entreprise et d'innovation sur Internet.

Ce n'est que mon avis, très subjectif, mais quand j'entends les déclarations du patron de Skyrock, je me dis que je n'ai peut-être pas tout faux.

Jean-Marie